Une aquarelle de Rops, volée par les nazis, retrouvée à la Bibliothèque royale de Belgique

"La buveuse d'absinthe" de Félicien Rops (1876)

© Bibliothèque royale de Belgique

Par Fabien Van Eeckhaut

La Bibliothèque Royale de Belgique possède dans ses collections une aquarelle volée à une famille juive française par le régime nazi pendant la Seconde guerre mondiale. Une information des quotidiens "De Standaard" et "Het Nieuwsblad" ce mardi. Une œuvre acquise dans les années 60 en "toute confiance" dit-on côté BRB. Se pose désormais la question de savoir ce qu’il faut en faire.

"Un cabinet d’un amateur parisien"

C’est une aquarelle bien connue reprise dans les catalogues, souvent exposée aussi : "la buveuse d’absinthe", signée Félicien Rops, datant de 1876. Elle faisait partie des collections de l’avocat juif Armand Isaac Dorville (1875-1941), grand avocat parisien qui s’était replié en 1940 sur son château de Dordogne où il est décédé en juillet 1941. Sa collection d’art (notamment des Carpeaux, Rodin, Delacroix, Renoir, Manet, Bonnard, Vuillard ou Valloton), un temps "aryanisée", fut finalement vendue de force aux enchères, sous tutelle d’un administrateur provisoire, en juin 1942 à l’hôtel Savoy de Nice. Dorville une famille largement décimée pendant la guerre. Armand Dorville n’avait pas d’enfant. Ses deux sœurs Jeanne et Valentine et leurs enfants et même petits-enfants finirent à Auschwitz. Seul subsista Charles un frère engagé dans la résistance dans les Forces françaises livres.

Une aquarelle de Rops, volée par les nazis, retrouvée à la Bibliothèque royale de Belgique

Le nom de Dorville est réapparu il y a quelques années grâce aux recherches d’une historienne française, Emmanuelle Polack (auteure d’un livre "Le marché de l’art sous l’Occupation", Tallandier, 2019), sur l’art spolié par les nazis, laquelle permit de découvrir une dizaine d’œuvres de la collection Dorville dans les réserves du Louvre à Paris. En outre, il y a quelques semaines, le 20 janvier 2020, ses héritiers (une petite-nièce) viennent de récupérer trois œuvres rendues par l’Allemagne qui avaient abouti dans la collection du marchand d’art nazi Cornelius Gurlitt…

Et voilà donc ce Rops, retrouvé par la presse flamande dans les collections de la Bibliothèque royale de Belgique. Une aquarelle achetée de bonne foi par l’Institution publique à un marchand français en 1968. Avec certes au dos un ticket renvoyant à la vente forcée de 1942 "du cabinet d’un amateur parisien". L’appellation Dorville est reprise dans les catalogues et sur les fiches liées à l’aquarelle, mais personne ne s’était vraiment interrogé jusque-là comme le confirme Joris Van Grieken, conservateur de la section Estampes et imprimées de la Bibliothèque royale : "Oui c’était une surprise, alors que le nom de la collection Dorville était mentionné dans une publication faite dès l’acquisition de 1968. Mais on ne savait pas exactement ce qui s’était passé avec ce Monsieur Dorville et avec ses héritiers. Moi je ne connaissais pas ce nom ni cette histoire jusque il y a peu".

Dédommagement ou restitution ?

L’Institution étudie à présent ce qu’elle doit faire de cette œuvre volée pendant la guerre, sachant qu’étant œuvre de Rops elle a un lien étroit avec la culture nationale. Mais. "La Belgique a adhéré à la convention de Washington qui prévoit que, pour ce type d’œuvres spoliées pendant la Seconde guerre mondiale, normalement il doit y avoir 'compensation' ou restituées. Il y a encore différentes options là, probablement des négociations qui doivent s’engager avec les héritiers de cette œuvre, ceux qui ont maintenant les droits sur la propriété de cette œuvre". Jusqu’à présent, aucun contact n’a été pris avec les descendants d’Armand Dorville. "On va mener d’autres recherches. Nous sommes informés sur ce cas désormais. L’affaire vient juste de sortir dans la presse. On verra bien. On attend".

Il n’est pas exclu que qu’autres œuvres au parcours historiquement chahuté figurent encore dans les collections de la Bibliothèque et d’autres institutions belges dans notre pays. "Ce n’est pas quelque chose de vraiment exceptionnel. Ici en général, je pense que nous n’avons jamais acheté d’œuvres directement pendant la guerre durant des ventes forcées, mais toujours bien après la guerre. Mais je suis persuadé qu’il y a encore beaucoup d’œuvres ici dans nos collections à la Bibliothèque royale mais aussi dans pas mal d’institutions publiques qui proviennent de ventes forcées et soit de l’art spolié. Sans doute. Mais il s’agit de beaucoup de dossiers et d’œuvres à analyser, c’est un grand travail. Jusqu’à présent, on n’a pas tout fouillé. Et donc on n’est pas à la fin de cette histoire…".

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