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Une philosophie de la maison, avec Emanuele Coccia

© Pixabay

Par RTBF La Première via

Jusqu’ici, les philosophes sont peu entrés dans nos maisons. La philosophie a oublié l’espace domestique, observe Emanuele Coccia. Et selon ce philosophe : en oubliant la maison, la philosophie se serait oubliée elle-même. Emanuele Coccia, qui a déjà déménagé trente fois, nous expliquera pourquoi il est urgent de penser la maison. Et pourquoi il faudrait que notre habitation se transforme en une véritable planète.

Emanuele Coccia signe Philosophie de la maison. L’espace domestique et le bonheur (Bibliothèque Rivages).

Le philosophe Emanuele Coccia n’arrive pas à se fixer dans un lieu. A force de déménager, on apprend à se sentir chez soi un peu partout, dit-il. Et puis, il y a aussi une volonté de changement, comme pour les vêtements.

"Il faudrait peut-être libérer les maisons, les appartements de l’idée de propriété et voyager, flâner d’une maison à l’autre. Au fond, la maison et les vêtements sont très proches. Tout appartement est une sorte de vêtement qu’on a tellement agrandi qu’on peut le mettre à plusieurs, y rentrer avec nos amis, notre partenaire. A l’inverse, tout vêtement est un appartement qui a rétréci jusqu’à notre peau et qui nous suit dans nos promenades, dans nos voyages dans le monde."

Maison et bonheur

Maison et bonheur sont des synonymes, écrit Emanuele Coccia. Il y a deux grands enseignements aux déménagements fréquents :

  • on comprend d’abord que la maison n’est pas une question d’espace, de murs, de toit, c’est surtout un ensemble disparate d’objets, de personnes, d’animaux, de plantes, de vêtements, d’atmosphère, qu’on est obligé de trimballer avec nous quand on se déplace. C’est un lien d’intimité absolue avec une portion du monde, qui est plus monde que le reste du monde, pour nous, et qui nous permet de trouver une place dans ce monde.
  • on déménage à chaque fois pour vivre mieux et c’est dans cet adverbe que réside l’essence de la maison, car au fond, toute maison est une machine qui doit insuffler plus de bien dans notre vie.
    "Ce qui veut dire que la morale ne concerne pas qu’une discipline de la volonté, une ascèse des intentions. La morale n’est pas que purement spirituelle, elle est une cuisine du monde, une transformation de la réalité. Toute morale, c’est-à-dire toute doctrine du bien, ne peut qu’être une doctrine sur comment faut-il transformer le monde pour pouvoir être heureux."

Lorsqu’on accepte cette synonymie entre maison et bonheur, on se rend compte qu’il y a du bonheur seulement lorsque ce bonheur coïncide avec un état du monde ou d’une portion du monde. C’est d’ailleurs pour cela qu’il ne peut exister que quand on le partage avec des éléments du monde, d’autres vivants, d’autres personnes.

Repenser la maison

La philosophie s’est très peu intéressée à la maison, elle a toujours privilégié la cité. La modernité a tout misé sur l’espace urbain. On a tous projeté nos libertés en dehors de la maison. Cet oubli a provoqué des conséquences catastrophiques. Notamment le fait que la maison, pendant des siècles, est devenue un instrument de la domination du genre, de la production d’inégalités sociales…

Il faut repenser la maison, parce que, la pandémie l’a démontré, la ville n’est plus capable de produire cet ensemble de libertés et cet espace commun. La plupart des réseaux sociaux, des apps, nous permettent de construire du social, du commun, en rendant tout à fait inutile le fait de sortir de chez nous.

Le lit est l’objet le plus indispensable de la maison, la première incarnation de l’espace domestique. S’il n’y a pas de lit, il n’y a pas de maison. Elle devient un atelier, un studio. Le lit est un étrange objet magique. Dès qu’on le touche, on disparaît, face aux autres mais aussi face à nous-mêmes. On glisse dans une espèce de trou noir, où notre conscience devient révélation d’un monde inconnu, mais dont on peut à peine témoigner.

Le bonheur est une cuisine de la réalité qui nous oblige à mélanger énormément de choses totalement disparates, pour donner au monde une saveur, un goût qu’il n’avait pas auparavant.

On sera mangé

Le sacrifice des animaux pour faire la cuisine ne pose pas de problème à Emanuele Coccia. Parce que si on ne sacrifie pas des animaux, on sacrifie des plantes. Et les plantes sont aussi des êtres auto-conscients et communiquent entre elles.

"C’est assez hypocrite de réintroduire la même hiérarchie qu’on avait posée entre l’humain et le non-humain, entre l’animal et le reste des êtres vivants. Cela ressemble juste à une petite extension du narcissisme anthropologique à l’échelle du règne animal. D’un autre côté, la science a démontré qu’il y a de la sensibilité, de la pensée, de l’auto-conscience chez les plantes."

Et surtout, poursuit le philosophe, c’est compliqué de condamner moralement le fait de manger des animaux, car normalement, cette posture est liée à la volonté de retrouver une sorte de parité, d’égalité entre l’humain et les autres animaux. Mais que faire des animaux qui se nourrissent d’autres animaux ? On devrait les condamner moralement ? La question n’est pas là. La question est de retrouver un autre rapport à la nourriture. D’accepter, par exemple, que se nourrir signifie chaque fois, pour n’importe quel animal, faire revivre différemment une vie qui a vécu sous une autre forme avant nous, faire réincarner dans notre corps une vie différente de la nôtre.

Il faut commencer à envisager un autre rapport à la nourriture. Savoir que manger signifie toujours vivre une vie qui s’est offerte à nous et savoir aussi qu’on sera tôt ou tard nous aussi le repas d’autres animaux. On sera mangé. Tous les animaux sont destinés à être mangés les uns par les autres. C’est le destin de la vie et c’est assez hypocrite de penser pouvoir y échapper."

Emanuele Coccia propose de remercier chaque animal qui nous a permis de prolonger notre existence et peut-être d’inventer des rituels qui permettent de sanctifier cette gratitude.

Ecoutez la suite de l’entretien ici

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