Selon Amnesty International, une femme sur quatre a déjà vécu des cyberviolences. Et le monde universitaire ne fait pas exception à la règle. À l’occasion de la journée mondiale contre les violences faites aux femmes, l’équipe en charge de la politique du genre à l’UCLouvain publie une carte blanche intitulée "Vers une université exempte de (cyber) violences basées sur le genre".
Il suffit de très peu pour que commence le cyberharcèlement : une intervention dans les médias, ou un post sur les réseaux sociaux. Non pas à titre personnel, mais dans le cadre d’une fonction. C’est aussi simple que cela : un ou une académique prend un jour la parole publiquement sur son domaine d’expertise, et le voilà potentiellement cyberharcelé.
Comme le rappelle Tania Van Hemelryck, conseillère du recteur à la politique de genre à l’UCLouvain, "personne n’est épargné, l’Université n’est pas une tour d’ivoire."
►►► À lire aussi : La secrétaire d’Etat Sarah Schlitz sur la lutte contre les violences sexuelles : "Nous sommes dans une période de changement"
"Tous les membres de l’Université qui prennent la parole dans les médias, qu’ils soient traditionnels ou des réseaux sociaux, le font dans le cadre de leur expertise. Et parfois ils exposent des positionnements scientifiques qui ne sont pas acceptés ou acceptables par certaines personnes. Ils subissent alors des violences", ajoute-t-elle.
"Un prisme genré"
Cette réalité n’épargne pas les membres de l’Université de genre masculin. Mais les femmes risqueraient 27 fois plus que les hommes d’être harcelées en ligne, selon le European Women’s Lobby.
Par ailleurs, lorsqu’une femme est harcelée, elle ne reçoit pas le même type de remarques que ses confrères. Dans les interpellations qu’elles reçoivent, les femmes sont insultées, objectifiées et ramenées à ce que l’on pense être leur "condition" de femme.
Les femmes sont beaucoup plus intimidées, renvoyées à leurs casseroles. On les interroge sur leur maternité supposée, etc.
"Les femmes sont beaucoup plus intimidées, renvoyées à leurs casseroles. On les interroge sur leur maternité supposée, etc.", confirme Tania Van Hemelryck.
A noter qu’il ne faut pas nécessairement traiter de sujets genrés pour subir du harcèlement. Les académiciens du monde scientifique peuvent eux aussi en être victime. C’est le cas de l’immunologue Sophie Lucas. "Nous aussi, comme n’importe qui d’autre, nous sommes exposés à ce type de problème quand on prend la parole publiquement."
L’autocensure
L’écueil, dans ce genre situation, c’est de commencer à s’autocensurer. Si Tania Van Hemelryck et Sophie Lucas refusent de filtrer leurs propos et de céder aux intimidations, elles avouent tout de même y avoir déjà songé.
"Il est vrai que je ne tweete que des choses qui sont liées à l’exercice de ma fonction, par rapport à des événements institutionnels. Je réfléchis à deux fois avant de retweeter certaines choses. Mais parfois, je décide de ne plus m’autocensurer. Parce que sinon la victoire est gagnée par rapport aux violences faites aux femmes", explique la conseillère du recteur à la politique de genre à l’UCLouvain.
►►► À lire aussi : #DoublePeine : "En Belgique, 70% des plaintes relatives aux violences sexuelles sont classées sans suite"
"C’est chaque fois tellement heurtant qu’on se dit que la prochaine fois, on tournera sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. La tentation est donc grande de s’autocensurer, parce que c’est blessant. Mais jusqu’à présent je ne suis jamais allée jusqu’à l’application de cette autocensure", explique l’immunologue.
Alerter le monde académique
L’objectif de cette carte blanche ? Alerter le monde académique sur ce fléau. "Nous voulons alerter les autorités académiques, le législateur et notre ministre de tutelle sur l’importance de prendre ce cyberharcèlement à bras-le-corps. Et d’y inclure toutes les personnes qui, avec leur expertise, dans l’exercice de leur fonction et de leur métier, se font harceler."
Des délits toujours plus nombreux
Selon une étude publiée par Amnesty International menée dans plusieurs pays, une femme sur quatre a déjà vécu du cyberharcèlement.
En Belgique, en 2019, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes recensait 2349 signalements, dont 254 plaintes. C’était déjà trois fois plus qu’en 2018. Et selon l’Institut, il ne s’agit que de la pointe de l’iceberg car beaucoup de victimes ne se signalent pas. Près de sept signalements sur dix ont été introduits par des femmes.
Les hommes sont également concernés mais neuf victimes sur dix de cyberviolence sont des femmes, selon la commission Jeunesse du conseil des femmes francophones de Belgique.
Déjà des condamnations juridiques
Que risque l’auteur de cyberviolence ? Le sexisme est considéré comme une infraction. L’auteur risque donc une peine de prison d’un mois à un an et/ou une amende de 50 à 1000 euros.
Mais selon l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, la loi contre le sexisme dans l’espace public doit être améliorée notamment sur trois points : la difficulté de récolter des preuves, la prise en compte des plaintes et la protection des témoins.