Vos données médicales sont revendues, vous le saviez?

La Mutualité chrétienne a découvert cette situation car un directeur d’hôpital a sonné l’alerte, refusant de signer le contrat avec la société Quintiles IMS. La Mutualité chrétienne ne souhaite pas communiquer le nom des hôpitaux qu'elle a identifiés.

© BORIS HORVAT - AFP

Lorsque vous êtes hospitalisé, une quantité de données sont stockées par l’hôpital: les médicaments que l’on vous a administrés, votre pathologie, les médecins et les spécialistes qui se sont penchés sur votre cas. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est qu’à votre sortie, l’hôpital revend ces données à des sociétés commerciales, pour de l’argent.

Grâce à cette pratique, l’industrie pharmaceutique peut savoir précisément ce que tel hôpital consomme comme médicaments, et comment tel spécialiste traite une pathologie spécifique. Un vrai jackpot en termes de marketing.

"C’est scandaleux!", s’insurge Jean Hermesse. Le patron de la Mutualité chrétienne (MC) vient de découvrir cette situation. "C’est tout simplement de la marchandisation des données médicales". Le patient n’a pas donné son consentement mais les données sont anonymisées. "Il n’empêche, explique Jean Hermesse, cela doit être un débat public. Ces données ont été produites par du personnel (facturation, encodage, prestation) financé par de l’argent public. Les patients ont remis à l’hôpital ces données en toute confiance, sans savoir qu’on en faisait du business! Depuis quand finance-t-on le secteur des soins de santé avec du commerce!"

Comment le système fonctionne-t-il?

La Mutualité Chrétienne a identifié une société, QuintilesIMS au cœur de ce système, chez nous. Depuis mai 2014, cette multinationale américaine a acheté un logiciel belge de gestion de données médicales, Forcea. Ce logiciel est beaucoup utilisé dans les hôpitaux en Belgique. Grâce à cette acquisition, Quintiles IMS propose à présent aux hôpitaux de lui fournir les données du logiciel pour les revendre à un tiers. Nous nous sommes procurés un contrat proposé aux structures hospitalières. La convention proposée à l'hôpital explique clairement que les "résultats de l'activité" seront mis à disposition "de tiers".

Extrait d’une convention entre la société Quintiles et un hôpital.
Extrait d’une convention entre la société Quintiles et un hôpital. © Tous droits réservés

QuintilesIMS est une multinationale américaine qui pèse plus de sept milliards de dollars. La société retravaille les données pour les revendre. "Ce n’est pas une firme caritative. On sait tous où vont ces données, à l’industrie pharmaceutique!, explique Jean Hermesse. Elles peuvent aussi atterrir dans les mains des assureurs". Au moins quinze hôpitaux en Belgique pratiquent cette vente de données, selon la Mutualité chrétienne.

Le couplage des données pharmaceutiques, pathologiques et de facturation permet en effet d’avoir une connaissance précise des pratiques médicales dans les différents hôpitaux "partenaires". Grâce aux données, on peut connaitre la consommation de médicaments dans l’hôpital concerné, grâce à la nomenclature des facturations, on sait quel type de spécialiste a prescrit quel traitement et dans quel service de l’hôpital.  "C’est du bain béni en termes de marketing, pour cibler des actions commerciales, s’insurge le patron de la MC "surtout lorsqu’on sait que les dépenses marketing du secteur pharmaceutique dépasse les dépenses de recherches scientifiques".

Les données sont revendues pour une dizaine de milliers d’euros. "Pour un hôpital de 500 lits, cela tourne autour des 12 000 euros. Une somme, en plus, dérisoire par rapport à la valeur de ces données", précise Jean Hermesse. 

Nous avons tenté d'obtenir des précisions auprès de Quintiles IMS, sans succès.

 

extrait d’une convention entre la société Quintiles et un hôpital.
extrait d’une convention entre la société Quintiles et un hôpital. © Tous droits réservés

Est-ce légal?

"Il faut que les fichiers soient des fichiers codés et que le résultat statistique ne puisse permettre de reconnaître personne", explique Stefan Verschuere, vice-Président de la Commission de la protection de la vie privée. "Ce sont des matières sensible, ce qui peut être critiquable, c'est une certaine collusion médico-pharmaceutique où les responsables d'hôpitaux vendent des données pour favoriser la vente de médicaments. Éthiquement, cela peut être critiquable, mais cela n'atteint pas les principes de la protection de la vie privée parce qu'on ne sait pas quel patient cela concerne".

Pourquoi l’hôpital collecte toutes ces données? C’est tout simplement une obligation pour que le système de remboursement soit opérationnel, pour les contrôles, pour des questions de gestion de la santé publique. "Ces données servent normalement aux différents acteurs publics pour améliorer la qualité des soins, explique le patron de la Mutualité chrétienne. Non pas pour qu’à l’insu des patients, en toute discrétion, on les revende et que l’hôpital soit payé".

La Mutualité chrétienne a découvert cette situation car un directeur d’hôpital a sonné l’alerte, refusant de signer le contrat avec la société Quintiles IMS. La Mutualité chrétienne ne souhaite pas communiquer le nom des hôpitaux qu'elle a identifiés.

Jean Hermesse, le patron de la Mutualité chrétienne, a dénoncé cette situation ce vendredi dans "Matin Première."

La version complète de la convention entre la société Quintiles et un hôpital:

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