Monde Europe

Ukraine, énergie, accueil des réfugiés, "Qatargate"… 2022, une année européenne aux deux visages

Retrospective

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Coup d'œil dans le rétro de 2022 avec un focus sur l'Union européenne. Une année que l’on envisageait plus tranquille après deux ans de crise sanitaire…

Et le 24 février, on s’en souvient, une nouvelle ébranlait le monde, comme en témoignait cette déclaration d'Emmanuel Macron : " Les temps tragiques de l'Histoire reviennent. La guerre est là, sur notre sol, et donc si besoin était d'avoir la démonstration que l'Europe n'est pas simplement un marché de consommateurs, mais bien une puissance qui doit penser son indépendance énergétique, sa transition climatique par elle-même, qui doit penser une Europe de la défense capable de protéger ses frontières, ses citoyens, et de se projeter vers ses alliés, la guerre que nous sommes en train de vivre nous le démontre cruellement ".

Illustration
Illustration © Getty

Quelques heures avant ces mots, prononcés à l’issue d’un Conseil européen extraordinaire, la Russie avait envahi l'Ukraine. La guerre est de retour sur le continent européen et le président français, dont le pays assure la présidence tournante de l'Union européenne à ce moment-là, résume parfaitement tous les enjeux du conflit. Parce que cette guerre qui éclate aux portes de l'Union européenne va avoir des conséquences colossales pour l'Europe. Elle l'obligera à prendre des mesures sans précédent et aussi à briser quelques tabous…

Les temps tragiques de l'Histoire reviennent

© getty

L’Europe face à la guerre

Les sanctions contre la Russie

Ce qui a frappé d'emblée, c'est la vitesse de réaction de l’Union. Dès le 24 février, sommet européen. Dans la foulée, en un temps record, les 26 vont décréter des sanctions contre la Russie. Des sanctions extrêmement fortes comme ils n'en ont jamais pris auparavant. Sanctions financières, bancaires, technologiques et énergétiques. Elles se multiplieront et se durciront au fil des mois. En mai, six paquets de sanctions avaient déjà vu le jour et Charles Michel, le président du Conseil, s'en félicitait : " Nous voulons stopper la machine de guerre russe et ce soir, le Conseil européen a pu s'accorder sur un sixième paquet de sanctions qui vont permettre de bannir le pétrole russe. Avant la fin de l'année, près de 90% du pétrole russe qui est importé sur le plan européen sera visé par cette mesure "

Nous en sommes aujourd’hui au neuvième paquet. Paquet qui vient juste d'être validé lors du dernier sommet européen.

 Nous voulons stopper la machine de guerre russe

Illustration
Illustration © Getty

L’Europe accueille

Autre grand défi immédiat engendré par la guerre en Ukraine : l’accueil des milliers de réfugiés qui quittent l’Ukraine. Il s’agissait là de l’afflux de réfugiés le plus important depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En tout cas sur une période aussi courte.

On peut y arriver si on fait ça ensemble

Et là aussi, on voit que dès le 4 mars, quelques jours à peine après le début du conflit, l’Union européenne active le mécanisme de protection temporaire pour les personnes fuyant la guerre. Le mécanisme existait depuis des années mais qui n’avait jamais été activé. Le contraste est saisissant avec 2015, où la crise migratoire provoquée par une autre guerre, en Syrie, avait profondément divisé les gouvernements européens. Ici, en quatre semaines à peine, l’Union européenne va accueillir plus de trois millions de réfugiés ukrainiens.

" On peut y arriver si on fait ça ensemble " déclarait alors la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson. Agir ensemble, faire bloc, c’est le credo des Européens.

Au fil des crises, l’Union européenne apprend

Et ce sera vraiment un des faits marquants de 2022, comme l’explique Marianne Dony, professeure honoraire à l’Institut des études européennes : " au fil des crises, l’Union européenne apprend. Là où, pour la crise financière en 2008, il a fallu six mois avant d’avoir une attitude commune et une attitude efficace, dans la crise du Covid, il a fallu un mois ou deux, et ici, dès le 25 février, il y avait déjà un ensemble d’actions communes qui était mis en place. Donc, ce qui pour moi est vraiment très positif, c’est que ce conflit aurait pu diviser l’Union européenne, mais il ne l’a pas divisée du tout. On a appris qu’on n’agit pas efficacement si on n’est pas solidaire ".

