Belgique

Un projet de loi pour échanger un "otage" belge en Iran avec le terroriste Assadolah Assadi : une option diplomatique ?

Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne a déposé en urgence le 29 juin au parlement, un projet de loi composé de cinq traités. L’un d’entre eux avec l’Iran, porte sur « le transfèrement de personnes condamnées ». Il sera examiné demain.

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C’est un nouvel élément qui pourrait expliquer la précipitation du gouvernement à vouloir faire examiner un projet de loi demain, en commission des Relations extérieures.

On apprend qu’un citoyen belge est incarcéré dans une prison à Téhéran, en Iran, depuis le 24 février. "Les autorités iraniennes n’ont donné aucune raison valable qui tienne juridiquement", affirme la diplomatie belge. Il n’y a pas eu d’inculpation.

Les Affaires étrangères l’avaient mis en garde, en lui déconseillant fermement de s’y rendre. Rien n’y a fait. L’homme, qui n’a pas la double nationalité, se rendait régulièrement dans la République islamique et ne se sentait pas en danger.

Pourtant, depuis qu’Assadollah Assadi, le chef du renseignement iranien en Europe, a été condamné le 4 février 2021 par le tribunal d’Anvers à la peine maximale de vingt ans de prison pour terrorisme, le risque d’une détention arbitraire d’un citoyen belge en Iran était hautement probable.

Projet terroriste à Paris coordonné depuis la Belgique

Assadollah Assadi a été condamné pour avoir projeté un attentat qui devait viser un rassemblement d’opposants au régime de Téhéran, le 30 juin 2018, à Villepinte, près de Paris. Ce grand rassemblement annuel du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) comprend notamment les Moudjahidine du peuple (MEK). L’attentat, stoppé in extremis grâce à la collaboration des services européens, aurait pu faire plusieurs dizaines de morts.

Assadollah Assadi a été arrêté en juillet 2018 en Allemagne. A l’époque, il était en poste à l’ambassade d’Iran à Vienne. Il a été remis en octobre 2018 à la Belgique. L’enquête a montré qu’Assadi était en réalité un agent du renseignement iranien "agissant sous couverture diplomatique".

Dans ce procès, trois complices belges d’origine iranienne ont été condamnés en appel le 10 mai à des peines allant de 17 à 18 ans de prison, ainsi qu’à la déchéance de leur nationalité belge. Parmi eux, Amir Saadouni et Nasimeh Naami, domiciliés à Anvers. Le couple avait été arrêté le 30 juin 2018 par la police belge dans les environs de Bruxelles, en possession de 500 grammes d’explosif TATP ainsi que d’un détonateur dans sa voiture.

Pressions du régime iranien sur la justice belge

Depuis le verdict prononcé en 2021, les autorités iraniennes n’ont cessé de mettre la pression sur la Belgique pour tenter d’obtenir la libération de leur agent.

Le régime iranien a tenté d’exercer son influence sur le système judiciaire belge, après avoir prévenu qu’il ne reconnaîtrait pas le jugement, tout en affirmant que la procédure initiée n’était "pas légitime, en raison de l’immunité diplomatique" d’Assadollah Assadi. Par la suite, celui-ci s’est désisté de son appel, persuadé qu’il allait être un jour transféré en Iran.

Le ton est devenu pressant. En mai dernier, le porte-parole iranien des affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh, appelait la Belgique à "libérer immédiatement Assadollah Assadi".

A présent, les Iraniens utilisent la détention arbitraire comme moyen d’exercer un chantage, voire imposer une monnaie d’échange.

Un projet de loi pour transférer Assadolah Assadi en Iran, en échange de "l’otage" belge ?

Des négociations ont eu lieu entre Sophie Wilmès et les autorités iraniennes pour obtenir une libération du citoyen belge, en vain. Le Premier ministre Alexander De Croo a rencontré à Davos, le ministre iranien des affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian.

Pour le régime iranien, il suffirait d’un claquement de doigts pour faire un échange. Mais la Belgique est un Etat de droit. Et si accord il y avait, l’échange devra se doter d’une base légale. A ce stade, la diplomatie ne semble pas avoir d’autres cartes en main. Pour le gouvernement, "vu la situation", c’est en tout cas l’une des options diplomatiques possibles.

Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne a déposé en urgence le 29 juin un projet de loi composé de cinq traités, notamment d’entraide judiciaire avec l’Inde et les Émirats arabes unis. L’un d’eux, fait à Bruxelles le 11 mars 2022 entre la Belgique et la République islamique d’Iran, porte sur "le transfèrement de personnes condamnées".

Ce projet de loi sera examiné demain en commission des Relations extérieures pour être voté jeudi.

Georges-Henri Beauthier, avocat de l’opposition iranienne
Georges-Henri Beauthier, avocat de l’opposition iranienne © AFP or licensors

La colère de l’opposition iranienne

Le transfèrement d’un terroriste en Iran sur cette base légale serait-il la seule solution pour obtenir la libération du citoyen belge ? A ce stade, la diplomatie ne semble pas avoir d’autres cartes en main. "Vu la situation", c’est en tout cas l’une des options diplomatiques possibles. "Aucun échange n’est en vue. Aucune décision n’a été prise", assure-t-on dans les couloirs des chancelleries belges.

Mais une telle perspective suscite la colère de l’opposition iranienne. La N-VA a également multiplié les déclarations pour critiquer le gouvernement sur ses possibles intentions de "libérer un terroriste".

Selon l’article 13 de ce projet de loi, "chaque partie peut accorder la grâce, l’amnistie ou la commutation de la condamnation conformément à sa constitution et à ses autres dispositions légales", souligne Georges-Henri Beauthier, avocat de l’opposition iranienne. "Comme Assadi bénéficie d’une immunité diplomatique, pour les autorités iraniennes, on devine ce qu’il adviendra. Il sera libre".

"Ce qui m’interpelle le plus", déplore Georges-Henri Beauthier, "c’est qu’on demande à la justice belge de faire son travail. Pendant quatre ans, on réunit des forces pour que le droit triomphe, et voilà qu’avec une sorte de baguette magique, on nous dit que tout ça ne compte pas."

Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne s’en expliquera demain en commission des Relations extérieures. Il précisera certainement aussi les intentions du gouvernement.

Une "diplomatie d’otages"

Téhéran détient dans ses prisons une douzaine de ressortissants européens. Notamment un touriste français, Benjamin Brière, incarcéré en Iran depuis mai 2020. Il a été condamné à huit ans de prison "pour espionnage".

Un Suédois d’une trentaine d’années a été arrêté en mai dernier alors qu’il était en vacances en Iran. Sans compter l’universitaire irano-suédois Ahmedreza Djalali, professeur à la VUB. Il a été condamné à mort en 2017 "pour espionnage". En mai dernier, une fois de plus, Téhéran a mis la pression en annonçant que son exécution était imminente. Il se trouve que ce professeur dispose en Belgique d’un comité de soutien très actif pour obtenir sa libération.

Pression à la fois sur la Belgique et la Suède pour libérer cette fois, Hamid Noury, un ancien cadre du système judiciaire iranien détenu en Suède. L’homme est jugé à Stockholm depuis août 2021 pour "crimes contre l’humanité", "crimes de guerre" et pour son implication présumée dans les exécutions en 1988 d’un grand nombre d’opposants prisonniers en Iran. Le procès vient de se terminer et le verdict est fixé au 14 juillet.

"C’est une diplomatie d’otages qui ne date pas d’aujourd’hui", analyse Majid Golpour, chercheur associé au Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité à l’ULB.

L’Etat iranien est qualifié de propagateur de terroristes

Comment négocie-t-on avec un pays preneur d’otages ? Certains détenus, comme Benjamin Brière, pourraient-ils retrouver la liberté grâce au vote en Belgique de la loi sur le transfèrement de condamnés, comme le suggère Le Monde ? Rien n’est moins sûr. 

Les familles des "otages" l’espèrent. Pour autant, la méthode ne convainc pas. "L’Etat iranien est qualifié de propagateur de terroristes. On ne négocie pas avec cet Etat", souligne Georges-Henri Beauthier. "Depuis l’arrivée au pouvoir des mollahs, près de 500 personnes ont été tuées en dehors des frontières iraniennes, dont une cinquantaine en Europe. On permet que des agents secrets soient impunis et qu’ils continuent d’exercer leur basse besogne auprès de l’opposition iranienne en Europe."

Par le passé, la France et la Grande Bretagne ont déjà cédé au chantage. Roland Marchal, un chercheur français, a passé neuf mois en détention avant d’être échangé en 2020 contre un ingénieur iranien détenu en France. Nazanin Zaghari-Ratcliffe, une Britannique d’origine iranienne, a été libérée en mars après six ans de détention, tandis qu’une dette britannique de 500 millions de dollars dus à l’Iran a été libérée.

Pour Behzad Naziri, membre du CNRI, "Il est temps que l’Europe agisse avec fermeté contre le renseignement iranien qui dispose d’un large réseau sur le continent".

"Des agents de renseignement sont infiltrés dans des ambassades et des consulats de la République islamique, dans des maisons de prière, des associations culturelles…", explique Majid Golpour. "Il suffit de lire le cahier vert de M. Assadi. Il comporte plus d’une centaine de noms de personnes impliquées dans ce réseau, dans différents pays européens, avec des preuves de virements bancaires".

L’enjeu du nucléaire iranien

Difficile de ne pas y voir un moyen de faire pression sur les Occidentaux à un moment où les négociations sur le nucléaire iranien sont menacées d’échec.

Pour la diplomatie belge, il n’y a pas de lien. Pour Majid Golpour, c’est une évidence : "la République islamique mène une guerre sainte à tous les niveaux, y compris dans les négociations sur le nucléaire, un enjeu capital pour le régime".

Les négociations sont au point mort. "Un accord était prêt dans les moindres détails depuis mars mais depuis, la négociation achoppe sur un sujet bilatéral entre l’Iran et les Etats-Unis", affirme une source proche du dossier.

D’après les termes de l’accord signé en 2015, par l’Iran, la Russie, la Chine, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis, Téhéran avait convenu de limiter le niveau d’enrichissement d’uranium pour se limiter à la production d’électricité.

Mais depuis que Washington s’est retiré de l’accord en 2018, imposant des sanctions encore plus fortes à l’Iran, Téhéran a largement dépassé le plafond autorisé d’enrichissement, approchant dangereusement du seuil nucléaire et réclame la levée des sanctions sans conditions.

Dans ce contexte, le risque d’un conflit avec Israël n’est pas mince.

Assadollah Assadi a été condamné pour avoir projeté un attentat qui devait viser un rassemblement d’opposants au régime de Téhéran, le 30 juin 2018, à Villepinte, près de Paris.
Assadollah Assadi a été condamné pour avoir projeté un attentat qui devait viser un rassemblement d’opposants au régime de Téhéran, le 30 juin 2018, à Villepinte, près de Paris. © Tous droits réservés

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