Quelles sont les conditions d’accouchement en Belgique ? Pour objectiver des situations encore trop souvent tues, la Plateforme pour une naissance respectée a lancé une grande enquête en Fédération Wallonie-Bruxelles qui a sondé 4.226 femmes et dont les résultats ont été dévoilés le 19 novembre.
"Les violences gynécologiques et obstétricales ne sont pas un mythe", écrit la Plateforme dans son rapport. Des actes délétères, tels que l’expression abdominale [un acte consistant à appliquer une pression sur le fond de l’utérus afin d’accélérer la sortie du bébé], les actes à vif [pratiqués sans anesthésie ou avec une anesthésie inefficace] et le point du mari [le fait de recoudre une épisiotomie plus serrée, pour soi-disant augmenter le plaisir du mari lors des rapports sexuels] continuent à être pratiqués".
Et les chiffres sont effectivement interpellants : 1 femme sur 5 a été victime de ces violences. Quand elles sont racisées, le chiffre monte à 1 femme sur 3. Si elles ont un niveau d’étude du secondaire ou moins, le chiffre est de 1 femme sur 4 et si elles proviennent de la province de Liège, le chiffre est de 1 femme sur 4.
"On s’en doutait même si les soignant·es nous disaient qu’il n’y avait pas de problème en Belgique. Et l’objectif de cette enquête n’est pas de les culpabiliser individuellement, mais de montrer comment ces violences sont systémiques", explique aux Grenades Florence Guiot, présidente de la Plateforme.
"L’hôpital devient de plus en plus une entreprise capitaliste, ce qui met la pression sur les employé·es et entraîne des violences. Les accouchements sont standardisés, car ils doivent être rentables, mais pourtant les accouchements ne se ressemblent pas tous ! Un accouchement, et ce n’est pas un événement anodin. C’est un moment où se construit l’identité des parents également. Subir des violences gynécologiques et obstétricales a des conséquences graves et très larges. Certains couples n’y survivent pas, par exemple. Des pédiatres et des psychologues nous disent aussi qu’ils constatent les répercussions de ces violences dans leur pratique auprès des enfants et des familles. Il faut prendre soin des femmes qui accouchent", poursuit-elle.
Si vous ne vous calmez pas, je vous fais une [anesthésie] générale et vous ne verrez pas votre bébé aujourd’hui
De la violence verbale et… des gifles
En affinant les chiffres, l’enquête précise qu’une femme sur quatre rapporte avoir vécu de la violence psychologique au cours de son accouchement. 6 % d’entre elles rapportent avoir vécu de la violence verbale et presque 3%... de la violence physique. "On parle de gifles ou de femmes poussées physiquement lors de leur accouchement par le personnel soignant. Tout se passe comme s’il y avait une escalade dans les violences, d’abord c’est le médecin qui entre dans la salle d’accouchement sans dire bonjour, puis qui pratique des actes sans expliquer ce qu’il fait, ensuite de l’agressivité verbale apparaît si la patiente pose des questions, etc. Il y a encore un vrai déni qui entourent ces violences, des femmes ont découvert avoir vécu certaines violences en répondant au questionnaire", souligne Florence Guiot.
Plusieurs femmes témoignent dans le rapport : "Quand ils m’ont recousue, j'ai signalé avoir très mal et on m’a répondu “occupez-vous de votre bébé, ça vous changera les idées"", "Si vous ne vous calmez pas, je vous fais une [anesthésie] générale et vous ne verrez pas votre bébé aujourd’hui", "Sortie de force de la voiture par 3 hommes qui me tiraient et me déshabillaient en tirant", "Sentiment persistant d'un rendez-vous manqué, surmédicalisé, sans plaisir, un gâchis alors que rencontrer et accueillir son enfant devrait être un moment tendre et harmonieux."
Dans l’enquête, vingt femmes ont expliqué avoir refusé des actes, mais leur choix n’a pas été respecté. L’acte posé n’a pas été expliqué dans deux cas sur trois et le consentement n’est pas demandé dans la moitié des actes posés.
Selon Florence Guiot, ces violences qui se perpétuent se situent "à un croisement de plusieurs causes" : "Il y a la culture patriarcale, mais aussi la manière dont les soignant·es sont formé·es qui mène à la reproduction de violences. La couleur de peau des patientes joue également un rôle, et la façon dont elles s’expriment, si elles vont oser poser des questions. Enfin, il semble y avoir à Liège une culture hospitalière propice aux violences. On sait que des sages-femmes et des infirmières liégeoises viennent jusque Bruxelles pour accoucher. Il y a de grandes disparités en fonction des hôpitaux et ce n’est pas normal."
Sortie de force de la voiture par 3 hommes qui me tiraient et me déshabillaient en tirant
"Je souffre encore de ce moment-là"
Véronique a accouché il y a presque un an et demi, en plein milieu de la crise sanitaire. Elle a participé à l’enquête. "C’est difficile pour moi de parler de mon accouchement, cela me replonge dans des moments pas très agréables", explique-t-elle directement. "Mon accouchement a duré 27h. Le jour-J, je suis allée à l’hôpital mais on m’a dit que mon col était encore fermé. Sauf qu’une heure plus tard, je perdais les eaux. De retour à l’hôpital, on m’a tout de suite dit que j’étais dans la pire situation : je perdais du liquide amniotique mais mon col restait fermé. Je suis rentrée chez moi et suis revenue à minuit, comme demandé. J’avais des contractions."
Mais l’accueil du personnel soignant est glacial, confie Véronique. "Je ne leur en veux pas, elles étaient débordées. Les sages-femmes nous ont mis dans une chambre et je n’ai plus rien compris à ce qu’il se passait. Mon compagnon est parti chercher mes affaires et une sage-femme a voulu contrôler mon col, pour la énième fois. C’est un toucher vaginal mais je suis dans une simple chambre, il n’y a pas d’étrier et j’ai perdu les eaux donc je suis trempée, il n’y a aucune protection sur le lit. Elle est agressive, brutale et essaie malgré tout de me faire le toucher vaginal. J’ai très mal et je le lui dit mais elle continue. Le liquide amniotique coule et je ne me sens pas bien. Je souffre encore beaucoup de ce moment-là aujourd’hui, je ne veux plus qu’on me touche, même pas pour un rapport sexuel par exemple." Véronique souffle.
"La sage-femme m’a dit que je n’étais pas en travail, donc je me suis répété cette phrase toute la nuit. “Je ne suis pas en travail, je ne suis pas en travail, je ne suis pas en travail". On est restés dans cette chambre jusque 7h du matin. Le lit était trempé et j’étais mal à l’aise donc je suis restée assise sur une chaise. On m’a obligée à me faire un lavement moi-même alors que je souffrais et que je savais bien que ce n’est pas obligatoire. Je voulais quitter cet hôpital. Je ne voulais plus qu’on me touche du tout ! J’ai fondu en larmes lorsque la sage-femme de l’équipe du matin est arrivée. Elle m’a laissé le temps de me calmer, de prendre une douche chaude et un petit-déjeuner", se souvient-elle. "J’étais tellement épuisée que j’ai accepté la péridurale, alors je suis encore restée dans le lit 2h, elles devaient se dire que je n’avais pas mal donc que c’était bon…" Vient enfin le moment de l’accouchement en lui-même qui est lui aussi pénible pour Véronique.
Elle est agressive, brutale et essaie malgré tout de me faire le toucher vaginal. J’ai très mal et je le lui dit mais elle continue. Le liquide amniotique coule et je ne me sens pas bien
Difficile d’accoucher avec un masque
"Je n’avais qu’une envie, c’était de faire sortir ce bébé. Mais avec le masque, je n’arrivais pas à respirer et à pousser. La gynécologue n’arrêtait pas de me dire de pousser plus fort, encore plus fort. Je le vivais très mal, comme un échec, de ne pas arriver à pousser assez. Mon compagnon a proposé de me changer de position, mais il n’a pas été écouté. La gynécologue me parlait de ses propres accouchements et de ceux d’autres femmes, comme pour me comparer, j’ai trouvé ça déplacé ! Et elle me menaçait d’utiliser la ventouse si je n’y arrivais pas." C’est finalement ce qu’il se passe. "Pour nous, ce n’est pas du tout un beau moment l’arrivée de notre bébé. On compare ça au boucher, quand il sort ses colliers de saucisse de son appareil. C’est comme cela qu’on l’a vécu", déplore Véronique.
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La gynécologue la recoud sans lui expliquer ce qu’elle fait. "Par contre, elle m’a dit que j’allais devoir revoir la sage-femme qui m’avait forcée pour le toucher vaginal, j’avais demandé à ne plus la voir. Elle m’a dit que sinon cela mettrait des tensions dans l’équipe. Je ne voulais pas cela, donc j’ai accepté pour un transfert jusque dans ma chambre, mais en fait elle a fait plus que cela et elle a notamment dû s’occuper de mon bébé. Elle avait des gestes très brusques avec ma petite fille, j’ai eu peur."
D’autres sages-femmes conseillent à Véronique de porter plainte. "Je ne l’ai jamais fait et je ne le regrette pas. Je pense que c’est pour cela que j’ai participé à cette enquête, pour avoir un impact sur le système. Ce sont des personnes qui ne vont pas bien, qui sont surmenées, je ne veux pas leur ajouter une plainte", explique-t-elle. "Si je dois encore accoucher, même si je ne m’en sens plus capable pour l’instant, je prendrais une sage-femme privée qui restera avec moi tout le long de la grossesse et de l’accouchement", termine-t-elle.