Un rêve pacifiste aux origines de l’Internet : le "Mundaneum" d’Henri La Fontaine et Paul Otlet.

Un rêve pacifiste aux origines de l’Internet : le "Mundaneum" d’Henri La Fontaine et Paul Otlet.

La Trois
Par Gérald Decoster

    Avec Des femmes face aux missiles, " Retour aux sources " se penche sur ces femmes qui, en Grande-Bretagne, se sont pacifiquement opposées aux missiles nucléaires américains stockés à Greenham Common… L’occasion de (re)découvrir un projet pacifiste belge extraordinaire, celui du Mundaneum


     

    Un nouveau Nobel de la Paix belge...

    C’est en 1901 que naît le prix Nobel de la Paix, pour récompenser " la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix ". Après l’Institut de Droit International en 1904 et Auguste Beernaert en 1909, la Belgique est une troisième fois mise à l’honneur : en 1913, le Nobel de la Paix est attribué à Henri La Fontaine

    Henri La Fontaine, prix Nobel de la Paix 1913
    Léonie La Fontaine

    Ce Bruxellois doit son titre à son intense engagement au Bureau international de la paix, une institution qui a elle-même été ainsi distinguée trois ans plus tôt. Docteur en droit, homme politique, pacifiste, Henri La Fontaine fut également… féministe, à l’instar de sa sœur Léonie qui œuvrera avec son frère au sein d’un grand projet, le Mundaneum

    Aux origines du Mundaneum…

    Pour générer cette institution unique au monde, La Fontaine va s’associer avec Paul Otlet qu’il a rencontré au sein du groupe de travail mettant au point les Pandectes belges, un répertoire général de législation, de doctrine et de jurisprudence belges, initié par Edmond Picard.

    Paul Otlet
    L’Office national de bibliographie vers 1900...

    Otlet est également Bruxellois. Juriste, militant socialiste et pacifiste, il sera aussi bibliographe. Avec La Fontaine, il ne manque donc pas de points communs. Ensemble, ils créent l’Office international de bibliographie (OIB), auquel participera Léonie ; ils inventent aussi la classification décimale universelle (CDU). Ces deux disciplines constitueront le moteur du futur Mundaneum, car les deux hommes rêvent d’un monde où le savoir sera mis à la disposition de tous, permettant ainsi aux hommes de mieux se connaître afin de ne plus se craindre et donc, de vivre en paix…

    L’aventure débute en 1895, par la mise au point de l’OIB qui établi le répertoire bibliographique universel (RBU). Le but est d’y rassembler les notices de tous les livres publiés à travers le monde, tous sujets et époques confondus ! Le système permettra de répertorier tous les " faits " et " écrits " de ce qu’ils appelleront la Bibliographica sociologica. Dès 1895, pas moins de 400.000 notices ont déjà vu le jour.

    Entretemps, au sein de l’OIB, Léonie a fondé l’Office central de documentation féminine, en s’assurant d’un partenariat entre différentes sociétés ayant pour principal centre d’intérêt les droits de la femme. En 1910, La Fontaine et Otlet vont s’associer avec Robert Goldschmidt pour mettre au point le Bibliophoto, une véritable bibliothèque constituée de microfiches, portable et donc précurseur de l’Internet !

    La Cité mondiale…

    Projet pour la Cité mondiale de Hendrick Christian Andersen, 1910
    Projet pour la Cité mondiale, par Maurice Heymans, 1935

    Dès 1914, l’installation du Mundaneum ou Palais Mondial débute dans l’une des ailes des palais du Cinquantenaire, à Bruxelles. Si la Première Guerre mondiale ralentira le travail, dès 1920, ce ne sont pas moins d’une centaine de salles qui constituent un gigantesque espace de documentation et de connaissances universelles.

    L’ampleur du projet obligera Otlet et La Fontaine à revoir leurs ambitions, se limitant finalement à quelques domaines de prédilection et à la documentation internationale. À terme, le Palais Mondial comptera des milliers de livres, plus de 200.000 journaux, des collections consacrées au pacifisme, à l’anarchisme, aux affiches, aux photos, aux cartes postales et, bien évidemment, le RBU qui comptera jusqu’à douze millions de fiches !

    Vers 1930, Paul Otlet (au centre) et Henri La Fontaine (à droite) devant l’entrée du Palais Mondial, au Cinquantenaire

    L’ampleur du projet obligera Otlet et La Fontaine à revoir leurs ambitions, se limitant finalement à quelques domaines de prédilection et à la documentation internationale. À terme, le Palais Mondial comptera des milliers de livres, plus de 200.000 journaux, des collections consacrées au pacifisme, à l’anarchisme, aux affiches, aux photos, aux cartes postales et, bien évidemment, le RBU qui comptera jusqu’à douze millions de fiches !

    Mais Otlet et La Fontaine ne veulent pas s’arrêter là, ils imaginent un projet encore plus grandiose : la Cité mondiale. Le lieu sera dédié à la connaissance, rassemblant le travail intellectuel des universités, des musées et des bibliothèques de la planète. La Cité mondiale sera un pont mondial, réunissant tous les peuples à travers une civilisation universelle consacrée au savoir… Parmi les sites envisagés pour sa construction, Anvers, Bruxelles, Genève, Paris, voire, les États-Unis ; les architectes pressentis : Maurice Heymans, Hendrick Christian Andersen, Le Corbusier… Hélas, ce projet pharaonique ne verra jamais le jour.

    En 1934, le Gouvernement belge décide de fermer le Palais mondial pour regagner de l’espace au Cinquantenaire.  Pourtant, l’IIB continuera ses travaux dans la merveilleuse maison achevé pour Paul Otlet en 1898, rue de Florence. En revanche, les collections du Mundaneum seront mises en caisses et, en 1941, les Allemands occupant le Cinquantenaire, elles seront déménagées au parc Léopold, dans l’une des ailes de l’ancien Institut d’anatomie Raoul Waroqué.

    L’hôtel de Paul Otlet, à Bruxelles
    L’entrée de l’hôtel Otlet, rue de Florence…
    Une vue de la cage d’escalier de l’hôtel Otlet

    D’un endroit à l’autre, c’est l’histoire de la longue errance de ces caisses emplies de savoir. Certaines se perdront, d’autres prendront l’eau… Finalement, c’est en 1984 que l’asbl Les Amis du Palais Mondial Mundaneum cèdent les collections à la Communauté française de Belgique, aujourd’hui Fédération Wallonie-Bruxelles.

    En 1993, les impressionnants vestiges du rêve de La Fontaine et Otlet arrivent à Mons. Pour les abriter et les dévoiler au public, le superbe bâtiment Art Déco de l’ancien grand magasin L’Indépendance est restauré. Le Mundaneum ouvre ses portes en 1998. Outre ses espaces d’expositions principalement dédiés à l’extraordinaire histoire débutée en 1895, les lieux conservent les archives personnelles d’Otlet et La Fontaine, les collections du défunt Palais mondial et les importants fonds d’archives consacrés au pacifisme, à l’anarchie et au féminisme qui y sont consultables.

    Le Mundaneum à Mons…
    "Paul Otlet et le Mundaneum", lithographie de François Schuiten, 1998

    Lieu de conservation, de découverte, d’exposition et de conférence, le Mundaneum collabore depuis 2012 avec Google qui a reconnu ses origines dans ce " Google de papier "…   

    À suivre dans " Retour aux sources ", sur La Trois, ce samedi 5 mars, à 21 h, Des femmes face aux missiles, de Sonia Gonzalez, suivi de Qu’est-il arrivé à Rosemary Kennedy ? de Patrick Jeudy.

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