Chroniques

Vacciné, non-vaccinés, où commence la discrimination ?

Les coulisses du pouvoir

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Temps de lecture
Par Bertand Henne

Faut-il serrer la vis envers les non vaccinés ? Face à l’envolée des contaminations, la question est posée. Le ministre de la santé Frank Vandenbroucke plaide pour que les boîtes de nuit, les cafés, la vie nocturne soient réservés aux seuls vaccinés ou guéris de la COVID-19.

Cas d’école

Le débat se tend aussi dans d’autres pays d’Europe. En Autriche, un tiers à peu près de la population n’est pas vacciné et se retrouve strictement confiné. Les sorties des non-vaccinés sont limitées à ce qui est jugé essentiel : courses alimentaires, soins médicaux où en cas de danger immédiat pour la vie, l’intégrité physique et les biens.

Au Pays bas, parmi le train de mesures récemment décidé, le gouvernement prévoit de restreindre l’accès aux restaurants et aux loisirs aux seules personnes vaccinées ou guéries du Covid, et plus à celles personnes présentent un test négatif.

A chaque fois ces mesures sont justifiées par les autorités par la surreprésentation de non vaccinés dans les hôpitaux. Non pas que les vaccinés ne s’y retrouvent plus, mais les non-vaccinés s’y retrouvent statistiquement beaucoup plus favorisant l’engorgement des systèmes hospitaliers.

Tour de vis

Ces exemples donnent des idées, au ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke. Il a plaidé sur VTM ce Week-end pour que le monde de la nuit (discothèques et bars) soit soumis à un "CST renforcé". Le CST serait couplé à un test préalable, mais surtout, les non-vaccinés n’y auraient plus accès. " En ce qui me concerne, la vie nocturne ne devrait être accessible qu’aux personnes vaccinées. Le risque que vous prenez pour vous-même et pour la société en sortant en tant que personne non vaccinée est tout simplement trop grand. “

Les experts du GEMS, qui conseille le gouvernement plaident pour une mesure un peu similaire dans leur tout dernier rapport qui doit servir de base au comité de concertation de ce vendredi.

Est-ce que ce genre de mesure de rétorsion est efficace et légal ? Pour que ce soit légal, il faut justifier la proportionnalité, il faut démontrer que la privation de liberté est justifiée par des critères objectifs (danger pour la santé publique).

Il faut aussi que la mesure n’entraîne pas une rupture de l’égalité entre les citoyens. Or, jusqu’ici le CST peut être utilisé par des non-vaccinés guéris récemment ou testés négatif. Dans une version restreinte aux non vaccinés, il y a un risque que le traitement soit jugé comme discriminatoire par les tribunaux. La jurisprudence de la cour de constitutionnelle sur ce sujet stipule que "l’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause ; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé " (in avis du CCBB du 10 mai 2021).

Ce principe avait conduit UNIA (centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et les discriminations) à conclure dans un avis de mai 2021 que : conditionner l’accès aux biens et services à une vaccination contre la Covid-19 pourrait être considéré comme discriminatoire.

Discriminatoire ?

Le comité consultatif de bioéthique (CCBB) a remis en mai un rapport particulièrement intéressant sur le passe sanitaire. Il jugeait le principe du passe ni déraisonnable ni illégitime. Mais à condition que : Il ne s’agit explicitement pas d’un passeport de vaccination, comme celui utilisé par exemple en Israël, mais d’un certificat qui, par analogie au certificat de l’UE ou du système utilisé au Danemark, octroie l’accès aux visiteurs sur la  base de la vaccination, de l’immunité créée par la maladie ou d’une attestation de test négatif. Aucune discrimination n’est opérée sur la base du  statut vaccinal ni sur la base de l’état de santé : la distinction s’opère sur la base du risque potentiel que représentent les personnes les unes pour les autres. Cette distinction est en soi légitime et est déjà à la base des mesures de quarantaine, par exemple.

Or, en réduisant l’accès à des services aux seuls vaccinés et aux personnes immunisée par une maladie récente, on risque bien de créer une discrimination sur base du statut vaccinal. Dans son avis le CCBB a clairement posé comme condition au passe qu’il intègre les moyens alternatifs à la vaccination, les résultats de test PCR, ou antigénique négatif, ou statut sérologique positif.

Responsabilisation

Dans plusieurs pays d’Europe, il y a une tendance à responsabiliser très fort les non-vaccinés. Le discours autour de la liberté vaccinale a progressivement mué vers un discours de responsabilité vaccinale. C’est-à-dire que le droit ne se pas se faire vacciner, est couplé à des devoirs, celui de se mettre en retrait des activités les plus risquées durant les périodes de forte circulation virale.

Le problème c’est que cet équilibre droit/devoir, ce "contrat" n’a pas été établi au départ, il s’est progressivement imposé. D’abord le droit à la non-vaccination n’était couplé à aucune limitation, puis est venu le CST pour deux ou trois gros événements, puis le CST étendu, puis désormais une nouvelle mouture d’un passe ou un test ne suffirait plus.

Ce régime de responsabilisation poussée est-il encore un régime de liberté vaccinale ? Ne faut-il pas assumer l’idée qu’on en revienne à quelque chose de plus simple : l’obligation vaccinale. Il est vrai que l’obligation semble simple théoriquement mais compliquée pratiquement. Mais l’actuel système de responsabilisation est de plus en plus compliqué pratiquement et de plus en plus compliqué théoriquement.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous