De plus en plus d’auteurs et de poètes utilisent Instagram pour faire découvrir leurs textes au plus grand nombre. Ils détournent ainsi la fonction première du réseau social qui est le partage d’images et de vidéos. Nous avons discuté avec l’un d’entre eux, auteur de courtes nouvelles inspirées de la vie quotidienne.
Jean-Marc est professeur dans un lycée parisien. Il est passionné de littérature et d’écriture et en juillet dernier il a décidé de créer le compte @jmbregardelemonde avec l’un de ses amis, Julien, qui travaille dans la fonction publique. A deux, ils écrivent de courtes histoires qu’ils appellent "instaromans" et qu’ils publient deux fois par semaine sur Instagram (les mercredis et samedis). En quelques semaines à peine, ils ont réussi à séduire un public de lecteurs sur le réseau social.
Comment avez-vous eu l’idée de créer ces "instaromans" ?
Jean-Marc : "Notre objectif était de faire sourire les instagrameurs tout en parlant de sujets de la vie quotidienne avec ses travers, ses excès ou ses difficultés. De nos conversations sont nés des personnages : l’influenceuse, la dame âgée et son chat, l’homme seul et sa poupée gonflable, la productrice de téléréalité, la concierge d’un immeuble bourgeois d’un arrondissement chic de Paris, et la travailleuse pauvre qui vit dans une cité de banlieue… Les textes sont le résultat d’une 'écriture à quatre mains'."
Quelles sont les contraintes d’une écriture sur Instagram ?
Jean-Marc : "C’est un support qui, a priori, ne se prête pas à la publication de nouvelles. La légende ne permet de publier que des textes de 2200 signes au maximum. C’est une forte contrainte pour l’écriture. En si peu de lignes, il faut raconter une histoire vivante avec une chute si possible imprévisible et amusante pour donner envie au lecteur d’aller au bout de sa lecture et de nous suivre pour les publications suivantes. […] Instagram est donc un format contraignant qui oblige à la concision mais il permet de faire entrer un public plus large dans la lecture, même s’il ne s’agit que d’une lecture très courte. Instagram rompt aussi avec la solitude de l’auteur. Il permet un échange régulier avec le lecteur au fil de l’écriture."
Justement, quel est le retour des lecteurs ?
Jean-Marc : "L’ouverture du compte est très récente puisque cela fait un mois et demi seulement. Mais, très vite, les commentaires nous ont montré que les followers aimaient ces histoires et s’attachaient aux personnages. Certains nous demandaient d’aider tel ou tel, de changer la fin, d’autres, en messages privés, nous demandaient de donner un dénouement heureux à l’histoire de leur personnage préféré. Les mésaventures de Lucie, dame âgée de 77 ans, victime d’une escroquerie sur le net et obligée de se séparer de son chat persan a ému beaucoup de lecteurs. Celle de Mireille, qui pourrait être une femme " gilet jaune ", donne lieu aussi à des commentaires indignés de beaucoup d’instagrameurs contre les injustices."
Vous vous inspirez de l’actualité et de la société pour écrire vos "instaromans" ?
Jean-Marc : "Nous nous inspirons de l’actualité et de la réalité du monde actuel. Nous avons proposé des nouvelles sur de nouveaux phénomènes apparus avec les réseaux sociaux tels que le " mok bang " et la vente sur internet de culottes usagées… qui ont fait beaucoup réagir les followers. Nous avons aussi porté un regard sur la téléréalité, les influenceurs, et Instagram lui-même. Nous avons abordé des sujets plus graves comme le viol d’une jeune fille dans une cité et le danger des pédophiles sur internet. Plusieurs followers nous ont écrit à propos de ce court texte — "instaroman" n° 16 — qu’il devrait être utilisé dans les classes pour sensibiliser les jeunes aux dangers du net."
On remarque aussi qu’au fur et à mesure des histoires, ce sont les mêmes personnages qui reviennent…
Jean-Marc :"La société actuelle se retrouve dans les fictions que nous réalisons, un peu comme dans une série de télévision : les mêmes personnages reviennent dans des épisodes différents, se croisent, se rencontrent. Ils viennent essentiellement de deux mondes : la " cité des nénuphars " (représentative d’une cité de banlieue) et un immeuble du septième arrondissement parisien où vivent, entre autres, un député, une ancienne comédienne aujourd’hui âgée mais à la sexualité encore très vive, une productrice de téléréalité et une concierge très présente."
Pour accrocher l’œil du lecteur, vous publiez une couverture pour chaque histoire que vous écrivez ?
Jean-Marc : "Sur Instagram, c’est d’abord la photo qui importe. Il fallait à la fois attirer le regard et montrer que sous la photo se trouvait une petite nouvelle. Nous réalisons aujourd’hui le visuel en faisant des collages à partir de photos libres de droits. Il s’agit pour nous de donner envie de découvrir la nouvelle en suscitant la curiosité de l’instagrameur. Pour indiquer qu’il s’agit, en quelque sorte, d’une couverture de livre, nous avons décidé de mettre un titre et de faire figurer la mention " Instaroman n°00."
Souhaiteriez-vous un jour compiler toutes ces petites histoires dans un livre ?
Jean-Marc : "Instagram est en fait une sorte de laboratoire. Cela nous permet de voir comment sont reçus les personnages et les thèmes qui intéressent le plus les followers. Durant l’été, nous avons préparé des épisodes pour plusieurs mois de publication et, très rapidement, nous avons effectivement pensé à un projet de livre. Nous avons d’ores et déjà entrepris la rédaction d’un manuscrit qui n’est pas une compilation des différents textes mais plutôt une recomposition d’un texte plus large dans lequel prennent vie les personnages de ces nouvelles. Le dénouement final qui réunit tous les personnages est déjà écrit. Et déposé à la société des auteurs…"