Vos échanges avec Dima sont le fil rouge du film. Comment est née cette idée et cette envie ?
Ma première envie était de réaliser un film historique. Les gens ignorent en effet qu'en cent ans, ce pays a connu trois révolutions, les deux guerres mondiales, une guerre de huit ans, une catastrophe nucléaire et une famine dans les années 30 qui a fait des millions de morts. C’était important aussi que le film aborde l’aspect géopolitique. Et Serge, mon ami producteur, m’a incité à y ajouter une touche personnelle. C'est comme ça que j'ai eu l'idée d'intégrer des conversations avec Dima, un caméraman qui vit à Kharkiv. Le film tresse donc ces trois lignes : historique, géopolitique et humaine.
On ne peut pas comprendre la détermination ukrainienne et cette guerre, sans remonter dans l’histoire de l’Ukraine ?
A quoi servirait l'Histoire si elle ne nous aidait à décrypter le présent et imaginer comment dessiner l'avenir ? On éviterait beaucoup de problèmes si on donnait plus de place à cette discipline. Comme on n'attache pas assez d'importance à nos racines ou aux événements qui déterminent notre identité et notre réel, l'Histoire se répète. Quand je vois des images de la ville de Bakhmout, les tranchées, la boue, les corps... je vois 14-18. On est obsédé par le progrès technologique, mais en fait, on régresse régulièrement d'un point de vue humain.
Pour comprendre les origines du conflit, c’est important aussi de le voir du point de vue russe, de se mettre dans la tête de Poutine ?
J'ai, de fait, essayé par moment de voir les choses du point de vue de Poutine. Il est capital d'essayer de le comprendre. Ce qui, j'insiste, ne veut pas dire justifier ses actes. Il faut faire la différence entre juger les actes de quelqu'un et juger la personne. Je juge les actes de Poutine et j'essaye de comprendre l'homme. Je suis du même signe astrologique que lui : balance. Notre obsession, c'est la justice. Poutine a ressenti une forme d'humiliation dans les années 90. Il veut réparer cela. Il trouve injuste que les USA dictent leurs lois au monde etc...
Vous expliquez aussi les répercussions de cette guerre pour nous en Europe. On pense au prix du gaz mais les conséquences à long terme de cette guerre sont plus vastes que cela ?
En art martial, on dit qu'on ne met pas quelqu'un KO avec un seul coup. Le premier est destiné à déstabiliser l'adversaire, c'est le deuxième qui met à terre. La pandémie était ce premier petit coup. Cette guerre pourrait être celui qui fera vaciller notre système. On ne s'en rend pas compte, mais tout notre système est fondé sur l'énergie : notre économie, notre confort, la sécurité sociale, la santé, l'éducation. Si l'énergie vient à manquer ou si son prix devient impayable (ce qui revient au même), il y a le risque de voir nos démocraties vivre de gros bouleversements, à commencer par la démocratie elle-même.
Dima m'a aidé à réaliser que les Ukrainiens forment un peuple en lutte depuis plus de cent ans pour exister en tant que nation
Vos échanges avec Dima durant un an ont-ils changé votre perception de ce conflit ?
Evidemment. Par exemple, avant ce film, je voyais les Ukrainiens comme des victimes. Dima m'a aidé à réaliser que les Ukrainiens forment un peuple qui lutte depuis plus de cent ans pour exister en tant que nation. Je profite aussi de l'occasion pour m'adresser à mes amis et aux internautes qui cherchent d'une façon ou d'une autre à justifier cette guerre. Pourraient-ils le faire face à Dima qui craint les bombes toutes les nuits depuis 11 mois ou face à Irina qui a dû déménager loin de son mari avec deux enfants et survivre dans un pays qu'elle ne connaît ? Toutes les justifications du monde n'autorisent pas le massacre de civils et les destructions des villes.
Sans la spoiler, il y a quelque chose de lumineux, presque joyeux dans la fin du film. Vous aviez envie de terminer sur une note plus optimiste malgré tout ?
Pour moi, c'est une des plus belles fins de film que la vie m'ait offertes. Impossible de terminer le film avec des solutions à la guerre : je n’ai pas de baguette magique. J’ai donc raconté la réalité de ma rencontre avec Dima. Et soudain, c'est devenu très touchant. Tout simplement.
Zorn Production International, INS Brussels, Arte GEIE en coproduction avec la RTBF