La couleur des idées

Ursula Meier, cinéaste : « J’ai la foi dans le cinéma »

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Ce samedi dans La Couleur des Idées, Pascale Seys reçoit la cinéaste franco-suisse Ursula Meier, dont le film La Ligne est sorti en salles ce mercredi 1er février. La Ligne fait partie de ces drames oppressants, sous la baguette d’Ursula Meier, qui content une violence poussée à son paroxysme, dans un espace presque clos. Parmi ses distinctions, son deuxième long métrage L’Enfant d’en haut obtient une mention spéciale à la Berlinale qui la récompense d’un ours d’argent et a été choisi pour représenter la Suisse aux Oscars dans la catégorie Meilleur film étranger en 2012.

L'histoire de La Ligne est puissante. Margaret est arrêtée par la police après avoir violemment agressé sa mère. Soumise à une mesure stricte d’éloignement en attendant d’être jugée, celle qui n’a plus le droit, pour une durée de trois mois, d’entrer en contact avec sa mère ou de s’approcher à moins de 100 mètres du foyer familial, ne supporte pas cette distance forcée. Chaque jour, cette frontière invisible et infranchissable la rappelle à l’ordre.

Cette famille dysfonctionnelle est entourée de montagnes, elle vit dans les creux. D’un point de vue topographique, ces quelques mètres cadrent une dramaturgie et une scénographie précises et calculées. Et cette ligne, d’abord irréelle, quasi inimaginable, se matérialise par la ligne que Mathilde, sœur de Margaret, peint pour empêcher sa sœur d’approcher plus la maison. De cette ligne se développe toute la tension : pour Margaret, pour sa sœur Mathilde coincée entre deux personnalités fortes qu’elle aime malgré tout, mais aussi pour la mère. La jeune Mathilde, n’ayant plus de points de repère, s’en remet à la religion et prie pour que le ciel aide sa mère et sa sœur en même temps, sans ne trahir personne. Dans cet espace clos, ce creux dans la montagne, elle n’a qu’une seule solution : lever les yeux vers le ciel et la montagne. Cette maison devient une sorte d’aquarium contre lequel le personnage vient toujours se fracasser.

La musique comme alternative à la violence

Benjamin Biolay compose pour La Ligne, en duo avec la co-scénariste et actrice du film Stéphanie Blanchoud. Cette dernière ne souhaitait pas chanter dans le film mais "La musique, la chanson pouvait vraiment donner une sorte de contrepoint, de contrepoids, à la violence dont est capable le personnage", souligne Ursula Meier. Cette violence physique, cette colère qui infuse dans le corps de Margaret à défaut de mots et qui ne s’exprime que par ses poings. Pourtant, cette dernière est chanteuse. Mais la voix et les mots sont deux sujets bien distincts.

La mère était pianiste et a su transmettre cet amour de la musique à ses deux filles. Mais en devenant mère, la musique s’éloigne de sa vie. Un choix qui serait plus une contrainte due à la venue de ses filles dans sa vie, et qu’elle n’oublie pas de raconter sous les oreilles attentives de deux jeunes femmes qui seront biberonnées aux attitudes toxiques d’une mère qui n’écoutait déjà pas avant même de devenir sourde. Ces trois solitudes féminines se côtoient et se subissent.

La musique est ici utilisée comme un grand écart et une alternative à la violence intrafamiliale. Si le personnage de la mère est parti d’une conception de la personnalité borderline, Ursula Meier a souhaité gommer ce "stéréotype" pour ne pas faire de cette femme qu’une pathologie, mais pour bien rendre compte de sa complexité au public. Le sujet de la femme violente, bien qu’ayant eu des représentations comme Médée, reste encore un tabou. Ici, la violence de ce personnage féminin adulte trouve son origine dans un cocon familial créé par une mère toxique. Margaret, qui ne s’autorise pas complètement de se penser artiste, musicienne, trouve sa rédemption dans la musique ; elle qui n’a pas su être entendue par sa mère le sera par d’autres. Ancrée dans cette montagne, attendant l’amour de sa mère, elle finira par s’échapper en train.

Benjamin Biolay, Ursula Meier et Stéphanie Blanchoud sur le tournage de "La Ligne".
Benjamin Biolay, Ursula Meier et Stéphanie Blanchoud sur le tournage de "La Ligne". © Tous droits réservés

Ursula Meier, cinéaste de l'intime

Ursula Meier a grandi au pied du Jura, un lieu quasi clos avec une vue imprenable sur les montagnes. Elle a connu une famille aimante dans laquelle elle a pu évoluer de manière équilibrée. Mais à travers ses scénarios, c’est la psyché des familles dysfonctionnelles que la cinéaste travaille et tente de comprendre. Dans La Ligne, la question de ce qui est transmis par le lien familial est posée : quels manques, quel amour, quelles frustrations transmet-on dans son nid familial ? Comment se positionner dans sa propre famille quand un autre personnage disparaît ?

"Aujourd’hui, j’ai l’impression que les gens se raccrochent à la famille", confie Ursula Meier au micro de Pascale Seys, qui rajoute que la famille serait comme une sorte de "dernière entité communautaire", là où il y a "de moins en moins de croyances et de foi dans une société devenue très individualiste". Ursula Meier travaille ses films avec intuition en étant toujours physiquement présente auprès de ses acteurs. Son rapport au septième art est spirituel, quasi mystique, elle qui explique avoir "la foi dans le cinéma".

Stéphanie Blanchoud nous dit que "Le cinéma d’Ursula Meier a quelque chose d’universel". Ses films sortent dans près d’une quarantaine de pays. Certaines fois, les personnes en salles ne comprennent ni la version originale française, ni les sous-titres anglais, mais ils en ressortent bouleversés. C’est parce qu’Ursula Meier, dans sa dramaturgie, dans ses scénarios travaillés jusqu’au moindre détail, arrive à faire de ses idées cinématographiques de véritables fables, des contes modernes dont un enseignement est — elle l’espère — toujours à retirer.

Retrouvez ci-dessous l’intégralité de l’entretien mené par Pascale Seys

La couleur des idées

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