Economie

Va-t-on vers une exclusion bancaire des ASBL et des copropriétés ?

Va-t-on vers une exclusion bancaire des ASBL et des copropriétés ? Photo d’illustration.

© Getty Images

Par Anne Poncelet

Les ASBL, associations sans but lucratif, ne seraient plus les bienvenues chez ING. L’alerte est venue d’une agence de conseil en économie sociale. "On appelle ça de l’exclusion bancaire", s’indigne Nathalie Mathieu, l’administratrice de "L’Associatif financier".

Les copropriétés d’immeubles seraient, elles aussi, dans le viseur. La copropriété d’un petit building liégeois nous explique avoir vu la clôture unilatérale de ses comptes, il y a quelques mois, avec de l’argent bloqué durant plusieurs semaines. "Je viens d’avoir une vingtaine de fermetures de comptes", renchérit le responsable d’une société immobilière de Grace-Hollogne, spécialisée dans la gestion des copropriétés.

Olivier Hamal, le président du Syndicat national des Propriétaires et Copropriétaires, confirme plusieurs retours de ce type : on voit que certaines banques mettent de l’ordre dans leur clientèle, commente-t-il.

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"ING Belgique ne commente pas les cas individuels"

Plusieurs associations, détentrices d’un compte dans l’institution bancaire au lion orange ont reçu début septembre un courrier, intitulé "clôture de notre relation bancaire" : elles ont 90 jours pour supprimer ou transférer leurs comptes. "Ce type de courriers étaient fréquents, confirme Nathalie Mathieu, mais depuis septembre, ils se sont multipliés. ING mentionne un numéro de téléphone dans son courrier, pour obtenir plus d’explications, mais c’est, en fait, un répondeur qui répète les éléments du courrier et qui confirme que "cette décision est définitive".

La banque ING nous renvoie vers son communiqué et réfute toute campagne de clôture de comptes : "Une communication de l’organisation "l’associatif financier" circule actuellement, selon laquelle ING Belgique aurait lancé une campagne spécifique visant à exclure les ASBL de sa clientèle. ING Belgique ne commente pas les cas individuels de ses clients, mais nous pouvons affirmer qu’ING Belgique n’a pas pris aucune décision générale de cesser de coopérer avec les ASBL […]".

La banque a en partie raison puisque la totalité des associations clientes n’est pas concernée mais, quand plusieurs dizaines de cas sont rapportés, difficile de ne pas y voir une démarche globale…

Plusieurs banques limitent leurs services

ING n’est pas la seule banque à limiter les comptes des associations et copropriétés. Il y a quelques mois, Keytrade Bank a annoncé l’arrêt de ses services aux ASBL et copropriétés. "Un choix stratégique", explique Roel Vermeire, porte-parole chez Keytrade Bank. "Nous sommes une banque de petite taille (250 personnes) et nous voulons nous concentrer sur nos clients principaux, les particuliers. D’autant que le poids administratif lié aux comptes des associations est très important. "

Un gros travail administratif

La charge administrative liée à ces associations est en effet importante, à la fois pour les associations mais aussi pour le secteur bancaire, une charge encore alourdie par une nouvelle réglementation et la gestion du Registre UBO. Ce registre s’applique autant aux entreprises qu’aux associations. Il vise à identifier tout bénéficiaire ou mandataire (Ultimate Beneficial Owner), afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et limiter l’utilisation d’argent liquide.

Les copropriétés sont des clients solvables.

"C’est un travail fastidieux", reconnaît Nathalie Mathieu et qui n’est pas aussi contraignant dans d’autres pays". "Le poids administratif est une catastrophe", appuie Olivier Hamal,. "On est allé beaucoup trop loin (même si les copropriétés ne sont pas visées par la législation en matière du registre UBO). Mais je suis vraiment surpris du positionnement des banques. C’est disproportionné. Les copropriétés sont des clients solvables." 

Ne pas s’incliner trop vite

Nathalie Mathieu, elle, a décidé de ne pas se laisser faire. Elle vient d’alerter ses membres. Et sur le site de l’Associatif financier, une trentaine de personnes témoignent (anonymement) de la clôture des comptes de leur ASBL, parfois sans aucun courrier d’avertissement : "Nous nous sommes en effet fait virer par ING, pour des raisons obscures. Notre registre UBO est en ordre. Et en plus, galère sans nom pour sortir le cash". Le responsable d’une ASBL qui s’occupe de soins infirmiers à domicile explique : "Mon association a déjà fait l’objet de cette exclusion en mai 2020 en se référant aux conditions générales qui stipulent notamment que le contrat peut être rompu de part et d’autre sans motif."

J’ai contacté plusieurs banques et jusque-là je n’ai pas eu de réponses positives.

Ces témoignages montrent aussi que, si les regards se portent actuellement sur ING, les autres banques ne semblent guère apprécier la clientèle associative : "[…] à la suite de la clôture sans raison du compte de notre ASBL par ING après plus de 15 ans chez eux, j’ai contacté plusieurs banques, raconte un mandataire ; et jusque-là je n’ai pas eu de réponses positives à ma demande d’ouverture de compte. J’ai jusqu’au 1er novembre pour effectuer un transfert vers un autre compte, je commence donc sérieusement à m’inquiéter."

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Quelques marches arrière

Plusieurs clients ont en tout cas décidé de ne pas se laisser faire, en introduisant une réclamation chez ING. Avec parfois, un rétropédalage de la banque : "J’avais introduit une plainte auprès de l’ombudsman d’ING et j’ai reçu hier au courrier une simple lettre dans laquelle ING m’informe s’être trompé, […] me dit de considérer le précédent courrier comme "nul et non avenu" (témoignage anonyme, site de l’Associatif financier).

Une crainte à long terme pour la survie du secteur associatif ?

Depuis quelques années, il y a moins de créations d’ASBL et davantage de cessations d’activités. "Aujourd’hui c’est la survie des ASBL qui est en jeu, tonne Nathalie Mathieu. "Sans compte bancaire, on ne pas payer des gens, on ne peut pas avoir d’activités, etc., toutes ces formalités, ces bâtons dans les roues, les démarches administratives compliquées (un mode d’emploi de 40 pages pour l’application UBO…), découragent beaucoup de personnes à monter des associations ou à poursuivre celles qui existent déjà. Et là, les banques ne sont pas les seules responsables. D’ici 10 ans, je pense que la moitié des associations seront mortes, et je ne sais pas ce que les autres vont devenir…"

Pour Olivier Hamal, si le mouvement se poursuit, il faudra peut-être accélérer l’instauration d’un service bancaire universel, pour le secteur associatif, comme c’est aujourd’hui le cas pour les particuliers et bientôt pour les entreprises.

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