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Un atelier en non-mixité: racisme ou safe space?

Un atelier en non-mixité: racisme ou safe space?

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Par Emma Mestriner

Fatima-Zhora est la fondatrice du collectif féministe bruxellois Imazi.reine. Aujourd’hui, il rassemble une large communauté en ligne (11,3k d’abonné·es sur Instagram, 1,7k sur Facebook). Menant aussi des actions sur le terrain, il se revendique comme intersectionnel, décolonial, anti-raciste et inclusif. Depuis mercredi 9 décembre, un des ateliers co-organisé par le collectif - une discussion sur Facebook sur le thème de la convergence des luttes non-consensuelles - crée la polémique.

Organisé par le collectif Imazi.reine avec le Centre Librex, PointCulture Bruxelles et l’ASBL La Maison du Livre, l’évènement Facebook bénéficiait du soutien d’equal.brussels, le centre bruxellois pour l’égalité des Chances.

Le point de départ de la polémique ? Sa description sur le réseau social : uniquement proposé aux "femmes queers racisées" et se voulant en "non-mixité, sans homme cis-hétéro et sans personnes blanches". C’est cette dénomination qui a provoqué de vives réactions en ligne. Suite à cela, la description de l'événement s'est vue modifiée : "Compte tenu du sujet, l’atelier s’adresse prioritairement aux femmes et queer racisé·es. Merci de votre compréhension", peut-on lire sur la page Facebook.

Cet atelier, et nos ateliers en général ne sont pas racistes, et n’émanent pas d’une volonté d’exclure. C’est justement l’exclusion initiale qui mène à la création de ces espaces

Face à ce tollé, le collectif a d’abord répondu via des stories Instagram, dans lesquels la fondatrice Fatima-Zhora rappelait que "certains de leurs ateliers sont ouverts aux femmes et personnes non-binaires, d’autres sont ouverts aux femmes et aux personnes racisées non-binaires, d’autres encore sont ouverts à tout le monde. A chaque atelier c’est toujours mentionné très explicitement". 

Elle a également publié un post expliquant pourquoi elle campait sur ses positions et continuerait à organiser de tels évènements non-mixtes, des safe-spaces qui selon, elle ne sont pas racistes, que du contraire. Elle explique aux Grenades : "Nous continuerons à avoir ces "safe spaces", ces espaces de bienveillance de non-jugement en privé, tant qu’ils poseront problème dans le débat public et qu’on ne nous permettra pas d’en parler sans nous mettre en danger ".

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"Ces ateliers ne sont pas racistes"

L’évènement a bien eu lieu ce jeudi soir : "Cet atelier, et nos ateliers en général ne sont pas racistes, et n’émanent pas d’une volonté d’exclure. C’est justement l’exclusion initiale qui mène à la création de ces espaces. Je pense qu’en termes d’anti-racisme on n’est pas encore aussi loin que dans d’autres luttes (même si dans celles-ci, du travail reste à fournir), mais dans la lutte anti-raciste, cette polémique prouve qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir" explique Fatima-Zhora.


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Cette affaire a suscité de la colère chez les internautes et dans la presse, certaines réactions politiques qui dénonçaient le caractère excluant de la discussion sont également apparues. Du côté francophone, le conseiller CPAS forestois, Youssef Lakhloufi (MR) fut l’un des premiers à réagir sur Twitter et n'a pas hésité à qualifier cette discussion de "dérive racialiste et sexiste soutenue par une partie de la gauche", qui est totalement inacceptable selon lui.

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"Notre collectif, en tant qu’organisme, on aide à un vrai bien-être politique pour toutes et tous. Le but de cet atelier c’était d’organiser un safe-space où des personnes victimes puissent parler ouvertement dans un espace de non-jugement ni de sexisme. C’est dingue qu’on parle de sexisme quand les femmes veulent parler en espaces non-mixtes", pointe Fatima avant de poursuivre : " Je tiens aussi à préciser que lorsqu’un atelier de femmes non-binaires se réunissent pour parler de violences sexuelles, jamais personne ne nous a interpellé pour dénoncer le fait que ce ne soit pas accessible aux hommes. Pourquoi ? Parce que dans ces ateliers-là je pense qu’on reconnaît beaucoup plus les schémas d’oppressions, de violences et de discriminations."

Quand des personnes témoignent de leur mal-être dans la société, il faut pouvoir créer des espaces où les personnes se sentent à l’aise

"Parce qu’on reconnaît la gravité dans le fait de subir des violences sexuelles, parce qu’on comprend que les personnes qui ont subi ces mêmes violences puissent se retrouver pour en parler dans un espace en sécurité. Il ne faut pas oublier surtout en cette période de coronavirus qui fait des ravages en termes de santé mentale, que des gens  subissent des discriminations et n’ont pas de lieu pour pouvoir l’exprimer, l’argumenter, ou juste vider leur sac dans un endroit bienveillant, sécurisé. Ces espaces, comme l’atelier que nous avons organisé, doivent exister."

"Prétendre que ces espaces ne sont pas nécessaires aujourd’hui dans la lutte anti-raciste, ça nous prouve à quel point on peut attaquer un problème de manière superficielle en prônant le vivre-ensemble, le bien-être  et le respect de toutes et tous, mais en étant pas encore prêt à entendre ce que les gens veulent dire là-dessus ".

Quid de la non-mixité ?

Youssef Lakloufi a également confié à nos confrères de la capitale, qu’il trouvait singulièrement choquant que de tels événements puissent s’organiser avec une ASBL qui est soutenue par la commune de Saint-Gilles. La commune, interpellée hier matin par cette polémique, a tenu à préciser qu'elle n'avait pas apporté son soutien ni subsidié l'atelier en ligne virtuel. Selon le bourgmestre de Saint-Gilles, Charles Picqué (PS), ce problème "est beaucoup plus large qu'on ne le pense. Il existe un mouvement de la non-mixité sociale, culturelle ou sexuelle. Les initiatives comme celles-ci consacrent les risques d'affrontement".

Ce qui a également fait réagir est que la réunion était soutenue par Equal.brussels, la plateforme bruxelloise pour l’égalité des chances. "Le Centre Librex a reçu une subvention dans le cadre d’ateliers organisés dans la lutte contre le racisme", indique le cabinet de Nawal Ben Hamou (PS), secrétaire d’État à l’Égalité des chances. Il n’était alors aucunement fait mention de non-mixité.


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"La non-mixité est un outil de survie et de bien-être dont nous avons besoin. On crée ces espaces par nécessité et non pas par volonté d’exclusion", répond Fatima Zhora avant de poursuivre : "Que des personnes et instances communales se désolidarisent de l’évènement au lieu de nous voir comme des alliées dans la lutte anti-raciste, je trouve ça dommage et malhonnête envers notre travail, parce que nous traitons ce sujet de manière nuancée, complexe et surtout honnête."

"Aujourd’hui, si la polémique explose avec la tenue de cet atelier, je pense que c’est parce qu’on touche à la question raciale. Beaucoup de personnes reviennent avec l’argument du "les races n’existent pas", alors que si, d’un point de vue sociologique, elles existent, je pense qu’il faut pouvoir les aborder de manière à pouvoir traiter le problème. Si pas, on n’est pas honnête, on reste en surface, très superficiel. Il faut traiter ces sujets comme ils méritent d’être traités. Et quand des personnes témoignent de leur mal-être dans la société, il faut pouvoir créer des espaces où les personnes se sentent à l’aise."

La non mixité : on en pense quoi ?

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Au-delà de la polémique, Imazi.reine, c’est quoi ?

Il n’a pas fallu attendre cette polémique pour le collectif féministe bruxellois Imazi.reine soit relayé et médiatisé sur les réseaux sociaux. En effet, en juin 2020, elles faisaient partie des initiatrices du #Hijabisfightback (protestations contre l’arrêt de la Cour constitutionnelle belge donnant raison à un établissement d'enseignement supérieur qui entendait interdire à ses étudiant·es de porter des signes manifestant une appartenance philosophique ou religieuse, dont le port du foulard). Plus récemment, en octobre 2020, elles recevaient leur premier prix féministe (décerné par l’asbl belge Amazone). Retour sur leur parcours.

Quelle a été votre réaction d'être l'une des cinq lauréates du prix féministe de l’asbl Amazone ?

F.Z : "Tout d’abord c’est un prix qu’on ne connaissait pas avant que notre collectif soit nominé. Ce prix décerné par Amazone asbl récompense des personnes qui au cours de l’année ont accompli des choses en termes de féminisme à Bruxelles. C’était étonnant parce que, pour être tout à fait honnête, nous ne connaissions par l’asbl, notre collectif est assez récent dans le paysage féministe bruxellois et aussi nous sommes beaucoup plus actives du côté anti-raciste. Donc, ce prix était une chouette découverte et une chouette surprise."

Depuis quand le collectif existe-t-il ?

"Ca fait bientôt deux ans que le collectif Imazi.reine existe. Ca vient tout simplement à la base, de moi-même qui affirmais mon identité en tant que femme racisée, musulmane qui ne se sentait pas forcément représentée dans les mouvements féministes occidentaux. Je me posais des questions à propos de mon identité, de ma foi, du genre. Et j’ai constaté que ces questions d’autres personnes se les posaient aussi et s’y intéressaient et donc le projet a grandi, sans forcément le vouloir. Aujourd’hui, on réfléchit à ce qu’on veut faire, quel statut on aimerait avoir. Parce que, ce collectif, pour nous 4, ce n’est pas un choix de carrière, ni une passion. Nous avons chacune notre vie privée sur le côté, des études, futurs professionnels. Ce n’est pas une passion que de vouloir lutter contre des discriminations qu’on subit au quotidien."


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Concrètement, que fait le collectif ?

"On parle des questions évoquées ci-dessus à travers l’art et ça peut être très large. D’une part, le pôle qui est en train de se créer où il y a vraiment cet accompagnement en sollicitant des artistes (queers ou pas, femmes ou pas, binaires ou pas). D’autre part, des séminaires, ateliers que je donne dans des maisons de jeunes, des "safe-spaces" avec des associations. On planche sur les réseaux sociaux mais aussi sur le terrain à travers des ateliers artistiques et différentes collaborations (Muntpunt, Bozar, A Fonds). La manière dont nous abordons ces questions, on le fait de façon binaire, on y apporte une complexité. Je pense que toutes les formes d’art permettent ça et ça fait du bien de traiter ces questions/débats sociétaux de manière plus douce.

Imazi.reine, c’est aussi plus qu’un compte Instagram ? 

"Oui, à la base ce n’était pas un compte Instagram. Le projet est né d’un documentaire indépendant que j’avais réalisé et qui s’appelait "ma grand-mère n’est pas féministe". Il abordait des questions super utiles en termes de féminisme, d’immigration, de décolonisation. J’avais envie de mettre en lumière une femme (ma grand-mère) qui ne connaissait pas le mot féminisme, d’en parler avec elle. Une fois le documentaire sorti, c’est à partir de ce moment-là que le compte Instagram a pris de l’ampleur. Les gens trouvaient ces débats/questions pertinentes et voulait suivre le projet.  Aujourd’hui, nous sommes 4 féministes décoloniales et anti-racistes et on s’inspire de nos propres origines ethniques et autochtones de nos ancêtres pour mener cette lutte féministe. Nous avons aussi une équipe de bénévoles, nous sommes vraiment devenues une petite communauté."

Pourquoi avoir choisi de vous exprimer via les réseaux sociaux (principalement Instagram) ?

"Les réseaux sociaux permettent de contrebalancer, d’entamer des débats, de créer aussi des safe-spaces. Mais il ne faut pas non plus tomber dans la naïveté, nous ne vivons pas dans un monde de bisounours. Parce que, par exemple, lorsqu’on organise des safe-spaces ou des groupes de paroles bienveillants sur les réseaux sociaux, en même temps, il y a des personnes qui s’organisent politiquement pour continuer les chemins d’oppression contre lesquels on se bat et donc, pour pouvoir se battre de manière réflective contre ces schémas d’oppression, il faut pouvoir utiliser les mêmes outils, il faut utiliser les réseaux sociaux. Etre présent en tant que collectif sur les réseaux sociaux c’est aussi pouvoir contrebalancer les discours comme ceux des masculinistes ou de l’extrême-droite qui ont énormément recours à ces moyens de communication. Malheureusement ou heureusement, je ne sais pas, les réseaux sociaux sont des boîtes à écho."

Est-ce que vous pensez avoir une voix dissonante sur les réseaux sociaux ?

"Je pense que tout le monde peut être une voix dissonante sur les réseaux sociaux. Il existe beaucoup d’autres pages qui partagent note point de vue et aussi énormément d’autres qui ne le partagent pas du tout. C’est ça, les réseaux sociauxÊtre présent en tant que collectif sur ces réseaux n’est pas facile. Surtout quand on aborde des sujets comme les nôtres. Il faut qu’on soit prudentes avec nos informations et du coup c’est difficile de mener un travail effectif quand on est obligées d’être aussi prudentes au quotidien (on a déjà reçu des menaces de viol, de mort. Personnellement on m’a déjà menacé de me lancer de l’acide sur le visage). J’ai retiré notre compte Twitter pendant un petit temps, pour prendre distance avec cette violence. Aujourd’hui on a décidé de le réactiver".

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Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be.

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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