Critique : ***
Un grand escogriffe, Antoine Defoort, parfois calme, réfugié derrière deux micros, ou agité de fièvre démonstrative, nous confie sa passion pour les " Parapluies de Cherbourg " de Jacques Demy, qu’il voudrait adapter au théâtre. Et de nous en offrir quelques minutes "live", très drôles, où il joue tous les rôles. Pas plus de 3 minutes parce que sinon…faut payer des droits d’auteurs. Belle accroche initiale pour nous plonger dans l’austère sujet du conférencier, un historique de ces droits d’auteurs, nés au beau siècle des lumières, le XVIIIè, d’abord en Angleterre (le fameux copyright) puis en France, sous l’impulsion de Diderot et Beaumarchais. Pour illustrer ce cours de droit comparé, de simples boîtes en carton pour ranger les concepts (droit moral, droit patrimonial, etc) et nous expliquer d’où ça vient, comment ça fonctionne et à quoi ça sert. Et, suspendu à un fil, une chronologie, la ligne du temps pour clarifier la démonstration, parsemée d’exemples et d’anecdotes qui font rire, introduisant des effets de théâtre dans un discours pas linéaire mais ondulatoire. Avec Antoine Defoort et sa bande on ne sait trop si le concept est drôle ou le rire conceptuel mais ça marche ! La salle se marre et quand on sort on nous donne un délicieux petit "topo-guide" sous forme d’une BD qui synthétise ce qu’on nous a appris ! La morale de l’histoire (puisqu’au fond cette " conférence " est aussi une "fable" sur l’art de détourner une intention généreuse) : rémunérer un auteur, une œuvre de l’esprit c’est bienvenu, digne des " lumières ". Mais au fil du temps et des réformes du droit, on a allongé la protection de l’auteur et de son œuvre, de 2 ans après sa mort à 70 ans, autant dire un siècle. Et cela profite aux héritiers et aux intermédiaires qui parviennent, sans autre travail ni mérite que celui de leurs avocats, à mettre le grappin sur des sommes considérables. Cela nous vaut un époustouflant démontage, rires à l’appui, par petits cartons interposés, de l’héritage de Maurice Ravel. Imaginez combien de fois la Valse et le Boléro sont joués par an dans le monde. Ces sommes colossales (plusieurs millions d’euros) sont passées, par la magie des droits d’auteur, du frère de Ravel à ses domestiques en passant par un directeur opportuniste d’une société de gestion de ces droits.
Au total, un exercice de haute voltige théâtrale, qui jongle avec des concepts juridiques et suscite une franche hilarité. Un divertissement rythmé à savourer sans hésitation.
"Un faible degré d’originalité", d’Antoine Defoort.
A voir aux Tanneurs jusqu’au 26 novembre.
Christian Jade, RTBF.be