Journal du classique

Une petite histoire de claviers, du piano préparé au toy piano

© Fairfax Media via Getty Images

Par Anne Hermant via

Le mercredi 29 mars 2023 marque le 88e jour de l'année, proclamé "Piano Day" par le musicien Nils Frahm en 2015. 88 ? Comme les touches de nos pianos modernes. Pour l'occasion, pourquoi ne pas poser un regard différent avec Anne Hermant sur cet instrument qui a inspiré tant de chefs-d’œuvre ? Ici, pas de sonate ou autre pièce pour piano solo, pas de concerto : découvrons le piano "autrement".

Un jukebox avant l’heure

S’il existe aujourd’hui des voitures autonomes qui roulent sans conducteur, il existe aussi des pianos qui jouent sans intervention humaine. Voir les touches d’un piano s’enfoncer toutes seules, comme par magie, excite toujours la curiosité.

En réalité, le piano mécanique est doté d’un mécanisme complexe qui fonctionne grâce à des rouleaux perforés préalablement enregistrés. Lorsque le cylindre perforé tourne, il actionne les touches du piano qui joue ainsi automatiquement le morceau imprimé sur le rouleau.

Le piano mécanique apparaît aux États-Unis à la fin du XIXe siècle et connaît son apogée juste avant la crise de 1929. C’est un instrument populaire que l’on trouve fréquemment à l’époque dans les bars en Amérique, une sorte de jukebox avant l’heure. Avec Doll Dance, ambiance saloon garantie !

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Les études diaboliques de Conlon Nancarrow

Le piano mécanique remporte un grand succès : de nombreuses firmes le fabriquent, le perfectionnent et le commercialisent. Le modèle le plus connu est le pianola, fabriqué par la firme Æolian. Le terme pianola est d’ailleurs devenu un terme générique.

Mais il faut savoir que les rouleaux perforés ne sont pas systématiquement "enregistrés". Il est donc possible d’imaginer de la musique qui n’est pas conçue pour être jouée, voire de la musique totalement inexécutable.

Le maître en la matière est sans conteste le compositeur américain Conlon Nancarrow (1912-1997). Durant 45 ans, perforant lui-même ses rouleaux, Nancarrow va explorer et utiliser les possibilités de l’instrument jusqu’à l’extrême, bien au-delà des limites humaines. Ses recherches se concrétisent par la composition de 51 Études pour pianola, véritables orgies sonores d’une incroyable richesse d’imagination rythmique, contrapuntique et structurelle. La complexité du travail d’écriture est telle que, pour une seule étude, Nancarrow peut consacrer jusqu’à huit mois à perforer la bande de papier à insérer dans le pianola. Dans son Étude n° 25, certains passages comprennent 200 notes… par seconde !

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Instrument d’orchestre et instrument à percussion

En 1832, c’est Berlioz, qui le premier, donne au piano le rôle d’instrument de l’orchestre, dans Lélio ou le Retour à la vie. Pourtant, en 1941, dans son monumental traité d’orchestration, Charles Koechlin déplore encore "la force de l’usage, ou plutôt l’éternelle routine, qui perpétuent l’idée d’opposer le piano à l’orchestre", et regrette que "l’utilisation du piano, pour son timbre au milieu de l’orchestre, reste trop rare".

Koechlin aurait donc certainement salué la façon dont Bartók emploie le piano dans sa Musique pour cordes, percussion et célesta. Au sein de l’orchestre, le piano est utilisé à la fois comme instrument harmonique et percussif. Bartók l’a d’ailleurs inclus dans le groupe des percussions.

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Vis, boulons, morceaux de caoutchouc, bouts de plastique, écrous et autres gommes

La Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók a été créée à Bâle en 1937. Trois ans plus tard, de l’autre côté de l’Atlantique, le jeune John Cage crée sa première pièce pour piano préparé, qu’il définit comme étant "en réalité un ensemble de percussions confié aux mains d’un seul interprète".

À l’époque où on lui commande une musique pour le ballet Bacchanale, John Cage compose beaucoup pour instruments à percussion, dont il joue lui-même. Mais la scène où doit avoir lieu la représentation est bien trop petite pour accueillir percussions et danseurs. Un piano à queue se trouvant dans la salle, John Cage à l’idée insérer des corps et matériaux divers entre les cordes : vis, boulons, morceaux de caoutchouc et de plastique, écrous et autres gommes. Ce piano prend alors le nom de prepared piano. Il composera par la suite un cycle de vingt pièces pour piano préparé, Sonates et Interludes.

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Le piano jouet, c’est du sérieux

C’est également pour accompagner une chorégraphie que John Cage compose en 1948 sa Suite for Toy Piano.

