Le premier cas de nouveau coronavirus avait été déclaré au Yémen le 10 avril dernier.
Cela fait donc 10 semaines que le virus a officiellement fait son entrée au sein d’une population yéménite affaiblie par plus de 5 ans de guerre. Cette arrivée du virus, les ONG actives dans le pays la soupçonnaient alors depuis plusieurs jours déjà. La cheffe de mission de MSF au Yémen disait à la RTBF, le 12 avril, en craindre la prolifération dans une population civile très vulnérable.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Quelle est la situation des civils face au virus, au cœur de la "pire crise humanitaire du monde", selon l’expression de l’ONU ?
"Le bilan du Coronavirus est clairement sous-estimé"
L’Organisation Mondiale de la Santé (l’OMS) rapporte aujourd’hui 923 cas de nouveau coronavirus au Yémen dont 252 décès.
Mais "ce bilan est clairement sous-estimé" nous explique Caroline Seguin, responsable des opérations pour le Yémen pour Médecins Sans Frontières. "Très peu de tests sont effectués. Donc il ne faut pas se baser sur le nombre de cas ou de morts rapportés, ils ne correspondent pas du tout à la réalité."
Et cette réalité est plus problématique que les chiffres de l’OMS ne le laissent penser.
Peu de malades sont testés et de nombreux décès probablement liés à l’épidémie ne sont pas comptabilités comme tels.
"Nous n’avons déjà pas de quoi les tester tous les patients qui nous arrivent, mais il y a encore moins de possibilités de tester les morts dont le décès est suspect" commente la responsable MSF. "Mais pour donner un ordre de grandeur, on a réussi à récolter les données des enterrements pour la ville d’Aden : on était en moyenne à 12 enterrements par jour avant le Coronavirus. Et il y a quelques semaines, on est monté à 80 enterrements par jour. Je pense qu’une grande partie de ces décès-là étaient liés au Covid-19."
Si dans un premier temps, l’épidémie était présente dans les villes, les cas se multiplient à présent dans des villages, plus éloignés des centres de soins.
Un système de santé à plat, des hôpitaux qui ferment
Il y a quelques semaines, la situation était critique, explique Caroline Seguin.
"Il y a quelques semaines, nous étions complètement débordés par des patients qui arrivaient morts ou sur le point de mourir. A présent, la réponse par rapport à l’épidémie s’est améliorée, plusieurs centres dédiés au Covid-19 ont ouvert. Mais l’arrivée tardive des patients reste un problème majeur."
Des centres qui tentent de pallier les carences d’un système de santé qui s’est écroulé.
"Déjà avant le Covid, après 5 années de guerre, l’accès aux soins était devenu difficile" constate la responsable des opérations MSF au Yémen. "Mais avec l’épidémie, des hôpitaux ont carrément fermé, parce que le personnel n’avait pas de protection, pas de masques, etc. Ils ont préféré fermer les hôpitaux plutôt que se retrouver avec des épidémies dans leur personnel. A Aden la quasi-totalité des hôpitaux du ministère de la santé ont fermé. Alors qu’on aurait dû au contraire avoir plus de lits".
Ces fermetures auront eu des conséquences bien au-delà du coronavirus.
"Cela aura eu un impact certainement très négatif sur la mortalité de la population" commente Caroline Seguin. "Nous nous sommes retrouvés vraiment seuls pour faire face à l’épidémie de Covid mais aussi aux autres besoins médicaux essentiels de la population."
Face à cela, les humanitaires au Yémen ont dû travailler en vase clos, sans possibilité de relais ni de renfort de l’extérieur pendant des semaines. Et aujourd’hui encore en grande difficulté de réapprovisionnement en matériel.
Le Coronavirus n’aura pas apporté la trêve
En toile de fond de l’émergence du virus, la guerre. Un conflit armé de plus de 5 ans entre rebelles Houtis, soutenus par l’Iran, et la coalition qui appuie le gouvernement, soutenue par l’Arabie Saoudite. Il a causé la mort de plusieurs dizaines de milliers de civils depuis 2014.
Ces combats ont poussé sur les routes 3,6 millions de Yéménites, déplacés dans leur pays.