Illustration
Illustration © Getty

L’Europe s’arme

Dans le domaine militaire aussi, les 26 prennent des décisions inédites. Les Européens ne s’engageront pas militairement, mais ils vont envoyer directement des armes à l’Ukraine. Et ça, c’est du jamais vu dans l’histoire de l’Union, comme le soulignait Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission : "Pour la toute première fois, l’Union européenne va financer l’achat et la livraison d’armes et d’autres équipements à un pays attaqué. C’est un moment décisif ".

On épinglera en particulier le virage à 180 degrés de l’Allemagne, qui va accepter de livrer des armes à l’Ukraine, alors que depuis la Seconde Guerre mondiale sa position officielle était de ne pas livrer d’armes létales dans les zones de conflit. Berlin qui, comme d’autres chancelleries, acceptera d’augmenter ses dépenses de défense. La guerre fait tomber les tabous et précipite des décisions qui faisaient du surplace depuis des années, en matière d’élargissement par exemple.

C’est un moment décisif

L’Europe pense à s’agrandir

Le 23 juin, l'Ukraine devient officiellement candidate à l'adhésion à l'Union européenne, mais c'est tout le processus d'élargissement qui est relancé, puisque la Moldavie et la Bosnie-Herzégovine vont également obtenir le statut de pays candidat.

Illustration
Illustration © getty

L’Europe face au défi énergétique

Il s’agit là du gros dossier qui va nous tenir en haleine tout au long de cette année 2022 et autour duquel les dirigeants vont s'arracher les cheveux. Très vite, les citoyens européens découvriront combien ils sont dépendants de la Russie en matière énergétique. 40% de notre gaz et un quart de notre pétrole viennent de là. Et ce commerce rapporte beaucoup d'argent à Moscou. Plusieurs centaines de millions d'euros chaque jour. L'Ukraine nous implore d'arrêter d'inonder les Russes d'euros, mais évidemment, comment se passer du gaz et du pétrole russes du jour au lendemain ? C'est un vrai casse-tête. De son côté, Vladimir Poutine brandit l'arme énergétique et menace de couper le robinet. Résultat des courses, les prix de l'énergie explosent, et notre facture aussi. Dans tous les pays, des citoyens descendent dans la rue pour manifester contre le coût de la vie.

Dans ce domaine de l’énergie, la réponse européenne mettra là plus de temps à venir. Les décideurs ne chômeront cependant pas. Ils vont se lancer dans une course effrénée. Les réunions de crise se succèderont, mais la question demeurera complexe. Car il ne s'agit rien de moins que de changer notre mix énergétique, de revoir des mécanismes qui semblaient immuables, sans compter que tous les États membres ne sont pas dans la même situation.

On découvre par exemple comment l'Allemagne a misé quasi toutes ses billes sur le gaz russe. Ce qui explique que quand des pays comme la Belgique réclamaient un plafonnement du prix du gaz, Berlin freinait des quatre fers.

Sur ce dossier, la belle unité européenne vacille. L'Allemagne est accusée de faire cavalier seul lorsqu'elle débloque 200 milliards d'euros pour protéger ses propres ménages et ses propres entreprises plutôt que de soutenir des instruments financiers mutualisés au niveau européen.

L'unité vacille, mais pour autant, dans les faits, nous sommes loin de la paralysie et des décisions sont entérinées. L’Europe se dote par exemple d'un règlement pour remplir ses stocks de gaz, se met d'accord pour réduire sa consommation de gaz et d'électricité…

Les résultats sont au rendez-vous puisque notre demande de gaz naturel a diminué de 10% en 2022. L'Europe prend aussi des mesures pour diversifier les sources d'énergie ; se tourne vers d'autres fournisseurs ; prévoit de booster les énergies renouvelables ; envisage des achats communs de gaz pour négocier de meilleurs prix. Enfin, elle aboutira à un accord sur le plafonnement du prix du gaz.

Tout ne sera pas rose : changer notre mix énergétique prend du temps et certains pays de faire retourner leurs centrales à charbon.

La bataille énergétique n'est pas gagnée, mais l'Europe a bel et bien marqué quelques points. Certains y verront le verre à moitié vide, d'autres le verre à moitié plein.

