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Fasciste, post-fasciste, droite radicale, extrême droite : comment qualifier Fratelli d'Italia, le parti vainqueur des élections en Italie ?

La dirigeante de Fratelli d'Italia Giorgia Meloni, s'adresse à ses partisans après sa victoire aux élections générales italiennes, le 26 septembre 2022 à Rome, en Italie.

© Alessandra Benedetti - GETTY IMAGES

Italie : le parti post-fasciste de Georgia Meloni en tête” , “En Italie : avec Giorgia Meloni, le post-fascisme au pouvoir”, “La post-fasciste Giorgia Meloni, nouvelle leader en Italie”. Tous les titres sur les résultats des législatives italiennes comportent ce terme : “post-fascisme”. Que désigne-t-il exactement ? Quelles différences avec le fascisme et le néofascisme ? (Re) posons les bases. 

Fascisme

En commençant par le fascisme. C’est d’abord un parti politique, le parti national fasciste italien qui se développe dans les années 20, sous l’égide de Benito Mussolini, et qui repose sur plusieurs éléments fondamentaux.

Premièrement, la volonté de créer un homme nouveau", détaille Benjamin Biard, chargé de recherche au CRISP et chargé de cours à l’UCLouvain. "Deuxièmement, un répertoire d’actions particulièrement violent. Il y a dans le fascisme une certaine forme de culture révolutionnaire, pour justement créer cette société nouvelle, cet homme nouveau. Enfin, troisième élément, une certaine conception de l’État, qui doit être un État fort, fut-il dictatorial, pour rétablir une certaine forme d’ordre au sein de la société.

Le mot "fascisme" est régulièrement galvaudé ; il est souvent utilisé comme synonyme d’”extrême droite”. Or, pointe Benjamin Biard, il y a des différences fondamentales entre l’extrême droite contemporaine de Marine Le Pen, de Matteo Salvini, ou même de Giorgia Meloni et le fascisme historique.

Pour Matteo Salvini ou pour Giorgia Meloni, le peuple est parfait, il faut justement lui rendre sa souveraineté. Ils n’ont pas la volonté de créer un homme nouveau. Ils ne mobilisent pas non plus, a priori, de moyens d’action violents. Les partis d’extrême droite essaient justement, aujourd’hui, de gagner en légitimité pour se montrer respectable et capable d’exercer la chose publique. Enfin, les extrêmes droites contemporaines ne veulent pas toutes instaurer un régime dictatorial.

Néofascisme

Le néofascisme désigne, lui, les mouvements qui ont repris l’idéologie fasciste juste après la fin de la seconde guerre mondiale et la chute de Mussolini. "En Italie, le Mouvement Social Italien (MSI), est fondé en 1947, par d’anciens fidèles de Mussolini", rappelle Pietro Castelli Gattinara, professeur de communication à l’ULB. "Il participe aux élections dès 1948, et fait directement son entrée au parlement. C’est un parti qui s’inspire directement de l’idéologie fasciste, c’est pour cela qu’on parle de 'néofascisme'.

"On y retrouve les mêmes éléments de base que dans le fascisme : la volonté de créer un homme nouveau, la perspective d’un État fort, une violence institutionnalisée”, complète Benjamin Biard.

Post-fascisme

Le post-fascisme, quant à lui, désigne, selon Pietro Castelli Gattinara, les partis politiques qui prennent explicitement distance avec le fascisme historique, tout en gardant des références symboliques à son patrimoine, à son imaginaire.

"À titre d’exemple, le logo du parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia, représente une flamme tricolore. C’était le symbole du Mouvement Social Italien (MSI), le parti néofasciste sur les ruines duquel est né Fratelli d’Italia.” Une allusion à la flamme qui brûle sur la tombe de Mussolini.

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"Les associations liées à Fratelli portent par ailleurs le nom de grands politiciens fascistes ou néofascistes", poursuit le professeur de communication politique à l’ULB, "comme Giorgio Almirante, le fondateur du MSI, ou Italo Balbo, qui fut notamment ministre sous Mussolini.

