Un an de guerre en Ukraine

Un an de guerre en Ukraine : gels des avoirs, saisies, 1400 responsables russes sanctionnés, "l’unité européenne résiste bien"

La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky et le président du Conseil Européen, Charles Michel à Bruxelles, le 9 février 2023.

© (BELGA PHOTO NICOLAS MAETERLINCK)

Dès le premier jour de l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022, l’Union européenne prenait un premier paquet de sanctions contre la Russie. Un an plus tard, un 10e paquet est annoncé. A ce jour, les Européens ont sanctionné près de 1400 responsables russes, dont le président Vladimir Poutine, des banques, des entreprises militaires, des médias. Des embargos visent les secteurs de la défense, de l’aviation, de l’énergie, des produits de luxe. "Ces mesures visent à affaiblir la base économique de la Russie, à la priver de technologies et de marchés critiques et à réduire considérablement sa capacité à faire la guerre", peut-on lire sur le site du Conseil européen. Jamais dans son histoire, l’Union européenne n’avait adopté une telle politique de sanctions contre un pays. On parle de cette stratégie avec Eric Maurice, responsable du bureau bruxellois du centre de recherches et d’études Fondation Robert Schuman.

Avant d’analyser cette stratégie européenne dans son ensemble, comment expliquer la confection douloureuse du 10e paquet de sanctions contre la Russie ? La Pologne le jugeait trop léger. C’est le cas ?

D’abord, je dirais que ce 10ᵉ paquet s’ajoute aux neuf précédents. Ces mesures prises progressivement touchent de plus en plus de monde, des individus, des entreprises, des institutions. Avec chaque nouveau paquet, et c’est encore le cas cette fois-ci, les Européens essayent de régler le tir parce qu’ils voient que les effets ne sont pas toujours aussi importants qu’espérés ou parce que certaines sanctions sont contournées. Certains pays jugent cela insuffisant. La Pologne aurait voulu sanctionner le secteur nucléaire russe. Mais contrairement à la Pologne ou aux pays Baltes, d’autres pays ne veulent pas prendre des sanctions au détriment de leur économie. A chaque fois, il y a un équilibre à trouver entre la pression sur l’économie russe et l’impact que ces sanctions peuvent avoir sur les Européens eux-mêmes.

Quand on regarde ce projet de 10ᵉ paquet de sanctions, on voit que les Européens visent l’Iran pour la livraison de drones kamikazes à la Russie.

Une des raisons principales des sanctions européennes, c’est l’affaiblissement de l’économie russe. Mais l’objectif est également de réduire la capacité de la Russie à mener cette guerre, la capacité à la financer, la capacité à produire ou maintenir des armements et des équipements militaires. Évidemment, si certains Etats, et en l’occurrence l’Iran, fournissent du matériel militaire à la Russie, non seulement ça prolonge la guerre mais, en plus, c’est un contournement des sanctions. Donc il est logique, d’une certaine manière, que l’Union européenne essaie de faire face à ces stratégies de contournement et d’empêcher certains Etats de soutenir la Russie dans son agression qui est en violation du droit international. Et puis c’est un signal vis-à-vis d’autres pays. Et là, évidemment, on pense à la Chine avec les rumeurs ou la possibilité que la Chine, elle aussi, fournisse certains armements à la Russie. Donc c’est un message. C’est leur dire, attention, cela aura des conséquences pour vous, pour votre économie.

Cette photo publiée par l’armée iranienne le 24 août 2022 montre des drones kamikazes iraniens.
Cette photo publiée par l’armée iranienne le 24 août 2022 montre des drones kamikazes iraniens. © (Photo by IRANIAN DEFENCE MINISTRY / AFP)

La Pologne critique le 10e paquet. Ces derniers mois, la confection des précédents paquets a été ralentie par la Hongrie. Est-ce que cette guerre qui se prolonge met à mal l’unité des 27 ?

Je ne mettrai pas la Pologne et la Hongrie sur le même plan. Dans le cas de ce 10ᵉ paquet de sanctions, la Pologne adopte une position maximaliste, comme peuvent le faire aussi des États comme les Etats baltes. Ils veulent sanctionner la Russie le plus possible. On avait vu ça notamment lors des négociations sur l’embargo sur le pétrole à la fin de l’année dernière. Mais au bout du compte, l’idée est d’aboutir à un paquet de sanctions et donc de trouver une solution. Avec la Hongrie, on est vraiment dans une stratégie quasiment de défense des intérêts russes face aux sanctions européennes.

Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban au sommet européen à Bruxelles, le 30 mai 2022.
Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban au sommet européen à Bruxelles, le 30 mai 2022. © (Photo by Kenzo TRIBOUILLARD / AFP)

Mais est-ce qu’on peut dire que la Hongrie met à mal malgré tout l’unité européenne ?

Depuis un an, l’unité européenne résiste bien. On est tout de même au 10ᵉ paquet de sanctions et à chaque fois, ça pèse sur une partie importante de l’économie russe, d’autant qu’il y a un effet cumulatif de toutes ces sanctions. L’attitude de la Hongrie est un problème en soi, mais ça ne remet pas en cause l’unité des 26 autres Etats qui est toujours aussi solide. Ce qui est ennuyeux avec la Hongrie, c’est qu’elle dispose d’une arme importante qui est le droit de veto puisque les sanctions sont prises à l’unanimité. Et donc la Hongrie place ses partenaires devant un choix : soit vous acceptez mes conditions qui sont plutôt proches des intérêts russes, soit il n’y aura pas de paquet de sanctions. Donc à chaque fois, on est aussi obligés de trouver un compromis qui affaiblit un petit peu l’ambition de départ des sanctions.

Si on regarde maintenant cette stratégie de sanctions dans son ensemble, on est face à une situation exceptionnelle dans l’histoire de l’Union européenne.

Oui, on n’a jamais vu ça. La politique de sanctions est un outil traditionnel. C’est une manière de sanctionner des violations du droit international. La légitimité, voire la légalité des sanctions, c’est qu’elles viennent sanctionner une violation du droit international. C’est un outil important de la diplomatie à partir du moment où on ne veut pas faire la guerre avec tout le monde. Dans le cas de la Russie, vous l’avez dit, c’est le 10ᵉ paquet de sanctions. Et il ne faut pas oublier qu’il s’ajoute à toutes les sanctions qui sont en place depuis 2014, quand la Russie avait annexé la Crimée. L’ampleur des sanctions, la durée des sanctions et le type de sanctions qui ont été mises en place font que l’on est dans quelque chose de quantitativement nouveau pour l’Union européenne. Mais, d’une certaine manière, l’Europe a également innové parce qu’on n’est plus simplement sur des sanctions commerciales ou des sanctions personnelles qui sont le gel des avoirs ou l’interdiction de voyager en Europe. Il y a eu l’exclusion de banque russe du système de transactions internationales Swift. Il y a eu également la saisie ou en tout cas le gel des avoirs de la Banque centrale russe à l’étranger.

Le siège de la Banque centrale russe à Moscou le 26 mai 2022.
Le siège de la Banque centrale russe à Moscou le 26 mai 2022. © (Photo by Natalia KOLESNIKOVA / AFP)

Ce sont pour vous les deux mesures les plus fortes prises par les Européens cette dernière année ?

Personne ne s’y attendait. C’est un geste important. Pour un Etat, toucher aux fonds de sa banque centrale est une question importante de souveraineté. Donc, oui, ces deux mesures-là ont été assez importantes. Après, il y a eu beaucoup d’autres décisions qui ont été prises. Je pense aux embargos, sur les semi-conducteurs, par exemple, ou sur beaucoup d’équipements ou de produits industriels qui peuvent avoir un usage civil et militaire. Donc, je ne m’arrêterais pas sur une mesure en particulier, mais sur le nombre de mesures prises. Le fait d’avoir dix paquets de sanctions sur un an qui couvrent un large spectre de l’activité financière, économique, commerciale, des relations avec un Etat, c’est ça qui est le plus fort finalement dans cette politique de sanctions contre la Russie.

Il y a cependant un domaine dans lequel les Européens ont adopté une attitude beaucoup plus prudente, c’est l’énergie.

Il faut faire une différence entre le gaz, le pétrole et les matériaux nucléaires. Il n’y a pas eu d’embargo sur le gaz parce qu’on a vu que le gaz était essentiel à l’activité économique et même à la vie sociale des États, puisqu’on se chauffe tous principalement avec du gaz et le gaz sert à produire de l’électricité. Ce n’était pas dans notre intérêt d’avoir cet embargo. Les Européens ont préféré diversifier les approvisionnements. L’embargo sur le pétrole a été pris tardivement, en décembre et il a été renforcé au mois de février. On y est arrivé aussi grâce à une diversification de nos fournisseurs. Donc tout le monde était à peu près d’accord sur le but de tarir les sources de financement de la Russie par le commerce des hydrocarbures.

