Vortex polaire : faut-il vraiment en avoir peur ?

Vortex polaire : faut-il vraiment en avoir peur ?

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Par Météo RTBF avec Laboratoire de Climatologie - ULiège

    Lorsque nous entendons ou voyons "vortex polaire" dans certaines prévisions météorologiques en Belgique ou lorsqu’une ville entière est gelée comme le montrent les images de l’année 2019 à Chicago, cela réveille une peur d’être complètement gelé. Pas de panique, on vous explique le phénomène.

    L’étymologie des deux mots n’est certes pas rassurante : vortex du latin vortex ou vertex, de vertere, vortere : "tourner" et polaire du latin polaris "de pôle". Il est par conséquent humain d’avoir le trouillomètre à zéro lorsque la température passe en dessous de zéro !

    Qu’est-ce que c’est qu’un "vortex polaire"?

    Comprendre le vortex polaire grâce au flan au caramel

    Alors oui, c’est vrai, l’idée vous paraît saugrenue… Mais faites-nous confiance !

    Visualisez la table sur laquelle se trouve l’assiette sur laquelle se trouve le flan constitué de lait gélifié et, au-dessus, la couche de caramel. Pour cette expérience on vous propose d’habiter au Pôle Nord le temps de l’explication.

    Commençons !

    • Lorsque nous mangeons, nous passons à table. La table est l’endroit où nous prenons nos repas. En météorologie, les phénomènes météorologiques se savourent dans la troposphère (entre la surface et environ 10 km d’altitude chez nous contre 12 km d’altitude au Pôle ; c’est la zone de l’atmosphère qui interagit avec la surface).
    • Sur la table, avant de servir notre repas, on dépose d’abord une assiette. Le repas sera ensuite posé sur l’assiette qui est donc à une altitude plus haute que la table. En météorologie, entre 10 et 50 km se situe la stratosphère où se trouve la couche d’ozone.
    • Le flan sera donc posé sur l’assiette. Imaginez que pour que le caramel ne s’écoule pas, il y ait un courant qui le maintienne en permanence au-dessus du lait gélifié (vous pouvez carrément imaginer un cercle de vent qui empêche par sa force le caramel de glisser sur le lait gélifié). En météorologie, ce courant est le courant jet situé à proximité de la tropopause (située à 10 km d’altitude entre la troposphère et la stratosphère) Le jet-stream est la frontière entre l’air doux des tropiques et l’air froid des pôles. Dans notre exemple, c’est la frontière entre le caramel et le lait gélifié.
    • Au-dessus de ce cercle de vent qui empêche notre caramel de couler (le Jet-Stream), se trouve un autre courant dans la stratosphère cette fois, qui va dans la même direction que le premier. En météorologie, cela s’appelle le jet stratosphérique de la nuit polaire.
    • Pour l’instant, notre caramel reste au-dessus du lait gélifié, car le premier courant (jet Stream) le maintien au-dessus, le second courant (jet stratosphérique de la nuit polaire) circule dans le même sens.

    Le décor étant planté, concentrons-nous sur la météorologie !

    Le vortex polaire est un dôme d’air froid qui se crée en hiver dans la moyenne et haute troposphère mais aussi dans la stratosphère jusqu’à environ 30 km d’altitude au niveau des pôles. En hiver comme il y a moins de soleil, la troposphère se refroidit mais il y a aussi moins d’ultraviolets captés par l’ozone dans la stratosphère et donc elle aussi se refroidit même si elle n’est pas en contact avec la surface. L’air dans la stratosphère aura alors une température de l’ordre de -70°C à -80°C. Le jet stratosphérique polaire (dans la stratosphère) et le jet-stream (dans la troposphère) vont maintenir cet air froid concentré au Pôle Nord en circulant d’ouest en est et en empêchant l’air chaud de pénétrer dans ce dôme d’air froid.

    Inversement du vent à 10 hPa (stratosphère) et 100hPa (tropopause)
    Inversement du vent à 10 hPa (stratosphère) et 100hPa (tropopause) © P. Newman (NASA) E.Nash (SSAI), S. Pawson (NASA)

    Pourquoi le phénomène du vortex se produit-il ?

    Il arrive parfois que brusquement, la température de cet air froid dans la stratosphère augmente très rapidement, par exemple de +60°C en quelques jours. On se retrouve alors avec des températures de -20°C à -10°C. Cette augmentation de température va inverser le sens de circulation du jet stratosphérique de la nuit polaire.

    Son sens de circulation étant inversé, cela va perturber le jet-stream qui maintenait jusqu’ici l’air froid au-dessus du Pôle Nord dans la troposphère. Celui-ci peut alors ralentir, devenir plus sinueux ou même se casser (on parle alors d’un crash du vortex polaire).

    (En bleu l’air froid, en jaune l’air chaud) Perturbation progressive du jet-stream
    (En bleu l’air froid, en jaune l’air chaud) Perturbation progressive du jet-stream © Tous droits réservés

    Cela va alors permettre à l’air chaud de rentrer dans le dôme d’air froid ce qui va pousser l’air froid qui y était vers des régions qui n’ont pas l’habitude de recevoir un froid intense. Exemples : février 2012 et mars 2018. Il faut compter typiquement 3 à 5 semaines entre un réchauffement soudain dans la stratosphère comme observé au début de ce mois et une éventuelle perturbation du jet-stream dans la troposphère.

    Dans notre exemple, le caramel va donc pouvoir descendre sur le lait gélifié, glisser sur l’assiette ou peut-être même se retrouver sur la table… !

    Gare aux analogies !

    Dans le passé, lorsque les outils et les connaissances en météorologie étaient moins évolués (notamment les modèles), il était normal de comparer les situations météorologiques. Certains comparent ainsi la situation de 1928-1929 avec la situation météorologique du mois de janvier 2021. Les experts de l’Université de Liège (ULiège) nous rappellent que la température globale a augmenté de 1°C et de plus de 3°C en Arctique depuis les années 20. Donc même si la situation météorologique aujourd’hui était similaire à celle de 1928-1929… L’air y serait moins glacial !

    Faut-il avoir peur du vortex polaire ?

    Nous avons posé la question à Xavier Fettweis et Sébastien Doutreloup du laboratoire de climatologie de l’ULiège.

    Le vortex polaire a subi récemment des changements entraînant une modification du vent stratosphérique (voir le comparatif des 2 images entre janvier 2020 et 2021 ci-dessous) mais cela ne signifie pas nécessairement que le temps va devenir glacial chez nous.

    Si l’on reprend notre exemple : lorsque le caramel glisse sur le flan puis sur l’assiette et éventuellement sur la table, la température du caramel qui se trouve sur la table sera moins basse que lorsqu’elle était maintenue au sommet du flan. Par conséquent, lorsqu’une situation similaire se présente chez nous, les conséquences ne seront pas aussi intenses que dans des pays comme la Russie ou encore le Canada qui se situent à des latitudes plus élevées que la Belgique.

    Ces changements dans la stratosphère favorisent donc à plus basses altitudes des descentes d’air polaire jusqu’aux latitudes moyennes de l’hémisphère nord. Donc, en toute logique, la Belgique pourrait être concernée avec la même probabilité que la Russie ou les Etats-Unis mais dans les faits, c’est différent.

    Car l’air glacial arctique privilégie généralement le Canada, les Etats-Unis et plus à l’est la Sibérie. Pour atteindre l’Europe occidentale, l’air froid doit passer au-dessus de l’Océan Atlantique et par conséquent il se radoucit car l’eau qui a une grande inertie thermique se trouve à une température plus élevée. En arrivant chez nous, cet air polaire n’est donc plus vraiment glacial. De plus, nos régions sont également protégées par une circulation d’ouest (la dépression permanente d’Islande) qui généralement repousse l’air froid vers la Russie.

    Mais, il est tout de même possible que de l’air polaire arrive chez nous, en cas de courant de nord-est si par exemple, le fameux "Moscou-Paris" peut se mettre en place et nous apporter directement de l’air très froid mais cela reste beaucoup moins probable que dans d’autres régions de l’hémisphère nord.

    Bref, vous l’aurez compris, les prévisions de l’impact du vortex polaire sur notre temps restent délicates et avec ces informations, l’évocation du vortex polaire ne devrait plus vous faire si peur. N’oublions pas que le froid en hiver, c’est comme un train qui arrive à l’heure !

    Janvier 2020 / janvier 2021

    Janvier 2020
    Janvier 2021

    Un vortex polaire en bonne santé ?

    L’état du vortex polaire peut notamment être visualisé en temps réel à l’aide l’indice AO (Arctic Oscillation) qui jauge le dynamisme de la circulation atmosphérique dans l’hémisphère nord. Si cet indice est > 0, cela suggère que le vortex est en forme et que le jet-stream empêche l’air froid de s’écouler vers les moyennes latitudes. S’il est < 0, cela suggère que le vortex et le jet-stream sont moins forts que d’habitude et que de l’air froid peut alors s’échapper du Pôle si le jet-stream se met à osciller.

    Pour être encore plus clair : l’hiver passé, où on n’a pas eu d’hiver, cet indice est resté tout le temps positif. Cet hiver, l’indice est négatif depuis le début de l’hiver et les prévisions à moyen terme suggèrent que cette phase négative pourrait continuer en partie en février mais cela ne veut pas dire que nécessairement l’air froid va arriver à nos portes.

    © National Climatic Data Center, National Oceanic and Atmospheric Administration

    Vous avez apprécié cet article ? Et si on vous proposait aussi de vous pencher un peu plus sur ce que sont les fameuses "températures normales de saison"? 

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