Mappemonde
Mappemonde © Getty

Cuisine (interne) et dépendances

Marianne Dony, spécialiste de l'Union européenne, y voit un peu des deux, soulignant l'immense chemin parcouru en quelques mois. Mais selon elle, ce que montre avant tout l'année 2022, c'est combien les Européens restent très dépendants du reste du monde, et pas seulement de la Russie : " Ce que révèle l'année 2022, et ce qu'avaient déjà révélé les crises précédentes, c'est que l'autonomie stratégique de l'Union européenne est un discours, mais c'est loin d'être une réalité. Par exemple, la crise de 2008 a été provoquée par les subprimes aux États-Unis et les principales conséquences ont été en Europe. Pour le Covid, on s'est à nouveau rendu compte qu'on dépendait totalement du reste du monde pour un approvisionnement dans des matières premières très importantes. Et ici, qu'est-ce qu'on voit ? On voit qu'en réalité, au niveau énergétique, l'Union européenne n'a quasiment pas d'énergie sur son territoire, sauf les énergies renouvelables. Et encore, il faut être lucide, les panneaux photovoltaïques viennent de Chine… "

L'organisation internationale la plus renforcée ? L'OTAN.

La dépendance de l’Union ne concerne pas seulement l'énergie, mais d'autres domaines, comme la sécurité et la défense. " La guerre en Ukraine a permis de faire un certain nombre de progrès qu'on n'aurait jamais imaginé, par exemple l'adoption d'une boussole stratégique en matière de défense. Mais, en définitive, on se rend compte que l'Union européenne n'a pas d'armée. Et donc, quelle est l'organisation internationale qui a été la plus renforcée ? C'est l'OTAN. Le constat est là. À l'heure actuelle, les Européens doivent compter sur l'OTAN. Et quand on voit que dans la boussole stratégique, on parle d'avoir une force rapide de réaction de 3 000 hommes, on peut se dire : ‘ Mon Dieu, est-ce que ces 3 000 hommes vont pouvoir faire quelque chose ? Est-ce que ce n'est pas une goutte d'eau dans l'océan quand on voit les capacités opérationnelles de l'OTAN et des États-Unis ?’ " se demande Marianne Dony.

 

Croisée des chemins

En résumé, fin 2022, l'Europe n'est plus celle qu'elle était il y a un an. Certes, l'autonomie stratégique est encore loin d'être une réalité, le destin de l'Europe est encore très lié à celui de son grand cousin américain. Mais à une encablure de 2023, l'Europe peut se sentir plus confiante quant à sa capacité à lutter contre les crises. La guerre aurait pu la paralyser, mais elle lui a permis d'avancer. Un bilan, certes nuancé, mais plutôt positif… Mais l’on se doit d’encore aborder un chapitre important à cette année 2022. Beaucoup moins reluisant…

Image d'illustration
Image d'illustration © Getty

Valises de suspicions…

Et même désastreux. Et oui, il s’agit là du scandale de corruption qui a éclaté début décembre au Parlement européen. Le fameux Qatargate.

 Le Parlement européen et la démocratie européenne sont attaqués

Un véritable coup de tonnerre, un scénario qui semble sorti tout droit d'un mauvais film des années 50 : des sacs de billets de banque contenant plus d'un million d'euros, une vice-présidente et un ancien eurodéputé impliqués dans une affaire de corruption au profit du Qatar. C'est le plus gros scandale touchant le Parlement européen. Le 12 décembre, à Strasbourg, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, dressait un constat inquiétant : " Le Parlement européen et la démocratie européenne sont attaqués ".

Image d'illustration
Image d'illustration © Getty

Confiance à regagner

Le Qatargate démontre en effet la vulnérabilité du Parlement européen, qui a sans doute fait preuve à la fois de laxisme et de naïveté face à cette autre guerre, une guerre invisible menée par des puissances étrangères antidémocratiques et avides d'ingérence. On peut espérer qu'ici aussi l'Europe avancera à travers la crise, que cet électrochoc permettra enfin de renforcer les règles de transparence qui existent, mais qui s’avèrent être inadéquates. En attendant, ce scandale jette le discrédit sur les institutions européennes, et ce au plus mauvais moment. L'énorme défi pour 2023 sera de regagner la confiance perdue avant des élections européennes cruciales prévues au printemps 2024.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous