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Voix de France : le grand écart de la droite traditionnelle française sous l’ère Pécresse

Par Johanna Bouquet avec Quentin Warlop et Marc Sirlereau via

Ce samedi a eu lieu le grand meeting de la candidate des Républicains, Valérie Pécresse. 7500 personnes réunies au Zenith de Paris. Mais c’est un meeting qui laisse un goût d’inachevé chez les observateurs et observatrices qui ont pu y assister.

D’un côté, une scénographie réussie et une ferveur chez les sympathisants. Mais de l’autre, un discours plus prompte à la punchline qu’aux vraies mesures. Difficile de voir en quoi elle se démarque de ses prédécesseurs.

Et surtout, un discours qui fait le grand écart entre des mots très durs sur les questions d’immigration et d’insécurité, rappelant nettement ceux d’Eric Zemmour ou de Marine Le Pen et des mesures plus libérales, qui ne permettent pas nécessairement à Valérie Pécresse de se distinguer pleinement de son principal adversaire dans cette course à l’Elysée : Emmanuel Macron.

Bref, un exercice d’équilibriste sur un fil tendu qu’ont tenté de décrypter Quentin Warlop, journaliste de la rédaction internationale de la RTBF, Marc Sirlereau, journaliste de la cellule politique de la RTBF et Bruno Jeudy, spécialiste de la droite française et rédacteur en chef du service politique et économie du journal Paris Match.

Où se situe Valérie Pécresse ?

A la fin de ce meeting très attendu, il est toujours actuellement difficile de savoir où se situe précisément Valérie Pécresse et quelle droite elle souhaite incarner. Se pose même la question de savoir si elle parvient à en incarner une différente de celles que l’on a connues par le passé, tant les références à ses prédécesseurs sont nombreuses.

Il faut dire, dans un premier temps, que les grands discours ce n’est pas forcément son truc. Au début de son discours long de plus de 20 pages, en tout cas, elle a eu du mal à capter l’audience, à poser sa voix, à dépasser les applaudissements.

Elle est plus douée dans l’exercice des débats et de l’improvisation, pointe Bruno Jeudy. Sur le fond, "il n’y a pas vraiment eu de surprises, c’est un discours de droite traditionnel", indique de son côté Marc Sirlereau. C’est donc une "mention passable" qui est octroyée à la candidate LR à la fin de près d’1h30 de discours.

Mais revenons au fond : tout au long de son discours, elle est finalement restée assez "classique" en se reposant sur ses prédécesseurs. Pour Bruno Jeudy, "c’était un discours conservateur d’une droite où elle a essayé d’apporter sa touche, lorsqu’elle parle de la France des cathédrales à la France des satellites, elle essaie aussi d’apporter sa touche de modernité. Mais ensuite elle a décliné des thèmes très classiques de la droite conservatrice française". Tout le programme y est passé, mais sans grandes surprises.

On ne sait pas quelle est la ligne ou la mesure forte qu’il y a dans le programme de Valérie Pécresse.

"On ne sait pas aujourd’hui quelle est la ligne de Valérie Pécresse par rapport à Emmanuel Macron. Comme lui, elle est europhile et libérale. Et puis, sur le régalien, sur l’immigration, sur l’insécurité – dont elle parle comme le boulet d’Emmanuel Macron -, quand on l’entend, elle va un peu dans le même sens que Le Pen et Zemmour mais en plus modérée. Donc, on ne sait pas quelle est la ligne ou la mesure forte qu’il y a dans le programme de Valérie Pécresse", détaille Marc Sirlereau.

Aujourd’hui Valérie Pécresse est condamnée à faire ce grand écart

Bruno Jeudy nuance : "de tout temps, les candidats de droite ont dû faire la synthèse entre la droite bonapartiste, la droite gaulliste, la droite libérale au sens giscardien du terme et la droite centriste, les démocrates chrétiens… Et il faut toujours faire la synthèse entre ces trois droites. C’est ce qu’essaye de faire Valérie Pécresse […]. Aujourd’hui Valérie Pécresse est condamnée à faire ce grand écart […]".

In fine, cela reste compliqué de savoir ce qu’est la droite traditionnelle sous l’ère de Valérie Pécresse sur le plan des idées et de comprendre ce qu’elle souhaite incarner de nouveau par rapport à la lignée de droite qu’elle représente. Que veut-elle de neuf pour sa "nouvelle France"? Le meeting de ce samedi ne nous a pas permis d’en savoir plus.

Quid de sa position sur l’échiquier de la course à l’Elysée ?

Alors qu’en est-il de l’aspect plus stratégique dans la course à la présidentielle ? A ce niveau, où se situe la candidate ?

Parmi les nombreux chiffres qui égrènent la campagne, Bruno Jeudy pointe qu’aujourd’hui "elle ne dispose que de 50% des voix qui s’étaient portées sur François Fillon en 2017. 25% vont sur Emmanuel Macron et entre 15 et 20% sur Eric Zemmour". Et d’ajouter, "le challenge de Valérie Pécresse, c’est de récupérer ces voix perdues. Alors est-ce qu’elle les prendra chez Eric Zemmour ou chez Emmanuel Macron ? L’orientation de la campagne le dira, mais aujourd’hui elle n’a pas vraiment fait le choix".

Valérie Pécresse n’a jamais prononcé les noms de Marine Le Pen ou encore d’Eric Zemmour. Il s’agit d’une vieille tradition française des discours politiques de ne pas prononcer les noms de ses adversaires. En revanche, elle a invectivé, et même "accusé", Emmanuel Macron, clairement désigné comme son principal adversaire.

Techniquement, c’est malin ! La candidate se place inéluctablement comme étant au 2e tour et comme si les autres candidats n’existaient pas. Se plaçant, par la même occasion "en seule véritable alternative à Emmanuel Macron", comme le précise Marc Sirlereau. "C’est bien joué d’une certaine manière quand elle dit 'là on est à deux et ça va se jouer entre moi et Emmanuel Macron'. C’est tactique et stratégique", ajoute-t-il.

Pourtant, sur l’immigration par exemple, elle a été sur une ligne très dure de la droite traditionnelle. Elle a parlé de vouloir "construire des murs".

Mais elle a surtout déclaré qu’il n’y a "pas de fatalité. Ni au grand remplacement ni au grand déclassement. Je vous appelle au sursaut." Cette référence directe à Zemmour "dont elle a cherché à se distinguer", n’a laissé personne indifférent, faisant les Unes de la presse française. Comme l’explique France Info, la référence au "grand remplacement", théorie complotiste de l’extrême-droite, n’avait jamais été utilisée par un représentant LR.

"C’est à la fois faire, dans la même phrase, un strike entre Emmanuel Macron pour le grand déclassement et à Eric Zemmour pour le grand remplacement", pointe Bruno Jeudy.

"Pour le premier tour en tout cas, ses véritables adversaires sont Marine Le Pen ou Eric Zemmour, puisque dans les derniers sondages elle est toujours au coude-à-coude avec eux", analyse Marc Sirlerau.

Soutiens, m’entendez-vous ?

Si au début de sa campagne, il y a eu "un petit moment d’euphorie" autour de la candidature de Valérie Pécresse, avec des sondages la créditant entre 14 et 16 points d’intentions de vote, voire un sondage qui la plaçait au deuxième tour, il semble que l’état de grâce laisse place aujourd’hui à celui de la difficulté.

Actuellement, les sondages ne sont pas en odeur de sainteté pour la candidate. "Aujourd’hui, c’est véritablement un match à trois qui se joue. Personne ne peut dire si ce sera Marine Le Pen, Valérie Pécresse voire Eric Zemmour, qui a une petite dynamique (qui se trouvera au deuxième tour, ndlr)".

L’autre grande problématique pour Valérie Pécresse, c’est l’affirmation de ses soutiens au sein de sa famille politique. Et surtout d’un en particulier, "le parrain de la droite" : Nicolas Sarkozy.

Il faut dire que ce dernier se fait attendre. Longuement. "Il y a un énorme doute sur Nicolas Sarkozy. Et ça pour le coup, c’est un énorme problème pour Valérie Pécresse", pointe Bruno Jeudy. "Ça reste quelqu’un qui a une aura, un véritable ascendant sur sa famille politique", ajoute-t-il.

A la veille du meeting, l’ex-président et la candidate se sont vus. C’était prévu. Mais, selon les observateurs, il se chuchote qu’il n’est pas particulièrement fan de la candidate, lui préférant Rachida Dati ou encore Rama Yade, anciennes membres de son gouvernement. "Ce qui est étonnant c’est qu’il ne soit pas derrière elle maintenant. Elle en aurait bien besoin", indique Marc Sirlerau.

Et ça, Valérie Pécresse le sait. Elle n’est pas assez solide dans la compétition pour se passer de ce soutien.

Pire, il semblerait que l’ancien président de la République se poserait la question de savoir à qui il donnerait son soutien : Valérie Pécresse ou… Son principal rival, Emmanuel Macron. "Je n’aurais pas forcément dit ça, il y a deux mois. Mais là je sens bien que les choses sont en train de mal s’emmancher", indique Bruno Jeudy, spécialiste de la droite française. Et d’ajouter, "il y a quelque chose qui s’apparente à du sabotage pour Valérie Pécresse, le mot est fort mais ça s’apparente à ça […] Il y a pour le moment clairement une défiance entre les deux".

"Je crois que, soit on se dirige vers un soutien a minima, si les chances de Valérie Pécresse d’atteindre le second tour sont moyennes. S’il y a peu de chances, il soutiendra directement Emmanuel Macron et cela en sera fini des chances de Valérie Pécresse", analyse Bruno Jeudy.

Mais comment gagner en stature présidentiable, sans le soutien franc et massif du "parrain" ? Pourtant, ce meeting était l’occasion ou jamais pour Nicolas Sarkozy de se positionner. Et il ne l’a pas fait.

Au rang de ses soutiens, on compte les battus de la primaire "et des députés, Rachida Dati qui est une proche de Nicolas Sarkozy, qui avait aussi des remarques sur la campagne de la candidate et de son directeur de campagne, et Gérard Larcher, le président du Sénat, qui apparaît là comme "un vieux sage", c’est celui qui colmate un peu les brèches. Pas beaucoup de jeunes. Pas beaucoup de nouvelles femmes, ce qui pose un peu problème", indique Marc Sirlereau.

A cela s’ajoutent plusieurs défections assez symboliques. Notamment celles d’Eric Woerth, ancien ministre du budget de Nicolas Sarkozy qui rejoint le camp d’Emmanuel Macron. Autre prise de guerre pour l’actuel président, la maire de Calais, symbole des crispations autour des questions d’immigration, Natasha Bouchard. Deux défections importantes, ou du moins hautement symboliques, qui mettent encore un peu plus à mal la candidate des Républicains. De plus, ces défections pourraient en entraîner d’autres.

Entre une ligne qui reste peu claire et qui ne permet pas de distinguer Valérie Pécresse des autres candidats et une confiance qui semble peu enthousiaste dans les rangs de sa propre famille politique, difficile de dire à quoi ressemble la droite traditionnelle française sous l’ère Pécresse.

Il semble même que cette "ère Pécresse" peine à s’affranchir de ses prédécesseurs et donc à exister par elle-même. "Ce meeting ne va pas permettre de relancer sa campagne, cela risque donc de rester serré", estime Bruno Jeudy.

Et d’ajouter, "ce que je vois comme difficulté pour Valérie Pécresse se dresser dans les prochains jours, c’est que dans la guerre à mort que se livrent Marine Le Pen et Eric Zemmour, il y en a forcément un qui va baisser. Si à ce moment-là Valérie Pécresse ne parvient pas à redresser la barre, elle ne pourra pas être au deuxième tour".

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