Journal du classique

Une étude allemande prône l’abandon de la limitation du nombre de places dans les salles de concert

Le très célèbre Berliner Philharmoniker devant une salle comble à Berlin en 2007. Un lointain souvenir. Pour une institution de cette taille, des concerts devant une poignée de spectateurs ne sont pas viables.

© Belga

Selon des scientifiques allemands, il est tout à fait possible de jouer des concerts de musique classique ou des opéras devant des salles combles, sans risque de transmission du coronavirus. Cela implique seulement un certain nombre de mesures d’hygiène, comme le port du masque obligatoire.

Des concerts de musique classique sold out, devant des salles pleines de spectateurs ? Des opéras enfin ressuscités, donnant des représentations dans des conditions viables sur le plan économique ? Pendant cet été 2020, tout cela semble malheureusement un doux rêve ou un lointain souvenir, alors que, sous nos yeux, chaque jour, le secteur de la scène, exsangue, multiplie les signaux de détresse, et que rien ne semble annoncer le bout du tunnel.

Et pourtant, des spécialistes en épidémiologie et en médecine sociale et environnementale, issus de deux instituts de l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin, viennent de publier une étude qui va à contre-courant des recommandations habituelles et qui semble allumer une mince lueur d’espoir pour le secteur culturel. Ses résultats ont été publiés par la RBB, le service public audiovisuel des länder de Berlin et de Brandebourg. Selon ces scientifiques, la combinaison du port du masque obligatoire et d’un certain nombre de mesures sanitaires rigoureuses serait suffisante pour éviter la transmission du coronavirus pendant les concerts de musique classique, sans qu’il soit donc nécessaire de limiter le nombre de places pour garantir une distanciation physiqueentre les spectateurs. 

En effet, selon Stefan Willich, directeur de l’Institut de médecine sociale et d’épidémiologie de l’hôpital de la Charité de Berlin – et chef d’orchestre par ailleurs –, cette recommandation est spécifique aux concerts de musique classique, récitals ou opéras : "La particularité des concerts classiques est que le public est généralement très discipliné, il ne parle pas pendant les représentations et reste assis tranquillement. C’est certainement bien plus sûr que faire des courses au supermarché ou d’utiliser les transports en commun".

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Un ensemble de mesures rigoureuses

La mesure phare permettant de garantir la sécurité des spectateurs dans une salle comble est le port du masque, comme l’explique le professeur Stefan Willich : "La base décisive est l’évaluation scientifique de l’efficacité de la protection de la bouche et du nez par un masque efficace. Lorsque vous portez une telle protection, environ 95% de la charge virale est absorbée. Cela signifie que vous vous protégez, tout en protégeant les autres". Cette mesure se combine à un certain nombre d’autres contraintes et recommandations. L’étude insiste ainsi sur la nécessité que la salle soit équipée d’un système de ventilation performant, notamment quant au filtrage, et que toutes les surfaces de contact (accoudoirs, rampes, poignées de portes, etc.) soient scrupuleusement nettoyées et désinfectées entre chaque représentation.

De plus, les salles de concert doivent renoncer aux bars et autres services de restauration et mettre en place des mesures de distanciation sociale au niveau des zones de circulation dense, par exemple via l’instauration d’un sens giratoire. En ce qui concerne les entrées, elles doivent pouvoir être contrôlées sans contact et les coordonnées des spectateurs doivent être encodées pour assurer un suivi en cas de problème. Par sécurité, le professeur Stefan Willich déconseille aux populations à risque – les personnes âgées ou souffrant d’autres pathologies – de se rendre dans ces salles, même si "les risques sont très faibles".

Trop beau pour être vrai ?

On le conçoit, l’enjeu est de taille, car la mise en place de ces nouvelles mesures pourrait enfin permettre aux arts de la scène de fonctionner à nouveau presque normalement. Pour un secteur au bord du naufrage, cela pourrait constituer une véritable planche de salut, en combinaison avec des aides publiques bien placées.

Et pourtant, l’étude suscite déjà la controverse en Allemagne, comme en témoigne un autre article de la RBB. Moins de 24 heures après la publication de l’article, le conseil d’administration de l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin a déjà pris la parole officiellement pour signaler qu’il se distancie de cette étude et de ses recommandations. Par le biais de Twitter, il a déclaré que le document n’a pas été écrit en coordination avec le conseil et qu’il ne reflète pas sa position. Pour lui, l’étude ne tient pas assez compte de la dynamique actuelle du processus infectieux et des risques qui y sont associés. Dès lors, son propos ne peut être considéré comme une légitime proposition d’action, mais plutôt comme le point de départ de nouvelles discussions critiques au sujet de la stratégie de test de la ville de Berlin.

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"Nous sommes surpris"

Dans le monde politique allemand, les réactions vont dans le même sens. La ministre d’État à la Culture de Berlin, Monika Grütters (CDU), se borne à considérer l’étude comme "l’une des nombreuses contributions d’experts importantes" servant à guider les politiciens dans leurs décisions.

Klaus Lederer, sénateur de la Culture, se dit quant à lui surpris par cette déclaration : "Aucun des experts n’a jamais fait valoir que des salles de concert complètes appliquant quelques mesures d’hygiène ne posaient aucun problème. À cet égard, nous sommes surpris par cette recommandation de la Charité, dont nous avons appris l’existence via la presse. Nous sommes particulièrement surpris que ses coauteurs soient des experts qui figurent parmi ceux avec lesquels nous avons déjà travaillé."

Quant à Christian Höppner, secrétaire général du Conseil allemand de la Musique, il a réagi sur le site Internet du Conseil : "Ce rapport est encourageant, mais en même temps très surprenant". Cette recommandation semble "trop belle pour être vraie, et soulève certaines questions lorsqu’elle est considérée rationnellement".

Alors, mince lueur d’espoir ou nouvelle chimère ? Ce qui est sûr, c’est que l’étude jette un pavé dans la mare et que cette question devra être considérée et approfondie.

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