Climat

Youna Marette, activiste climatique : "L’année 2023 va être marquée par des actions plus radicales de désobéissance civile"

Youna Marette (activiste climatique) : "l’année 2023 va être marquée par des actions plus radicales, de désobéissance civile"

© RTBF et Belga

En 2019, des dizaines de milliers de jeunes sont descendus dans les rues pour réclamer une justice climatique et sociale. Parmi lesquels Youna Marette, à l’époque représentante bruxelloise de Youth for Climate. Quatre ans plus tard, si leurs revendications ne sont plus scandées tous les jeudis à travers plusieurs villes belges, leur mobilisation ne s’est pas essoufflée pour autant. Car l’urgence réside, en attestent les inondations de l’été 2021 ou encore la grande sécheresse de cet été. Youna Marette est la deuxième invitée de notre série de rétrospectives de l’année 2022.

Une année 2022 assez mouvementée : COP27, crise énergétique, Coupe du Monde au Qatar, COP15… Qu’en retenez-vous ?

"Je pense que les COP et la crise énergétique ont fait que la question environnementale a été imposée aux agendas politique et médiatique cette année. Par rapport aux deux années précédentes marquées par le Covid, c’est un débat qui a repris beaucoup de place. Après, est-ce assez ? Non. On a recommencé à rencontrer des politiciens, mais ça n’a pas plus avancé que les années précédentes. On y met beaucoup d’énergie – notamment via le boycott de la Coupe du Monde -, mais c’est de plus en plus difficile d’imposer ce message comme urgent justement parce qu’il y a énormément de crises à côté. Et comme la crise énergétique se fait directement ressentir sur le portefeuille des citoyens, la crise environnementale et sociale n’est encore perçue comme urgente. Donc j’en retire un bilan mitigé."

La Belgique n’est absolument pas à l’abri des conséquences sur le climat et quand bien même on serait à l’abri, on fait partie des pays responsables.

Il y a également eu cet été la grande période de sécheresse.

"Oui, mais que l’on voit de manière moins directe que des maisons inondées. Là où c’est intéressant, et triste, c’est que ça ne nous intéresse vraiment qu’au moment où ça nous touche directement, alors qu’on sait que les conséquences seront plus fortes et récurrentes. Et la Belgique n’est absolument pas à l’abri. Et quand bien même on serait à l’abri, on fait partie des pays responsables. Ça a été une déception personnelle de me rendre compte qu’alors que des gens souffrent et qu’on veut en parler, on nous stoppe en disant qu’il y a la crise énergétique et la crise sanitaire qui est à moitié finie. On va toujours trouver des excuses."

N’avez-vous pas l’impression que puisque la crise climatique va, chez nous en tout cas, se ressentir de plus en plus dans le futur, seuls les jeunes s’y intéressent ?

"Oui d’une certaine manière. On est les plus conscients et mobilisés, mais on ne pourra rien faire si ça ne va pas à d’autres niveaux, notamment politiques, là où les jeunes sont encore très peu représentés. On avait dès le départ beaucoup d’espoir que ça puisse bouger avec des actions politiques, mais on a vite vu que c’était soit des petites mesures sans grand impact, soit du désintérêt du milieu politique parce qu’ils n’y voient pas un retour sur le court terme. Effectivement, on parle de politiques qui auront des impacts dans 10, 15, 20 ans ou qui en éviteront. On ne parle pas vraiment d’un retour financier et pourtant on sait que la transition rapporte des emplois et de l’argent. Je ne crois pas qu’on soit aujourd’hui en Belgique dans un climat qui le permette parce qu’on n’a justement pas l’impression qu’il y a cette urgence et ce besoin.

Ça fait des années qu’on fait des petits pas. Il y a un moment il va falloir passer à une étape supérieure.

Et ça pourrait même faire fuir une certaine partie de l’électorat. On l’a bien vu avec Good Move, le plan de mobilité à Bruxelles.