Mais sur le fond, pour qualifier l’idéologie de Fratelli d’Italia, le professeur parlerait plutôt d’extrême droite : "On y retrouve des positions néolibérales sur l’économie, une forte opposition aux politiques sociales comme la mise en place d’un revenu universel dont on a beaucoup parlé en Italie, une forte opposition aux droits civils, la valorisation de la famille traditionnelle par opposition à la famille homosexuelle, l’opposition à l’avortement… C’est un parti d’extrême droite moderne, plus proche de ce qu’on a vu en Suède, en Hongrie ou en France.

Le concept n’est pas pertinent parce qu’il fait tenir tout et son inverse dans la même boîte.

Benjamin Biard, chargé de recherche au CRISP, opte lui aussi pour l’étiquette “extrême droite”, et plus précisément “populiste de droite radicale”. Il se montre très critique face au concept de "post-fascisme", qu’il définit d’ailleurs un peu différemment : "On l’utilise pour caractériser le maintien de l’idéologie fasciste à proprement parler mais évacué de certains éléments relatifs à la violence ou visant à instaurer un état totalitaire, débarrassé de la forme traditionnelle qu’épousait le fascisme dans les années 20 jusqu’aux années 40. Le concept n’est pas pertinent parce qu’il fait tenir tout et son inverse dans la même boîte.

Benjamin Biard reconnaît qu’il y a des parallèles entre l’idéologie de Giorgia Meloni et celle du fascisme (exclusions de certaines minorités ethniques ou sexuelles, exclusion de militants de gauche, conservatisme sociétal… ) mais, pour lui, ça ne suffit pas à justifier le recours à l’étiquette "post-fasciste".

Filiation

Il y a effectivement bien un continuum, une filiation, entre le parti de Giorgia Meloni, et le parti national fasciste, rappelle Manuel Abramowicz, spécialiste de l’extrême droite et animateur du site RésistanceS : "Le Mouvement Social Italien, parti néofasciste, arrive au pouvoir, grâce à Berlusconi qui lui offre 4 portefeuilles de ministre en 94, ensuite, il change de nom et devient “Alleanza Nazionale” (Alliance Nationale) (dirigé par Gianfranco Fini, ndlr). Ce parti finira par fusionner avec Forza Italia, le parti de Berlusconi. Ce sont d’anciens militants parmi les plus radicaux de l’Alliance Nationale, dont Giorgia Meloni, qui fonderont finalement Fratelli d’Italia”.

Giorgia Meloni reste ambiguë par rapport à cet héritage. Dans les années 90, Gianfranco Fini, l’ancien secrétaire de l’Alliance Nationale, a pris ses distances par rapport au fascisme, il a reconnu que c’était le mal absolu. “Quand on l’interroge à ce propos, Meloni répond qu’elle ne s’est pas dissociée de lui quand il a dit ça, mais elle ne répète pas la phrase elle-même”, dit Pietro Castelli Gattinara.

“Le néo-fascisme fait partie de sa trajectoire personnelle et politique. Elle et son entourage sont partis de cette mouvance et donc il la représente dans l'espace politique et médiatique. Il y a même pour elle et son entourage, un certain esprit de revanche. Dans un de ses derniers discours, elle a dit que, si elle gagnait, les gens allaient enfin pouvoir s’exprimer publiquement sans avoir honte ou peur de perdre leur travail. Elle est dans un esprit de revanche d’une minorité opprimée.”

Giorgia Meloni sait qu’il y a une certaine nostalgie du fascisme parmi certains segments de la population italienne. "Il y a eu une banalisation du passé fasciste en Italie depuis les années 90.” Cette banalisation lui permet de ne pas renier complètement cet héritage.

Le terme post-fascisme est d'ailleurs utilisé pour souligner cette continuité, cette filiation bien réelle.

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