''Une Enfance de paille'', c’est le titre de cet ouvrage qui nous raconte les 6-10 ans du père de l’autrice, dans les alpages du nord de la Suisse, plus précisément dans les environs du Toggenburg.
Nous sommes en 1943, Ernst est le plus jeune d’une fratrie nombreuse. Il vit à la ferme, une existence rude, ponctuée par les tâches les plus diverses, son père est mobilisé à la frontière depuis 1939, c’est la mère qui régente la maison. Les temps sont durs. La famille possède quelques vaches et vingt poules, mais les enfants ne reçoivent un œuf que le jour de leur anniversaire, il faut vendre la production pour faire entrer l’argent. La pauvreté amène les parents d’Ernst à se décider à le placer. Un couple de fermiers de la région dont les affaires sont bien plus florissantes emmène donc le petit garçon de six ans pour qu’il les assiste quotidiennement. Ce sont ces quatre années proches d’une forme d’esclavage que raconte ce roman graphique.
Un peu ''Les Misérables'' de Victor Hugo ? Soyons clairs : la famille d’accueil du petit Ernst se comporte comme de parfaits Thénardier et la situation du garçon n’est guère plus enviable que celle de Cosette dans le roman de Victor Hugo. Pourtant, en lisant ces pages, on est constamment balancé entre une forme de compassion pour cet enfant privé de l’amour des siens, réduit au rôle de bonne à tout faire et une découverte de la vie quotidienne dans les alpages suisses pendant la Seconde Guerre mondiale. C’était il y a tout juste 80 ans et pourtant, on n’imagine pas une seconde à quel point la vie rurale était encore totalement calquée sur la force physique. Pas de machines, ou presque, on fauchait à la main, on ne se déplaçait qu’à pied et même, on débardait les sapins sans l’assistance d’un cheval. Au gré des pages, on découvre donc cette vie de forçat au service d’un homme qui se fait appeler " maître " et on assiste à la résurrection d’un monde totalement oublié.
Le dessin est volontairement naïf, inspiré par les peintures folkloriques suisses, il est en noir et blanc, et n’a pas recours aux cases. Le texte off est très important, il rythme tout l’album car c’est la voix du père telle que l’a recueillie Lika Nüssli. D’ailleurs, cette voix s’exprime aussi par le biais de petits bulletins météo car Ernst a conservé toute sa vie l’habitude de noter quel temps il faisait, jour après jour. Et puis, au beau milieu du livre, on est soudain sortis de l’époque de la guerre pour assister à l’une ou l’autre conversations entre Lika Nüssli et son père, pour tenter de lui faire raconter ces années très particulières. Une manière de bien nous faire ressentir qu’il ne s’agit pas d’une fiction.
''Une Enfance de Paille'' de Lika Nüssli chez Atrabile