"Tout à fait, après je ne sais pas si Good Move est un bon exemple parce que c’est à nouveau une mesure qui demande uniquement un effort des citoyens. Ce n’est pas ce genre de mesures qui va vraiment régler le problème. Je parlais de mesures plus ambitieuses. Là, on a complètement raté le coche avec la COP27. On aurait pu prendre des mesures ambitieuses comme taxer les grandes entreprises, limiter la pollution. Ça n’a pas été fait, ou à très petite échelle. Les politiciens s’applaudissent du plan Good Move en disant que c’est une première étape, petit pas par petit pas. Mais ça fait des années qu’on fait des petits pas. Il y a un moment il va falloir passer à une étape supérieure."

Estimez-vous que les mesures politiques en faveur de l’environnement reposent uniquement sur le bon vouloir des citoyens ?

"Quand on parle de mesures ambitieuses, il ne faut pas que ce soit des mesures contraignantes qui reposent uniquement sur les citoyens. Dire aujourd’hui aux citoyens qu’adopter la sobriété cet hiver et mettre un pull en plus est la solution à la crise énergétique, c’est ironique. Il faut trouver un équilibre. C’est aux politiciens de mettre de côté certaines ambitions pour se focaliser sur une vraie justice sociale et climatique, et en même temps aux citoyens à s’adapter aux mesures prises. Pour moi, on peut parler de sobriété, mais quand c’est des deux côtés. Si le système n’y met pas du sien, je ne vois pas l’intérêt. Surtout qu’on sait aujourd’hui qu’il ne suffit plus de couper l’eau quand on se brosse les dents et se lave les cheveux. Pour que ça ait un réel impact, on a besoin de mesures beaucoup plus grandes que ça."

On a aussi l’espoir que les politiciens de demain sont parmi nous.

Est-ce toujours aussi évident pour vous d’y croire aujourd’hui ? N’avez-vous pas l’impression de ramer à contre-courant ?

"Ramer à contre-courant, oui. Et est-ce que ça ne donne pas envie d’arrêter ? Je me suis déjà posé la question plusieurs fois. J’aimerais bien pouvoir vivre une vie d’adolescente, mais c’est ça aussi le piège, la malédiction d’être aussi renseigné. C’est très difficile de se mettre à l’arrêt parce qu’on a déjà trop encaissé. Il y a une espèce de poids qui était posé sur nos épaules. Mais je pense que jusqu’à la fin de ma vie je serai active que ce soit dans mes achats, mes relations aux autres, le choix du métier, le choix des vacances. Je crois qu’il n’y aura jamais un jour où je ne me demanderai pas quel est mon impact sur la planète. Clairement il y a des moments où on est démoralisé. C’est là que ça sert d’avoir un réseau d’activistes. C’est un peu comme ça qu’on arrive à rester à rester à flot. Et on a aussi l’espoir que les politiciens de demain sont parmi nous. Ces postes seront donc potentiellement pris par des personnes sensibilisées qui ont envie de faire bouger les choses pour un demain meilleur. Maintenant, c’est un combat de jeunesse, mais peut-être que dans 15 ans, ça ne sera plus le cas."

Comment voyez-vous 2023 ? Et quels seraient les moyens de faire avancer votre lutte ? On a vu cette fin d’année 2022 que le militantisme a pris d’autres tournures notamment en jetant de la soupe sur des œuvres d’art.

"Pour moi, ce n’est pas spécialement une manière de se réinventer. C’est assez représentatif du ras-le-bol. On l’a vu aussi avec l’action Code rouge, dont j’étais la porte-parole, le blocage de plusieurs sites TotalEnergie. Donc pour moi, là où les deux actions se rejoignent, c’est cette idée de désobéissance civile. On voit à quel point que les gens sont prêts à faire des choses qu’ils n’auraient jamais imaginées avant. Je pense que l’année 2023 va être vraiment marquée par ce genre d’actions, peut-être plus radicales. La surprise dérange plus que les marches pour le climat. Je ne cautionne pas toutes les actions, notamment pas celles avec violence, mais je les comprends. Il y a un sentiment d’irrespect de la part de nos classes politiques."

La surprise dérange plus que les marches pour le climat.

Si vous pouviez formuler un vœu pour 2023, ce serait lequel ?

"C’est la sortie des énergies fossiles, tout en investissant dans d’autres infrastructures, de recréer du métier. Et taxer les super profits. Taxer là où il y a de l’argent et pas là où il en manque. Utiliser cet argent pour les investissements dont la transition."

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous