Les Grenades

Un projet artistique autour des violences faites aux femmes "pour que les gens comprennent"

© Tous droits réservés

Par Jehanne Bergé pour Les Grenades

À travers Blessures de femmes, paroles d’hommes, Catherine Cabrol et Cécile Maistre-Chabrol ont la volonté de faire voir et entendre les violences domestiques et intrafamiliales. Après la France, elles déploient désormais le projet en Belgique. Entretiens.

C’est dans le milieu du cinéma que Cécile Maistre-Chabrol et Catherine Cabrol se rencontrent il y a des années. Les deux femmes ont alors une amie en commun : Marie Trintignant. À l’été 2003, c’est la tragédie, leur monde bascule ; lactrice décède sous les coups mortels de son compagnon, Bertrand Cantat.

Pour Catherine Cabrol, ce féminicide est le point de départ d’un long combat : "J’ai été amenée à photographier des gens célèbres. Face à Marie Trintignant, je suis restée un peu bouche bée, elle ma impressionnée par son humanité, sa liberté. En 2003, j’étais en Lituanie sur le lieu du tournage lors de l’événement. Je nai rien vu venir et je me suis dit Catherine, il y a un truc qui ne va pas. Je nai pas été d’accord, jai réagi avec mon métier, je nai pas pu faire autrement. À l’époque on ne parlait pas des violences conjugales. Je voyais que les gouvernements ne faisaient rien, j’étais désespérée." Depuis, armée de sa caméra, la photographe réalise des portraits de femmes victimes de violences. Cécile Maistre-Chabrol la rejointe dans son engagement.

Des portraits pour donner leur place aux femmes

"Je suis entrée dans toutes les formes de violence. J’essaye d’y aller avec le plus de douceur possible pour comprendre, et que les gens comprennent à leur tour, mais aussi pour aider les femmes à parler, pour les écouter, pour leur rendre hommage", explique Catherine Cabrol.

►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe

Ses portraits sont articulés autour du projet bénévole Blessures de femmes, paroles d’hommes. Celui-ci se déroule en plusieurs temps. Premièrement, la récolte de la parole des victimes qui acceptent de témoigner, ensuite une exposition des portraits sous forme de photographies. Et troisièmement, la lecture des témoignages par des comédiens sur une scène de théâtre. Ce projet artistique diffusé dans plusieurs régions de France est porté par lassociation quelle a fondé Libre Vue dont lobjectif est de lutter contre toute forme de violence par lart photographique.

Après s’être perdues de vue, il y a trois ans, le hasard réunit à nouveau Cécile Maistre-Chabrol et Catherine Cabrol. Fraichement arrivée à Bruxelles, lautrice-réalisatrice propose alors à la photographe de lancer le projet en Belgique. "Ça fait deux ans que je m’y attèle. On a fait un appel à témoignage. Les femmes que je rencontre sont incroyablement fortes et courageuses", confie-t-elle. "Avant la mort de Marie, javais une vision stéréotypée des violences, mais ça arrive à toutes les femmes, dans tous les milieux."

Des rencontres bouleversantes

Cécile Maistre-Chabrol explique comment se lancer dans Blessures de femmes, paroles dhommes a modifié son rapport au monde. "Il y a quelque chose qui a changé en moi avec ce projet, par rapport aux femmes, par rapport à ce mot que je nutilisais jamais avant : la sororité." Elle continue : "Je ne suis pas psy, ni journaliste, mais il y a un lien de confiance qui sinstalle. Je sens que ce travail d’écoute leur apporte de la reconnaissance. Je les laisse parler comme un flot. Je crois que me raconter à moi qui ne suis pas une professionnelle, cest libérateur, à la façon de l’art thérapie."

►►► Pour recevoir les informations des Grenades via notre newsletter, n’hésitez pas à vous inscrire ici

Les photos et les textes sont soumis aux femmes qui acceptent de témoigner : le projet est une co-construction. Catherine Cabrol explique aussi à quel point les femmes quelle rencontre la bouleversent. "Écouter leur histoire et les photographier a changé ma vie et mon regard de photographe." Depuis la mort de son amie, la militante est par ailleurs restée proche de la mère de la comédienne : Nadine Trintignant. Celle-ci vient par ailleurs de réaliser un portrait documentaire sur sa fille : Marie Trintignant. Tes rêves brisés.

Paroles d’hommes

La lecture des témoignages par les hommes suscite le débat, mais pour les deux porteuses du projet, cest essentiel de les intégrer à la démarche. "Je pense quon ne peut pas résoudre ce problème sans les hommes. Les photos des femmes sont projetées sur scène. Je fais parler les comédiens à la première personne au féminin. Ils sont au service des femmes. Cest un acte fort pour moi. Lire ce nest pas jouer, je ne veux pas quils jouent", explique Catherine Cabrol qui a notamment mené le projet à la Comédie française.

"Cest sensible dincorporer les hommes. Certaines associations nous envoient des mails pour nous dire que les femmes se font voler leur voix, que les hommes sont mis dans la lumière. Moi je respecte les opinions, je ne cherche pas à convaincre, mais je crois quen impliquant les hommes, on diffuse les idées auprès dun autre public. Les femmes, elles, elles savent, elles sont conscientes des violences. Ce ne sont pas les femmes qui doivent changer, ce sont les hommes. Jai 54 ans, les hommes de ma génération ne sont pas aussi conscientisés que les jeunes", avance Cécile Maistre-Chabrol.

Si aujourdhui, que ce soit au niveau politique ou médiatique, les violences faites aux femmes sont mises à l’agenda, il reste beaucoup à faire. Selon Amnesty, en Belgique, chaque année, plus de 45.000 dossiers de violences conjugales sont enregistrés par les parquets. Toutefois, les actes de violence conjugale sont loin d’être toujours dénoncés. Rappelons que ce sont dans limmense majorité des cas les femmes qui en sont la cible.


Appel à témoignages

Dans le cadre de la création du projet "Blessures de Femmes" en Belgique, Cécile Maistre-Chabrol cherche encore à rencontrer des femmes qui ont subi des violences et qui souhaitent en témoigner. Plus d’infos : bdfbelgique@librevue.org


Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

Inscrivez-vous à la newsletter Les Grenades

Recevez chaque mois un condensé d'infos qui dégoupillent l'actualité d'un point de vue féministe.

Tous les sujets de l'article

Articles recommandés pour vous