Paysage après la Bataille, Fauve d'Or à Angoulême : la récompense d'une autre BD

C’est la plus haute récompense francophone pour un album de bande dessinée. Le Fauve d’Or couronne le meilleur ouvrage de l’année écoulée. Il est allé à Paysage après la Bataille, oeuvre de deux Belges, Éric Lambé et Philippe de Pierpont. C’est un peu comme si la Belgique gagnait la Coupe Davis en tennis. Mais au-delà d’une fierté chauvine un peu vaine, c’est une reconnaissance pour un type de bande dessinée qu’incarnent parfaitement ces deux auteurs.

 

Éric Lambé n’a pas la notoriété d’un Jean Van Hamme ou d’un Hermann. Il est pourtant l’une des signatures les plus singulières du paysage du Neuvième Art. Depuis le début des années 90, avec quelques condisciples, dont Dominique Goblet et Thierry Van Hasselt, il a été à la base d’un virage vers une bande dessinée plus expérimentale, plus poétique, tournée vers la création et les arts plastiques sans pour autant renier la narration. Une bande dessinée qui s’est mise en marge des modes et des flux commerciaux pour ne rechercher que sa propre voie. En étant l’un des co-fondateurs de Fréon, aujourd’hui appelé Frémok - plate-forme de création autant que maison d’édition -, mais aussi en publiant des albums sans concession chez les plus grands éditeurs (Casterman, Futuropolis, Actes Sud), Lambé a posé les bases d’un langage neuf. Dans certains livres comme Le Fils du Roi, il a même expérimenté une audacieuse recherche plastique, d’un niveau rarement atteint en bande dessinée. Cela lui vaut d’être parfois plus connu aujourd’hui du public fréquentant les galeries d’art que de celui qui lit la bande dessinée.

Pour qualifier son oeuvre, on parlera plus volontiers de littérature graphique que de roman graphique, terme fourre-tout un peu galvaudé. C’est précisément en se servant du dessin comme d’un outil littéraire que Lambé est parvenu à une économie de moyens lui permettant d’approcher l’âme de ses personnages. Sans leur donner de contours très précis, sans insister sur les décors dans lesquels ils évoluent, il sait éplucher une à une les pelures qui les emprisonnent. En Philippe de Pierpont, il a trouvé le complice idéal pour raconter des histoires étranges, hautement symboliques, où poésie et onirisme le disputent à un propos toujours plein d’humanité. Ancré dans les solitudes modernes, à la recherche de sens, Paysage après la bataille est un livre qui vous marque. Fanny, femme à la dérive obligée de se réfugier pour un temps dans un camping où l’on vit à l’année, est de ces personnages que l’on n’oublie pas. Philippe de Pierpont nous la montre tantôt en souffrance tantôt en renaissance, toujours fragile. Et son dessinateur joue des pleins et des vides, du noir et blanc et de la couleur, pour coller au plus près de ses tourments comme de ses petits bonheurs.

Sans aucune volonté de réalisme, en jouant le dépouillement le plus extrême, allant à une forme d’épure qui frise parfois l’abstraction, Éric Lambé parvient à nous rendre Fanny et les quelques autres résidents du camping du Ruisseau aussi vrais que si nous les connaissions. Ils nous touchent, nous interpellent, nous ébranlent dans nos certitudes. En recevant le Fauve d’Or tout juste vingt ans après son premier album, cet auteur voit tout son travail récompensé. Car il n’a jamais dévié de sa voie, cherchant depuis ses débuts à déplacer les frontières du médium. Quant au cinéaste Philippe de Pierpont, chacune de ses incursions dans le domaine de la bande dessinée est porteuse de sens. Il sait utiliser le silence et s’effacer pour laisser la magie du dessin opérer. Il sait aussi toucher au coeur avec des personnages qui portent leurs failles comme des étendards.

Paysage après la bataille, sur le site d'Actes Sud

Dans les archives de l'émission Livr(é)s à domicile

Le 29 novembre dernier, le coup de coeur BD de l'émission était justement "Paysage après la Bataille" : l'originalité de cette séquence  est qu'elle s'est faite... devant le frère du scénariste, qui était le lecteur du jour nous recevant chez lui. Au moment où l'équipe est arrivée avec l'abum, il ne l'avait pas encore eu entre les mains.