La mort d'un conte de fées

Cela fait deux ans que la plupart des hommes politiques en Europe et une grande partie des hommes politiques et des experts américains sont esclaves d'une doctrine économique destructrice. Selon cette doctrine, les gouvernements ne devraient pas répondre à l'économie sévèrement déprimée de la façon dont les ouvrages universitaires le conseillent, c'est-à-dire en dépensant davantage pour compenser la demande privée en baisse, mais avec des mesures d'austérité fiscale, en réduisant drastiquement les dépenses afin d'équilibrer leurs budgets.

Depuis le début, des voix se sont élevées pour prévenir que l'austérité face à une dépression ne ferait qu'aggraver cette dépression. Cependant, les "austériens" ont insisté que ce serait l'inverse qui se produirait. Pourquoi ? La confiance ! "Des mesures qui inspirent confiance vont favoriser, et non empêcher, une relance économique", déclarait Jean-Claude Trichet, l'ancien président de la Banque Centrale Européenne - une affirmation dont les Républicains s'étaient fait l'écho ici au Congrès. Ou bien, comme je le disais à l'époque, l'idée était que la fée de la confiance allait venir  récompenser les hommes politiques pour leur vertu fiscale.

La bonne nouvelle c'est que beaucoup de gens influents admettent enfin que la fée de la confiance était un mythe. Malgré tout, la mauvaise nouvelle c'est qu'il n'y a pas vraiment de changement de cap prévu en Europe ou en Amérique, où nous n'avons jamais suivi complètement cette doctrine mais où nous avons néanmoins eu une austérité de facto sous la forme de baisses drastiques des dépenses et des emplois locaux.

D'ailleurs, on note au sujet de cette doctrine qu'avoir recours aux merveilles de la confiance, voilà quelque chose que Herbert Hoover aurait trouvé complètement familier et avoir foi dans la fée de la confiance a aussi bien fonctionné pour l'Europe moderne que pour l'Amérique d'Hoover. Dans toute l'Europe et sa périphérie, que ce soit en Espagne ou en Lettonie, les mesures d'austérité ont abouti à des récessions et des taux de chômage dignes de la Grande Dépression ; la fée de la confiance n'est nulle part, pas même en Grande-Bretagne, où son virage vers l'austérité a été accueilli il y a deux ans par des alléluias appuyés des élites politiques des deux côtés de l'Atlantique.

Rien de tout ceci ne devrait nous surprendre, puisque l'échec des politiques d'austérité à faire ce qui était promis est évident depuis longtemps. Cependant, les dirigeants européens ont passé des années dans le déni, s'entêtant à expliquer que leurs politiques allaient bientôt commencer à payer ainsi qu'à célébrer leurs supposés triomphes à la moindre éclaircie. Les Irlandais, durement éprouvés (littéralement), ont été notamment montrés en exemple non pas une mais deux fois, début 2010 et à nouveau à l'automne 2011. A chaque fois, ce soi-disant succès s'est avéré être un mirage ; depuis trois ans qu'elle vit un programme d'austérité, il reste toujours à l'Irlande à montrer un vrai signe de relance, après une récession qui a mené le taux de chômage à presque 15 pourcent.

Cependant, quelque chose a changé ces dernières semaines. Plusieurs évènements - l'effondrement du gouvernement des Pays-Bas à propos des mesures d'austérité, la forte percée de François Hollande, vaguement anti-austérité, au premier tour de l'élection présidentielle en France ainsi qu'un rapport économique qui montre que la Grande-Bretagne est plus mal en point dans la récession actuelle que lors de celle des années 1930 - semblent avoir finalement brisé le mur du déni. Tout à coup, tout le monde admet que l'austérité ne fonctionne pas.

Aujourd'hui, la question est de savoir ce qu'ils vont faire. Et je crains que la réponse ne soit : pas grand chose.

Tout d'abord, même si les "austériens" semblent avoir abandonné tout espoir, ils n'ont pas abandonné la peur - c'est-à-dire que si l'on ne sabre pas dans les dépenses, même dans une économie déprimée, nous allons devenir la Grèce avec des taux d'emprunts astronomiques.

Les affirmations selon lesquelles seule l'austérité peut apaiser les marchés des obligations se sont avérées être aussi erronées que celles qui prétendaient que la fée de la confiance allait apporter la prospérité. Presque trois ans se sont écoulés depuis que le Wall Street Journal annonçait à bout de souffle que l'attaque des garde-fous des obligations contre la dette américaine venait de débuter ; non seulement les coûts d'emprunts sont restés bas, ils ont même diminué de moitié. Le Japon a fait face à des mises en garde terribles au sujet de sa dette pendant plus d'une décennie ; cette semaine, il pourrait emprunter sur le long terme à un taux d'intérêt de moins de 1 pourcent.

Des analystes sérieux affirment aujourd'hui que l'austérité fiscale dans une économie déprimée serait intrinsèquement vouée à l'échec : en rétrécissant l'économie et en touchant aux revenus à long terme, l'austérité aggrave indubitablement le profil de la dette plutôt qu'elle ne l'améliore.

Cependant, alors que la fée de la confiance semble bel et bien enterrée, des histoires à faire peur à propos des déficits restent populaires. En effet, ceux qui défendent les mesures britanniques rejettent toute demande d'un remaniement de ces mesures, malgré leur échec évident à tenir leurs promesses, sous le prétexte que le moindre fléchissement en termes d'austérité causerait une augmentation en flèche des coûts d'emprunts.

Nous vivons donc dans un monde de mesures économiques de zombies - des mesures qui auraient dû être anéanties par la preuve qu'elles reposent sur des fondations erronées, mais qui malgré tout poursuivent leur route. Et il est impossible de savoir quand ce règne de l'erreur cessera.

Paul Krugman

 

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