Jeanne d'Arc et Gilles de Rais, le bien et le mal, "Sang et Roses", un texte shakespearien de Tom Lanoye, une mise en scène comme un vitrail de Guy Cassiers.
Jeanne d'Arc et Gilles de Rais, le bien et le mal, "Sang et Roses", un texte shakespearien de Tom Lanoye, une mise en scène comme un vitrail de Guy Cassiers. Sous la beauté formelle, le procès...des procès religieux et du pouvoir de l'Eglise. Et le troisième volet d'un triptyque réussi, cette année, en Cour d'Honneur après Boris Charmatz ("enfant"), ATDK ("Cesena").
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Le chant de Jeanne et Gilles: ferveur, beauté et justice.

Le Festival d’Avignon se termine sur deux points forts théâtraux: «Kristin», d’après Mademoiselle Julie de Strindberg, de Katie Mitchell et Leo Warner (voir critique précédente), un duo anglo-germain d’une intelligence piquante. Et le «couronnement» dans la mythique Cour d’Honneur, du duo Guy Cassiers/Tom Lanoye. Ils prouvent qu’on peut faire un théâtre de salle sophistiqué, littéraire et amplifié par la vidéo et l’adapter dans le plein air redoutable d’un lieu difficile.
La technique au service du texte : sono, vidéo et Colegium vocale
Le pari était d’abord technique : comment faire jouer avec naturel 7 acteurs, dont 6 jouant deux rôles, dans un espace immense, avec un texte très riche, poétique et rhétorique, jouant sur les sonorités rugueuses du flamand, avec des archaïsmes quasi shakespeariens. La réponse est triple : un somptueux système d’amplification douce permet de jouer avec naturel et les affrontements bruyants et les scènes collectives et les duos intimes comme la relation incestueuse entre le Dauphin et sa mère. La vidéo déploie comme un immense vitrail sur cette Cour d’Honneur sur lequel projeter soit le décor naturel de la Cour et le jeu des acteurs en gros plan, soit des enregistrements de salles intimes du Palais, soit des scènes non réalistes mais d’une beauté fulgurante comme la mort de Jeanne au bûcher : un morceau d’anthologie. Enfin le chant cristallin du Collegium vocale Gent joue tour à tour les fameuses «voix» de Jeanne et les démons de Gilles, scandant le drame sur une musique à l’ancienne de Dominique Pauwels. Sonorités douces, beauté des images vidéo, capables de traduire l’expressivité des visages et la somptuosité picturale des couleurs (et des lumières signées Enrico Bagnoli ), qualité de la musique : la réussite du spectacle repose d’abord sur ce soin maniaque du détail et de l’ensemble propre à Guy Cassiers et son équipe.
Une distribution de rêve.
Tout ce confort technique et visuel pour permettre à des acteurs d’une force prodigieuse d’être plus présents, avec ou sans vidéo. Quand le groupe est nombreux, quand il s’agit d’entendre une parole politique forte, lors des deux procès, de Jeanne et de Gilles, par exemple, le regard se porte sur le groupe d’acteurs sans support vidéo. Et ils sont tous merveilleux : la petite Abke Haring incarne tour à tour Jeanne d’Arc puis un jeune moine, amant de Gilles de Rais. Johan Leysen prête sa voix de stentor et son physique coupé au couteau à Gilles de Rais. Jos Verbist incarne avec un cynisme patelin les deux évêques et juges ecclésiastique retors. Katelijne Damen, la reine-mère qui veut régner sur le pauvre Dauphin est un des personnages les plus shakespeariens, dans son ambiguïté de mère séductrice.
Un détail qui prouve l’intelligence pratique de l’équipe technique :ces acteurs jouant en flamand, langue inconnue du public français, bénéficient de trois sur titrages en français, un central, et deux latéraux, qui peuvent ,en cas de panne technique partielle, se compenser et empêcher une incompréhension d’un texte chargé de deux heures et demie de paroles denses.
Langue somptueuse et poétique, réflexion politique percutante.
Tout ce confort technique et cette belle imagerie seraient un peu vains si le texte ne tenait pas la route et si le sujet paraissait inactuel. En quoi ce drame historique, basé sur le contraste entre une illuminée mystique et un salaud sadique, précurseur de Sade, peut-il encore nous intéresser ? Tom Lanoye ne fait pas sortir Jeanne de son «innocence» un peu simpliste. Mais sous l’image d’Epinal qu’elle véhicule, il montre, par contraste, le défilé de lâcheté et de cynisme et de l’Eglise et du Dauphin, pratiquant une certaine «realpolitik» toujours d’actualité. De même, l’abominable dépeceur d’enfants, Gilles de Rais met en évidence les retournements hypocrites de la justice ecclésiastique qui tolère les turpitudes