Un pétrolier sous pavillon du Libéria et un pétrolier russe effectuent un transfert de pétrole brut au large de l’île grecque d’Evia, le 29 mai 2022.
Un pétrolier sous pavillon du Libéria et un pétrolier russe effectuent un transfert de pétrole brut au large de l’île grecque d’Evia, le 29 mai 2022. © (Photo by Angelos Tzortzinis / AFP)

En revanche, sur la question des matériaux nucléaires, il y a toujours des différences d’approche, même si la question de la diversification des approvisionnements, n’est pas forcément un problème. En fait cette question du nucléaire nous ramène à la Hongrie. Cet Etat a des relations très privilégiées dans le domaine nucléaire avec la Russie. Budapest ne peut pas se permettre de ne plus avoir de matériaux nucléaires russes pour sa centrale de Pecs. On est là avec un cas particulier d’un Etat qui s’opposerait à un embargo et qu’on aurait du mal à convaincre. On en reparlera dans un prochain paquet de sanctions. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a un Etat, la Hongrie, qui en fait une question d’intérêt national et qui a le droit de veto.

Il y a une autre matière dont on parle depuis des mois et dont on parlera encore à l’avenir, ce sont les exportations de diamants russes. Comment ça se fait que ça bloque à ce point-là ?

C’est un peu lié à la logique d’une politique de sanctions sur le long terme. Lorsqu’on en est au 10ᵉ paquet en douze mois, il faut forcément trouver soit de nouveaux secteurs à cibler, soit trouver de nouveaux matériaux, de nouveaux produits dans des secteurs déjà sanctionnés. Et à un moment ou à un autre, il y en aura toujours un parmi les 27 Etats membres pour lequel ça pose un problème. C’est le cas pour la Belgique avec les diamants. La Belgique a un intérêt économique à ne pas sanctionner en soi le commerce des diamants ou alors à trouver des exemptions sur ce commerce-là pour ne pas frapper trop durement un secteur économique qui est important symboliquement et qui a une plus-value économique réelle pour la région anversoise notamment.

© BELGA PHOTO LUC CLAESSEN

Ces dix paquets de sanctions sont le signe de la détermination européenne. Mais encore faut-il que ces sanctions soient correctement appliquées.

Pour les Européens, l’objectif principal des sanctions étant d’étouffer l’économie russe pour empêcher le financement de l’effort de guerre. Il faut donc que ces sanctions soient efficaces. L’enjeu de la manière dont les sanctions sont appliquées est important. Et c’est pour cela qu’on parle de plus en plus ouvertement du contournement des sanctions et des moyens de lutter contre ces contournements. A l’avenir, plutôt que de trouver encore cinq ou dix nouveaux paquets de sanctions, l’effort sera probablement de s’assurer de leur bonne application des sanctions pour que l’effet recherché, c’est-à-dire l’étouffement de l’économie russe, soit atteint au maximum.

Et comment y parvenir ? Quelles sont les pistes envisagées par les Européens ?

Il y a une mesure qui a déjà été adoptée au niveau européen, c’est de criminaliser le contournement des sanctions contre la Russie, d’en faire un crime européen, c’est-à-dire un délit transfrontalier assez important pour être sanctionné au niveau européen. Ensuite, il y a d’autres idées comme faire beaucoup plus de contrôle au niveau local, régional et national. C’est en partie de la compétence des États membres. Mais il faut qu’il y ait ensuite une coordination européenne, que les informations circulent entre les différents États membres et entre les États membres et la Commission européenne qui est chargée de suivre tout cela. Les Pays-Bas proposent d’avoir une sorte d’agence européenne pour surveiller l’application des sanctions. D’autres solutions sont sur la table avec plus de moyens administratifs, judiciaires, policiers. Avec plus de moyens financiers aussi. Pour les Européens, c’est encore une fois une question d’équilibre entre coûts et bénéfices : Quels moyens dégagés pour s’assurer que les sanctions aient leur effet mais sans faire peser une charge trop lourde sur les administrations nationales et européennes.

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