Et il s’agit bien du piano jouet miniature que l’on offre aux enfants ! Contrairement au mécanisme d’un vrai piano, celui du piano jouet est rudimentaire : lorsque les touches sont jouées, des marteaux en plastique frappent des tiges métalliques. Le nombre de touches est évidemment très limité.

Le Toy piano de John Cage ne possède que 9 touches blanches, un véritable défi d’écriture ! C’est le compositeur lui-même qui jouera cette pièce lors de la première représentation : on l’imagine, assit sur un tabouret de 20 cm, les bras collés au corps, essayant de ne pas s’emmêler les doigts sur le minuscule clavier.

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Inspirés par l’exemple de John Cage, d’autres compositeurs ont contribué à l’enrichissement du répertoire du piano jouet.

Le Concerto pour Toy piano et orchestre de chambre de l’Américain Matthew McConnell a été accueilli par une standing ovation lors de la première à Boston en 2004. De manière inattendue, le piano jouet apparaît ici comme un instrument soliste à part entière.

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Quand Mozart fusionne concerto pour piano et air d’opéra

On connaît les 18 sonates et les 23 concertos pour piano de Mozart. Mais dans l’aria Ch’io mi scordi di te, il a utilisé le piano autrement, dans une formation inhabituelle : soprano, piano obbligato et orchestre. Cet air de concert est dédié à la soprano Nancy Storace, qui a été la première Suzanne des Noces de Figaro. Mozart a composé la partie de piano pour lui-même. Il en résulte un magnifique duo concertant (une déclaration d’amour ?), une sorte de fusion entre air d’opéra et concerto pour piano.

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Comment recycler des ailes de bombardiers B-17

Changeons de monde et d’époque, pour nous retrouver en Angleterre durant la Seconde Guerre mondiale.

Harold Rhodes, un jeune professeur de piano américain, a rejoint l’armée de l’air britannique. Pour distraire les soldats et leur remonter le moral, on lui demande de jouer du piano. Il met alors au point un prototype de piano petit et léger qu’il peut transporter partout dans une valise.

Les cordes du piano sont remplacées par des morceaux d’aluminium récupérés sur les ailes de bombardiers B-17. Après la guerre, de retour en Amérique, Harold Rhodes s’associe avec Leo Fender, célèbre pour ses guitares et ses amplificateurs, afin de développer son invention : le piano électrique Fender Rhodes est né. Il connaîtra son heure de gloire dans les années 70, avec des ambassadeurs de renom comme Herbie Hancock ou Chick Corea.

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J’aurais voulu être un orgue

Le premier piano-pédalier est présenté par le facteur de pianos Erard lors de la première Exposition Universelle à Londres en 1851. Comme son nom l’indique, il s’agit un piano équipé d’un pédalier, c’est-à-dire d’un clavier spécialement conçu pour être joué à l’aide des pieds, comme celui de l’orgue.

À l’époque de Bach, il existait déjà un clavecin à pédale qui permettait aux organistes de pouvoir étudier sans avoir à payer la personne chargée d’actionner les soufflets de l’orgue. Bach aurait d’ailleurs composé ses Sonates en trio – aujourd’hui jouées à l’orgue – spécifiquement pour cet instrument.

Comme pour le piano-pédalier, on ajoutait sous le clavecin un pédalier, les notes jouées à l’aide des pieds actionnant le clavier manuel par un dispositif mécanique.

En 2001, le facteur de pianos Luigi Borgato met au point le "Double-Borgato" : sous l’instrument principal, à ras du sol, il place un second piano qui se joue avec les pieds. Dix ans plus tard, Pinchi, un facteur d’orgue italien, invente un nouveau système permettant de transformer deux pianos à queue quelconques en un piano-pédalier.

Le Pinchi Pedalpiano System, facilement transportable et rapide à installer, a largement contribué à faire redécouvrir le répertoire oublié du piano-pédalier : Liszt, Alkan, Gounod, Saint-Saëns ont en effet composé pour cet instrument singulier, en vogue à la fin du XIXe siècle.

En 1845, Robert Schumann s’était déjà intéressé à l’instrument. Pour faire face à un épisode de dépression intense, il s’immerge dans l’univers contrapuntique de Bach. Il loue un pédalier à glisser sous son piano, et composera Quatre esquisses, Six fugues sur le nom de Bach et Six Études en canon pour piano à pédalier.

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Un piano… à bretelles

Comment jouer "autrement" un concerto archi-connu pour clavier de Haydn ? Et bien tout simplement en remplaçant le piano par un piano… à bretelles ! C’est ce que nous propose l’accordéoniste Viviane Chassot. Perfectionniste, elle peaufine toutes ses interprétations, et, pour transposer le répertoire classique à l’accordéon, elle a même suivi les masterclasses de grands pianistes comme András Schiff ou Alfred Brendel !

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