Journal du classique

Une femme dirigera le Concert du Nouvel An de Vienne "quand le moment sera venu"

© Wiener Philharmoniker / Dieter Nagl

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Par Victoria De Schrijver

Le traditionnel concert du Nouvel an du Wiener Philharmoniker, dirigé cette année pour la troisième fois par Franz Welser-Möst, a eu lieu dans la Salle dorée du Musikverein à Vienne devant une salle comble le dimanche 1er janvier. Mais avant ce succès annuel, la conférence de presse donnée habituellement quelques jours avant le concert a irrité certains représentants politiques autrichiens.

C’est précisément une phrase entendue durant la conférence de presse qui fait actuellement tiquer les Verts autrichiens ainsi que de nombreuses personnes. A la question, posée en plein milieu de la conférence de presse qui précédait de quatre jours le concert du nouvel an : "Vous mentionnez toutes ces premières. Après 83 ans avec 19 chefs d’orchestre différents, tous hommes, y a-t-il une chance de voir prochainement une femme diriger le Concert du Nouvel An ? Avez-vous déjà des noms ?", la réponse d’un représentant de l’orchestre philharmonique de Vienne a été : "Quand le moment sera venu".

Cette année était particulièrement riche en premières pour le Concert du Nouvel An, a rappelé le comité qui était présent pour cette conférence. Franz Welser-Möst, qui dirigeait le concert cette année a proposé à l’orchestre des pièces qui n’avaient encore jamais été jouées par l’orchestre. Welser-Möst a d’ailleurs ajouté plus tôt dans la conférence que pour eux, sortir de leurs habitudes musicales était déjà un "sacré challenge". Welser-Möst, était accompagné de Daniel Froschauer (premier violon du Philharmonique de Vienne et également président de l’orchestre) ainsi que de Roland Weissmann (directeur de l’ORTF, qui diffusait le concert). Selon Daniel Froschauer, le Concert du Nouvel An "n’appartient pas au Philharmonique de Vienne mais à tout le monde", il s’agit d’un concert familial, d’un message de paix, d’espoir mais aussi une affirmation d’une identité musicale autrichienne. Les mots de Welser-Möst, entendus eux durant le concert citaient Nietzsche en nous rappelant que "sans la musique, la vie serait une erreur".

Parmi les autres premières, un chœur de jeunes filles a rejoint – pour interpréter Heiterer Muth, une polka française de Josef Strauss, le Chœur des Petits Chanteurs de Vienne, un ensemble cinq fois centenaire habitué au Concert du Nouvel An de Vienne. A côté de cela, ils ont également tenu à rappeler que "pour la première fois", une femme dirigeait le film d’entracte.

Une justification insuffisante pour certains

A la question d’un journaliste espagnol sur une prochaine femme à la direction du Concert du Nouvel An, la réponse principale est celle-ci : "Oui, nous aurons une femme qui dirigera le concert quand le moment sera venu". Ce propos a ensuite été étayé par des explications quant au fait qu’ils invitent généralement un maestro à diriger le concert après avoir déjà passé environ une dizaine d’années à entretenir une relation artistique. Ils ont par ailleurs expliqué qu’avoir quelqu’un de jeune était aussi compliqué : "Il faut quelqu’un qui saura qu’il sera comparé aux plus grands chefs d’orchestre passés avant", rajoutant que le "Concert du Nouvel An est l’une des choses les plus difficiles à faire en tant que chef d’orchestre", notamment à cause du "nombre de pièces ainsi que de personnes à diriger". Enfin, ils ont ajouté qu’il faut quelqu’un "capable de se faire respecter par des musiciens ayant joué sous la direction des plus grands" et que la tâche n’était pas aisée pour de jeunes personnes.

Ce n’est pas une question de politique, c’est une question artistique.

Tout cela "c’est comme dans la comédie, tout est une question de timing" ont-ils expliqué, et un Concert du Nouvel An nécessiterait quelqu’un d’assez expérimenté. Le journaliste a ensuite repris la parole pour leur dire qu’il ne parlait pas d’une personne jeune, mais simplement d’une femme, et qu’il existe des cheffes d’orchestre expérimentées. A cela, Daniel Froschauer a semblé dire que l’élément primordial était donc la relation que cette personne aurait créée et entretenue au fil de longues années avec l’orchestre. C’est d’ailleurs le chef d’orchestre allemand Christian Thielemann, avec qui l’orchestre entretient des liens artistiques depuis longtemps, qui dirigera le Concert du Nouvel An 2024.

Cette conférence de presse, qui était visible notamment en direct sur internet, a résonné dans de nombreuses têtes dont celles d’Ursula Berner, porte-parole des Verts autrichiens à la culture. Cette dernière en a profité pour les convier à l’Hôtel de Ville de Vienne dans le cadre d'une journée spéciale au titre évocateur : "Qui donne le ton ? Vienne et ses musiciens et musiciennes" afin de pouvoir discuter ensemble de la condition de la femme dans la musique classique à Vienne, le 17 janvier prochain.

Un orchestre à la traîne ?

Le concert de musique classique le plus visionné ainsi que le plus médiatisé au monde attendrait donc la bonne personne pour enfin être dirigé par une cheffe. La question de la femme au sein de l’orchestre a toujours été un peu sensible et le sujet ne date pas d’hier. Avec la harpiste belge Anneleen Lenaerts, présente depuis dix ans au Wiener Philharmoniker, l’ensemble ne compte pas plus de 19 femmes sur 140 musiciens. La première femme à être titularisée dans l’orchestre fut la harpiste Anne Lelkes en 1997, après près de vingt années à jouer avec l’orchestre sans un réel statut dans ce dernier.

La cheffe d’orchestre d’origine australienne Simone Young – actuellement en pause suite à un problème de santé, âgée aujourd’hui de 61 ans, est la première cheffe d’orchestre à avoir pu diriger l’Orchestre de l’Opéra d’Etat de Vienne en 1993 puis, en 2005, la première femme cheffe à diriger le Philharmonique de Vienne. Elle est actuellement la cheffe principale du Sydney Symphony Orchestra et dirige durant cette saison 2022-2023 en tant que cheffe invitée aux quatre coins du monde quelques productions de la famille Strauss, dont Salomé (Richard Strauss, 1905) à l’Opéra de Paris, Der Rosenkavalier (Richard Strauss, 1911) au Metropolitan Opera de New-York ou encore Die Fledermaus (Johann Strauss II, 1877) et Elektra (Richard Strauss, 1909) à l’Opéra d’Etat de Vienne. Il semblerait donc que leur relation soit bientôt deux fois plus longue que le seuil minimum des dix ans fixé par le Philharmonique de Vienne pour pouvoir prétendre à la direction du prestigieux Concert du Nouvel An.

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