A lui seul, le polyester représente 52% de la production mondiale. Agir sur la durabilité du polyester peut donc avoir un énorme impact, comme le souligne Textile Exchange. Cette association internationale vise à rendre l’industrie textile plus durable. En 2017, elle a poussé des marques à s’engager publiquement à augmenter de 25% leur utilisation du polyester recyclé en 2020. Symboliquement, cela permettait d’éviter que 2.868.000.000 de bouteilles en plastique ne terminent à la décharge. Cet objectif a été largement dépassé.
Achetez nos vêtements, vous nettoierez les océans.
La plupart du rPet (polyester recyclé) est en effet fabriqué à partir de bouteilles en plastique PET. Une partie est issue des océans. Des entreprises comme l’espagnole Seaqual, ou l’américaine Bionic Yarn proposent des fibres fabriquées à partir de déchets marins. Elles fournissent de petites et grandes marques de mode, qui peuvent alors en faire un argument de vente : “achetez nos vêtements, vous nettoierez les océans.”
En toute transparence, Seaqual explique sur son site que son fil “Seaqual Yarn” contient en fait seulement 10% de plastique marin “upcyclé” et 90% de déchets PET venant de la terre ferme, de foyers français et espagnol principalement. Le polyester recyclé (Seaqual Yarn) de la firme espagnole est donc loin d’être exclusivement marin mais il contribue effectivement à nettoyer les océans, puisque ses partenaires récoltent beaucoup plus de déchets (du plastique mais aussi du verre, du métal, du caoutchouc… ) que ce qu’ils n’utilisent au final.
Recyclage ou décyclage ?
Qu’ils soient faits à partir de bouteilles qui viennent de l’océan, ou de bouteilles qui viennent directement des consommateurs, le polyester recyclé présente plusieurs avantages :
Ces arguments ne convainquent pas les défenseurs de l’environnement. D’abord, il faudrait que les vêtements produits à base de plastique recyclé soient eux-mêmes recyclables. Sinon, on ne fait que déplacer et postposer le problème. Or, on n’y est pas encore. Les tissus sont souvent composés d’un mélange de différentes matières et ça rend le recyclage plus compliqué.
Pour Delphine Lévi Alvarez, coordinatrice du mouvement Break Free From Plastic, “c’est du “downcycling, du décyclage, pas du recyclage, parce qu’il y a une perte de valeur entre ce qu’on récolte (le plastique) et ce qu’on produit (la fibre textile). On ne pourrait pas refaire une bouteille à partir de la fibre, car la matière est dégradée.” Elle défend un autre modèle : “Il vaut mieux faire des bouteilles avec des bouteilles. Elles pourront au moins être recyclées plusieurs fois. L’idée c’est vraiment de maximiser le nombre de cycles que l’on fait avec la matière.”
Pour le moment, on recycle encore très peu les bouteilles en plastique. Alors, autant en faire des vestes, non ? “Non, parce que si on capte la matière, il n’y a plus d’incitation à trouver une solution pour boucler la boucle.”
Les bouteilles à recycler risquent de manquer…
Dans son rapport “Fashion on Climate 2020”, le consultant Mc Kinsey, explique, lui, qu’à terme les bouteilles à recycler risquent de manquer. Un comble. Selon Mc Kinsey, il risque d’y avoir une pression sur l’approvisionnement en bouteilles parce que la demande de l’industrie de l’emballage est de plus en plus grande. “Cela pourrait limiter la part du rPET (polyester recyclé, ndlr) dans l’industrie de la mode à 20% en 2030.”
Autre challenge : le prix du polyester recyclé. Plus le baril de pétrole est bon marché, plus le polyester vierge est bon marché, moins le polyester recyclé (déjà un peu plus cher à la base) est intéressant.
Toujours des microplastiques
Enfin, il y a cet autre problème, majeur : les microplastiques. Quand on lave des vêtements en fibre synthétique, des particules de microplastique s’échappent, et finissent dans nos océans. Selon l’Atlas du plastique, des chercheurs ont montré qu’une lessive de cinq kilogrammes de vêtements entraîne potentiellement le rejet de six millions de microfibres dans les eaux usées ; une simple veste en polaire peut en libérer 250.000. Les tissus fabriqués à base de plastique recyclés en rejettent donc aussi à la mer. (Ce n’est pas vraiment ce genre de boucle qu’on voulait boucler…)
►►► A lire aussi : Pourquoi le recyclage du plastique est-il responsable d’un début de crise à l’échelle mondiale ?
Plutôt que de continuer à recycler des bouteilles, Textile Exchange incite surtout l’industrie à développer le recyclage du textile en textile. Selon l’association, moins d’un pourcent de la production mondiale de textile redevient textile. Dans l’Union européenne, 80% des vêtements finissent soit dans un incinérateur soit sur une décharge. Des recherches sont en cours, tant pour améliorer le recyclage du textile que celui du plastique, ou pour limiter la libération de microparticules.
On pourrait également imaginer réduire la part de fibre synthétique dans nos vêtements, n'y recourir que pour les vêtements techniques, de sport, par exemple, et retourner vers plus de fibres naturelles, comme le coton, pour le reste. Le hic c'est que ces matières-là ont aussi un impact considérable en termes de consommation d'eau ou d'occupation des sols. Pour épargner nos océans comme notre planète, Delphine Alvarez Lévi rappelle qu’il n’y a qu’une voie vraiment efficace : réduire notre consommation. C’est vrai pour les vêtements comme pour le plastique. “Que le polyester soit recyclé ou non, on porte toujours du gaz et du pétrole. Le produit le plus écologique est celui qu’on ne fabrique pas.”