Trois auteurs francophones belges à suivre !

Pas mal de réactions à mon récent billet sur la BD flamande, au titre volontairement provocateur, je l’avoue. Je maintiens que la relève flamande dont il est question dans cet article est exceptionnelle. Mais il est vrai qu’il serait injuste de dire qu’il n’y en a pas côté francophone. Voici donc trois auteurs à suivre.

Je n’ai pas prétendu à l’exhaustivité dans ma liste des auteurs déjà installés. Il est évident que j’aurais pu y mettre Max de Radiguès. Il ne cesse de nous proposer des albums d’une grande qualité (Frangins, Un été en apnée ou 520 km chez Sarbacane, L’Âge dur à L’Employé du Moi ou encore Orignal chez Delcourt, pour ne citer que quelques titres). Mais je ne le considère plus comme un auteur émergent, avec une quinzaine de titres déjà publiés aujourd’hui. Même chose pour les auteurs de Frémok que je n’ai pas cités, me contentant de parler de Dominique Goblet en guise d’auteure-phare. Thierry Van Hasselt, par exemple, vient encore de prouver tout son talent à travers Vivre à Frandisco, paru chez FRMK en mai. Et il n’est pas le seul.

En revanche, si on doit parler d’auteurs vraiment émergents et peut-être encore trop injustement reconnus, il y en a trois que j’aimerais mettre en avant : Mathieu Burniat, Thomas Gilbert et Aurélie William-Levaux.

Mathieu Burniat

En quatre livres, dont deux font partie de la même série, Mathieu Burniat s’est imposé comme un auteur qui sait tout faire. Shrimp, une histoire de SF déjantée à l’humour très belge a permis de faire découvrir ce jeune auteur en 2012. Mathieu Burniat a réalisé les deux albums de cette série aux côtés de Benjamin D’Aoust et de Mathieu Donck qui se sont fait connaître plus récemment en Belgique pour leur excellente série La Trêve, diffusée sur la RTBF.

En 2014, il se lançait en solo dans l’adaptation brillante d’un classique de la littérature gastronomique : La Passion de Dodin-Bouffant. Un dessin en totale liberté, une mise en page toujours imaginative, en phase avec le récit et une personnalité graphique qui le place quelque part dans la lignée de Blain sans jamais l’imiter.

Puis, virage à 180° avec la parution cette année du Mystère du monde quantique, paru chez Dargaud comme ses trois autres ouvrages. Après une première série loufoque et un album léger, gourmand et débridé, le voilà qui s’attaque à la vulgarisation de l’un des concepts les plus abstraits qui soit. Ce Mystère du monde quantique est co-signé avec Thibault Damour, professeur de physique à l’Institut des Hautes Études Scientifiques en France. L’album révèle une très grande connaissance des codes de la narration en bande dessinée. Il n’y a qu’à voir comment Mathieu Burniat joue avec la couleur pour se rendre compte qu’il a compris quel parti tirer de la BD pour étayer le propos scientifique très ardu auquel il s’attaque. En quatre ans, un parcours sans faute, donc. Et qui donne envie d’en voir plus !

Thomas Gilbert

La bibliographie de Thomas Gilbert, auteur d’origine française installé en Belgique depuis ses études à Saint-Luc, est, elle aussi, assez hétéroclite. D’une part, on y trouve l’adaptation des romans jeunesse de Thomas Lavachery, Bjorn le Morphyr, chez Casterman puis chez Rue de Sèvres. On y découvre un auteur au dessin anguleux qui se place dans la famille des auteurs édités à cette époque sous le label KSTR. Ses adaptations sont toujours finement réalisées et Thomas Gilbert sait faire oublier que l’oeuvre originale n’a pas été écrite pour la bande dessinée.

Mais ce qui est intéressant, c’est de découvrir l’auteur complet qu’il est parallèlement. Là, on peut pointer deux œuvres. La première chez l’éditeur participatif aujourd’hui disparu, Manolosanctis. Publié fin 2009, Oklahoma Boy révélait des préoccupations inattendues pour celui qui venait de publier le premier tome de Bjorn le Morphyr, "gentil" conte de fantasy pour enfants. Oklahoma Boy, qui allait connaître deux volumes (puis une intégrale augmentée), plongeait avec intelligence  aux sources de la violence. Mais le dessin restait perfectible.

C’est donc surtout avec Vénéneuses, chez Sarbacane en 2015, que Thomas Gilbert entre dans la cour des grands. Il y raconte le désenchantement de l’adolescence à travers la chute de deux jeunes filles, Noor et Domitille, avec des couleurs et un dessin totalement appropriés au sujet. Comme beaucoup d’auteurs de sa génération, il aime multiplier les expériences et les travaux en collaboration. Il a d’ailleurs participé à l’aventure du feuilleton numérique (publié ensuite en livres chez Dupuis) Les autres gens, sous la houlette de Thomas Cadène.

Aurélie William-Levaux

Aurélie William-Levaux n’est plus à proprement parler un jeune espoir de la BD. Bien que née en 81, elle a déjà près d’une dizaine de livres au compteur. Mais elle reste méconnue d’une grande partie du public. Il faut dire qu’elle n’a pas choisi la facilité. Cette Liégeoise est entrée en bande dessinée en réalisant des livres entièrement créés en broderie narrative, réalisant chaque page sur tissu avant de la scanner en très haute définition. Publiée au départ par La Cinquième Couche, maison d’édition alternative bruxelloise où l’on trouve également l’excellent William Henne, elle a tout d’abord exploré les facettes les plus inattendues de la maternité et de la féminité. Puis, multipliant les projets d’expositions et d’installations, elle s’est orientée pour ses livres vers l’éditeur suisse Atrabile où elle a réalisé des albums en duo avec d’autres auteur(e)s : Moolinex (JohnnyChrist, une certaine empathie envers le fragile, 2013) ou la Genevoise Isabelle Pralong (Prédictions, 2011). En avril, elle publiait en solo Sisyphe, les joies du couple, toujours chez Atrabile. Auteure insaisissable, AWL mêle les travaux aux crayons de couleur, la peinture et le mélange de broderies rehaussées qui a fait sa renommée. On pourrait croire qu’elle est devenue plus illustratrice qu’auteure de bande dessinée. Mais le sens narratif de ses dessins n’a pas disparu. Elle explore avec une candeur feinte les affres du quotidien et les aléas de la vie de couple. Son style inimitable en a fait une artiste au succès international. On pourrait dire qu’elle est un peu l’équivalent francophone d’un Brecht Evens, quelqu’un qui repousse les limites du médium, qui en réinvente l’outil et la grammaire. Mais il faut tenir compte du fait que ses livres sont moins accessibles et plus éloignés de le bande dessinée que ceux de l’auteur flamand publié sur le marché francophone par Actes Sud BD.

 

Bonnes lectures !