Economie

Une association avec Carrefour qui surprend: ""Brut prend un risque, mais c’est le lot de tous les entrepreneurs"

© FOTOR – BELGA

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Par Paul Verdeau

C’est une annonce qui en a surpris plus d’un : le média français Brut, connu pour ses vidéos au format carré sur les réseaux sociaux, et le géant de la grande distribution Carrefour ont annoncé ce mardi le lancement de Brut Shop, une plateforme de "live shopping", ou commerce social en français. Un concept qui cartonne en Asie, où les utilisateurs pourront participer à des événements de vente en ligne. "La tendance explose en Chine depuis environ quatre ans, explique Xavier Degraux, consultant en réseaux sociaux et marketing de contenu. La pandémie de Covid-19 a fait s’accélérer les deux piliers du live shopping : l’e-commerce et la vidéo en ligne."

Dans le communiqué de l’annonce, Guillaume Lacroix, CEO et cofondateur de Brut, annonce la couleur : "premier média digital en Europe auprès des nouvelles générations et leader sur le live, Brut a vocation avec Brut Shop de créer la plateforme de référence sur le live shopping".

Sur la connaissance de ses audiences, Brut se vend très bien

Mais du côté de Carrefour, pourquoi avoir choisi Brut et pas un géant des réseaux sociaux plus puissant, comme Meta (Facebook) ou Alphabet (Google, YouTube) ? "Il y a des petits indices quand même, précise Xavier Degraux. Sur l’Europe, les grandes plateformes ne sont pas en train de pousser. Le social commerce, en Belgique par exemple, on ne connaît pas. Sur Facebook Shop, on ne peut pas directement acheter, on est redirigé, le paiement se fait ailleurs, alors qu’aux Etats-Unis et en Asie, l’achat est totalement intégré."

D’autant que de son côté, Brut a un bon argument : il connaît ses audiences. "Ça fait partie de son modèle économique, explique Damien Van Achter, journaliste et spécialiste des réseaux sociaux. Il y a beaucoup d’entreprises qui ont mis du temps à connaître et qualifier leur audience, Brut le fait depuis le jour 1." Or, c’est le principe même du live shopping, ajoute-t-il : "En Asie, on est sur du format qui est presque du one to one, on a un flux personnalisé : chacun va voir dans son flux d’articles et de vidéo personnalisé exactement ce qu’il attend d’avoir."

Xavier Degraux abonde dans ce sens : "Sur la connaissance de ses audiences, Brut se vend très bien. Ils communiquent sur ce qu’ils sont capables de faire, même si ce n’est pas certain que ce soit à la hauteur à l’intérieur. Il n’y a pas 36.000 médias qui ont cette stature continentale, une ampleur, une empreinte suffisamment large." Sans compter le fait que Brut est très bien placé chez les 18-34 ans. "D’un point de vue business, ça paraît évident que Carrefour a ciblé les jeunes, acquiesce Damien Van Achter. C’est très large : le pouvoir d’achat est moins élevé, donc il faut faire plus parce que la marge sur chaque vente est plus faible."

Mais pour certains journalistes, ce mélange des genres entre un média, qui diffuse du contenu journalistique et emploie des titulaires de la carte de presse, et un leader de la grande distribution pose question.

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Le partenariat ne risque-t-il pas de créer la confusion chez les internautes ? "Il n’y a rien de nouveau derrière ça : tous les médias qui dépendent de la publicité se sont engouffrés sur ce terrain-là, certains le font de manière complètement opaque, rappelle Damien Van Achter. L’important, c’est que le public ne soit pas trompé."

Les habitudes de consommation sont très intéressantes pour un groupe de presse, et inversement

Il faut dire que Brut lui-même avait déjà été pointé du doigt pour des publireportages et du brand content assumés. "Le modèle de Brut a toujours été assez poreux au niveau commercial, il n’y a jamais eu d’états d’âme par rapport à tout ça, note Xavier Degraux. Est-ce qu’on peut dire que Brut est un média purement journalistique ? Non, mais plus beaucoup de médias le sont. Certains groupes de médias, y compris en Belgique, sont dans d’autres business, comme les paris sportifs, par exemple avec des vidéos qui n’ont rien à voir avec l’info."

Il rappelle que l’état actuel de la presse force de nombreux médias à trouver des "moyens de diversification" : "mais ici, il ne s’agit pas de colmater les brèches d’un bateau qui prend l’eau à gauche et à droite, il s’agit d’un projet entrepreneurial."

Un projet qui n’a pas grand-chose de journalistique… ou presque. "L’intérêt c’est de récolter un maximum de données pertinentes, dans un sens comme dans l’autre, explique Xavier Degraux. Les habitudes de consommation sont très intéressantes pour un groupe de presse, et inversement. Il faut connaître les habitudes des consommateurs, ce sont les mêmes personnes."

Brut prend un risque, comme tous les entrepreneurs

Verra-t-on Rémy Buisine, le reporter star de Brut, animer des achats sur Brut Shop ? "Je ne pense pas que ce seront des journalistes qui le feront, ça n’a jamais été annoncé comme tel, précise Damien Van Achter. Je pense que ça va être des influenceurs, des producteurs de contenus formés pour ça. Le téléshopping, ça ne s’improvise pas."

Quant à la question du conflit d’intérêts, il s’agira pour les deux sociétés d’être très au clair. "Il faut partir du principe que si les journalistes font bien leur travail, il ne devrait pas y avoir de souci, affirme Xavier Degraux. Ici, il y a un choix commercial qui est fait dès le départ. Est-ce que Carrefour aura une influence ? Ce n’est pas dans leur intérêt directement : le bad buzz risque d’être plus important que le bénéfice."

Pour Damien Van Achter, "Brut prend un risque en le faisant, mais c’est le lot de tous les entrepreneurs : prendre des risques et les assumer derrière".

Et le journaliste de conclure : "Le contrat qui vient de passer est très transparent : le juge de paix, ce sera le public."

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