Une école des causes … gagnées

Christophe Quittelier

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Par Christophe Quittelier

Aucun système n’est parfait ! Malheureusement, notre système scolaire n’échappe pas à la règle. Dès la maternelle, les enfants vivront les inévitables incompréhensions liées à la vie de classe pilotée par un adulte. S’ils ne peuvent les exprimer, ce qui est souvent le cas, les incompréhensions répétées se transforment vite en sentiment d’injustice: ils ne sentent pas entendus.

Itinéraire du décrochage

Comment attendre de quelqu’un qu’il soit participatif, concerné, s’il ne se sent pas entendu ?

D’incompréhensions en incompréhensions, ces élèves se mettent petit à petit en tension avec le système scolaire, synonyme de rejet, souffrance, humiliation. Non seulement ils n’y trouvent plus aucun sens, mais de plus ils le rejettent, voire le combattent : ils sont en rupture.

Ils errent d’écoles en écoles, cumulant les orientations diverses, les écartements, les renvois, l’absentéisme, …

Certains nous arrivent dans l’enseignement spécialisé.

Que faire avec ces jeunes adolescents en blessure scolaire, à peine lecteurs, acculturés, en perte totale de sens par rapport aux apprentissages, avec une impossibilité à se projeter, au potentiel étouffé ?

Que faire devant ce capital violence accumulé ?

Quatre axes pour en sortir

Afin de ne pas crouler sous les incivilités, nous avons en équipe, d’année en année, construit un projet pédagogique sur 4 axes à contre courant de " la vie scolaire " existante.

- L’innovation :

Les besoins des jeunes évoluent et il appartient à l’Ecole d’adapter ses structures au service des besoins de l’élève et  non d’imposer ses structures souvent figées quels que soient les besoins de l’élève.

L’IMCE s’est lancée en 2002, dans le cadre d’un projet européen, à construire un projet adapté et innovant pour les élèves " hors-circuit " incapables de rester en école quelle qu’elle soit. Ces jeunes sont non seulement en errance scolaire, mais aussi en errance sociale et traînent souvent un lourd passif judiciaire. La volonté de ce projet, par une approche décalée du jeune, est de recoudre avec lui son costume d’apprenant afin, après deux ans maximum dans le projet, de le réorienter vers une filière de formation.

Ce projet (Structure Scolaire d’Aide à la Socialisation - SSAS) a mûri d’année en année et est maintenant repris par d’autres établissements. Nous espérons qu’il prenne la forme d'un décret.

Relais : ce projet accueille des jeunes au profil encore scolaire mais en errance de projet. Nous laissons momentanément de côté l’acquisition de compétences pour travailler en quelques mois sur le projet de vie du jeune avant de le réorienter dans une formation. Cette " classe tampon " évite bien des incompréhensions. En effet, combien de jeunes ne sont-ils pas en décalage dans les apprentissages simplement parce qu’ils ne sont pas au fait quant à leur projet personnel?

L’alternance : nous avons lancé en 2004 un projet de formation par alternance pour les élèves de l'enseignement spécialisé. Ces formations étaient inaccessibles pour nos élèves. Depuis 2009, un décret leur donne accès à cette formation.

- Le projet du jeune :

Le système scolaire vise l’acquisition des compétences et se soucie très peu du projet de vie de l’élève. " Tu vas le plus loin possible dans tes compétences et puis on verra ce que tu feras. " . Cette option entraîne inévitablement une dépréciation des certaines filières et une discrimination sociale, la reconduction familiale jouant alors à plein.

Afin de remobiliser sur ses compétences l’élève en perte de confiance, nous sommes obligés de partir de son vécu, de l’aider à voir clair dans son passé, de l’aider à bien vivre son présent pour mieux construire son avenir et le rendre, un peu, maître de son destin.

Nous avons donc développé à travers le Plan Individuel d’Apprentissage (PIA) un processus d’émergence du projet personnel partant du rêve (j’aimerais), passant par l’envie( je voudrais) et terminant par l’action (je veux). C’est dans ce travail de longue haleine de prise de conscience, en partenariat avec les parents, que le jeune pourra alors inscrire les efforts à fournir pour atteindre son objectif.

- La reconstruction de la parole et de l’écoute :

La majorité des élèves que nous recevons sont dans la violence.

La parole humanisant, il est de notre devoir de reconstruire avec eux la parole et l’écoute afin qu’ils puissent petit à petit maîtriser leurs émotions et se mettre en perspective.

Je parle évidemment de la " vrai parole ", celle qui met des mots sur le ressenti, les émotions, le vécu, les peines, les angoisses, les peurs.

Il ne suffit pas dans un établissement d’avoir une bonne ambiance. Amener l’élève à oser parler demande une stratégie concertée et une adhésion de l’équipe enseignante. Là aussi, c’est un travail de longue haleine qui prend parfois plusieurs années.

Divers moyens sont mis en œuvre pour mener à bien cette stratégie  : conseil de citoyenneté, délégation d’élèves, sas de parole et d'écoute, permanence de la Direction pour les élèves, pendant les récréations, fiche de réflexion suite à un fait de violence intentionnelle)…

- Le bien être à l’école :

Notre premier objectif visera le bien-être de l’élève. Nous interpellons dès le départ les parents sur ce thème et demandons leur collaboration. C’est en travaillant en trépieds (l’élève, l’école, les parents), chacun partenaire attentif, que nous nous donnons le plus de chance pour que l’élève, s’il se sent bien, mobilise ses efforts.

Des moyens très simples peuvent permettre ce sentiment de bien-être :  le bonjour du matin, le barbecue de début d’année profs-parents-élèves, un cadeau de bienvenue à l’élève qui s’inscrit, notre semaine du bien-être, les anniversaires dans les rangs, les journées classes ouvertes (les parents peuvent participer aux cours), …

En conclusion :

Notre travail tend à redonner à l’élève confiance dans le monde adulte pour qu’il puisse, dans l’école, construire ses réponses aux deux questions fondamentales qui se posent à lui : qui suis-je et qu’est ce que je veux faire de ma vie ?

Pour y arriver, nous avons développé un projet pédagogique ciblé nous permettant ainsi de vivre au mieux notre métier, à savoir transmettre des savoirs et former de jeunes citoyens.

La parole et l’écoute, le respect des besoins, l’élève acteur de sa formation et la recherche le bien-être font évidemment diminuer les frustrations, les incompréhensions et contribuent à baisser fortement les faits de violence.

Ce travail ne sera pertinent que s’il se fait dans la transparence, dans la chose juste, dans la cohérence de l’équipe pédagogique.

Christophe Quittelier, directeur de l'Institut des métiers de la construction et de l'environnement :

Après des études d'instituteur et un passage par le primaire, Christophe Quittelier devient professeur à l'IMCE de 88 à 96. Puis pendant un an il sera directeur d'une école spécialisée à Obourg avant de revenir à Erquelines comme directeur en 98.

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