Zita

zita

© La Boîte à Bulles

Par Jacques Schraûwen

Un livre étrange, différent, laissant la part belle à plusieurs formes artistiques, à l’imaginaire, à la couleur, aux mots, à l’Histoire. Le tout en assumant des influences picturales et littéraires réjouissantes !

Zita
Zita © La Boîte à Bulles

Zita vit sur une île aux infinis jardins, ailleurs, qui pourrait être Gaïa, la terre mère.

Dès sa naissance, elle a mis en œuvre un des dons qui sont les siens : celui de changer de forme à son gré. Et, ce faisant, elle a sauvé deux existences, la sienne et celle de sa mère, qui, elle, possède le don du chant, capable de tout résoudre des problèmes quotidiens.

Et Zita grandit, avec un autre don, encore, celui de se téléporter, de "transplaner", de lieu en lieu, mais aussi d’époque en époque.

Mais il y a, même dans son univers, des règles à suivre. Et si l’humain, sous toutes ses formes, l’attire au plus haut point, elle ne peut se mélanger à l’humanité n’importe comment. Elle devrait ne pas pouvoir sse mêler aux hommes et aux femmes, en fait, mais les règles, pour elle, n’existent que pour être transgressées !

" Je ne dois rien changer à l’ordre des choses chez les humains !! L’ordre des choses !! Quand on voit le bordel que c’est chez eux !! Elle est bien bonne, celle-là !!! ", dit-elle, avant de s’enfouir dans des environnements qui, tous, vont lui apporter de nouvelles sources de réflexion.

Zita
Zita © La Boîte à Bulles

" Je suis une force qui va, je suis une femme montagne. Je dois marcher. Je veux savoir tout ce que je peux être. "

Et tout ce qu’elle peut être gravite autour de l’art, d’abord et avant tout. Zita ne fut-elle pas, d’ailleurs, au cours de ses pérégrinations improbables, muse et modèle de Matisse ? Et de Picasso…

Et ses errances sont un peu celles de la femme à travers les âges, à travers les fantasmes et les représentations faites par l’homme, aussi… Littérairement et picturalement.

C’est bien de cela qu’il s’agit dans ce livre étrange : l’imagerie féminine qui débouche sur la pluralité de la féminité, une pluralité décrite et montrée, au détour des pages de cet album, par des poupées russes aux définitions sexuées ou routinières.

Mais Zita, qui se perd dans les travées d’un supermarché comme dans les ateliers des peintres, qui se retrouve géante dans un Lilliput dirigé par un tyran vénal, qui se balade dans une cuisine comme dans un océan, Zita est d’abord le résumé impossible de ce que sont ou peuvent être toutes les femmes.

Il y a de l’érotisme, donc. Mais il y a aussi tout un discours tantôt philosophique, tantôt poétique, qui esquisse les contours sans cesse changeants, comme l’est Zita elle-même, de la femme, parfois majuscule, parfois minuscule, parfois objet, parfois sujet.

Ce livre est un ovni. Un objet visuel non identifiable. Mais envoûtant, de bout en bout !

Visuellement, sans aucun doute, puisqu’on retrouve, tout au long des pages de cet album des présences variées et reconnaissables : Matisse, bien sûr, mais aussi Mazereel, Picasso, Léger, Braque, Gauguin, et l’art nouille, et l’apogée de la publicité, et le pop art, et le style bd des sixties… Parce que Sylvie Fontaine, l’auteure, change de style, sans cesse, aimant ainsi à surprendre ses lecteurs comme, sans doute, elle se surprend elle-même au gré des fantaisies de son récit.

Littérairement, aussi, puisque l’écriture de Sylvie Fontaine rythme, avec autant de puissance que ses styles graphiques, une narration qui n’en est jamais vraiment une, mais qui place le mot et le langage au centre de tout ce qui fait la liberté et l’existence.

C’est aussi un livre féministe, mais souriant, presque surréaliste, ou dadaïste…

Et on pourrait presque mettre en exergue de cet album une phrase que Zita prononce : la Bible " véhicule la curieuse idée que l’homme engendre la femme… Quand chacun sait pertinemment que c’est le corps féminin qui engendre l’humanité " !

 

Et tout cela m’a séduit, je l’avoue, malgré mes goûts souvent ancrés dans une représentation plus "habituelle" de la réalité.

C’est un excellent livre, oui, une vraie bande dessinée d’art.

Ou, plutôt, d’arts pluriels !

 

 

Jacques Schraûwen

Zita (auteure : Sylvie Fontaine - éditeur : La Boîte à Bulles)

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