L’homme d’affaires Elon Musk, patron de Tesla et de Space X, a finalement pris le contrôle de Twitter jeudi après avoir conclu l’acquisition du réseau social pour 44 milliards de dollars. Il échappe ainsi au procès qui le menaçait pour s’être rétracté en juillet de l’accord d’achat datant du mois d’avril. L’homme le plus riche au monde s’offre donc une vitrine média qu’il utilise déjà abondamment, pour s’exprimer, mais aussi pour influencer l’opinion.
Que va-t-il faire du réseau à l’oiseau bleu ? Twitter est modéré, a suspendu ou bloqué les comptes de personnalités clivantes comme Donald Trump ou dû mettre fin aux gazouillis de médias russes comme RT et Sputnik. Mais Elon Musk affiche des ambitions singulières.
Une autre vision de la modération
Les défenseurs des libertés se sont inquiétés de la vision qu’Elon Musk a partagée : le multimilliardaire d’origine sud-africaine estime comme de nombreux conservateurs, que Twitter ne respecte pas suffisamment la liberté d’expression. Ce libertarien juge sa politique de modération des contenus trop stricte.
Premier pas dans ce qui risque de ressembler à un électrochoc, Elon Musk a immédiatement licencié le patron Parag Agrawal et deux autres dirigeants, le directeur financier Ned Segal et la responsable juridique Vijaya Gadde. La conséquence de leurs différences de vision.
Mais n’est-ce pas la porte ouverte à la haine et la désinformation ? C’est la crainte de plusieurs ONG de défense de droits fondamentaux qui appellent les régulateurs à "examiner de près" le projet du patron de Tesla.
Twitter lui-même reconnaît, enquête à l’appui, être susceptible de favoriser les publications de droite, voire d’extrême droite, qui génèrent plus d’interactions. C’est dû à l’algorithme qui amplifie plus les publications de droite que celles de gauche.
Le débat d’idées extrêmes, le clash permanent, c’est le modèle de Twitter, par opposition à Facebook dont les algorithmes sont conçus pour maximiser le temps passé sur la plateforme en créant des "bulles", des contenus qui vont dans le sens de l’internaute. Elon Musk entend continuer la logique de l’affrontement sur Twitter.
La Fédération internationale des journalistes condamne le rachat de Twitter par l’homme d’affaires y voyant une menace pour la liberté de la presse pour ses critiques des politiques de modération de contenus et à cause de la concentration de pouvoir.
La Fédération critique aussi la volonté d’Elon Musk d'"authentifier" tous les utilisateurs du réseau social, estimant que l’absence d’anonymat "remettrait sérieusement en cause la protection de nombreux journalistes et sources à travers le monde" qui prennent des risques en affrontant des intérêts puissants. Bref, ce rachat mettrait, au contraire de ce qu’affirme Elon Musk, en danger la liberté d’expression.
Un difficile équilibre entre rentabilité et idéaux de liberté
Pour Nicolas van Zeebroeck, professeur d’économie et de stratégie numérique à l’ULB, le projet d’Elon Musk en achetant Twitter est double : à la fois rendre Twitter plus rentable et compatible avec ses idéaux de liberté absolue d’expression. "Mais c’est le grand écart, car en général le contenu polémique et extrémiste a tendance à faire fuir les annonceurs qui constituent 90% des revenus actuels de Twitter. Ils n’ont pas envie de voir leurs publicités côtoyer des contenus polémiques, parfois extrêmes." Un équilibre pas facile à trouver, et qui pourrait aussi faire partir des utilisateurs.
Elon Musk tente de rassurer en affirmant vouloir permettre à toutes les opinions de s’exprimer sur le réseau social, sans en faire une plateforme "infernale" où tout serait permis.
Que fera Elon Musk pour redresser le bilan financier de Twitter ? Selon un article du Washington Post, il a prévu de licencier 75% de son personnel et de retirer l’entreprise de la Bourse new-yorkaise, ce qui mettrait fin à son obligation de communiquer au public des informations sur sa santé financière. Reste à voir ce que le nouveau maître de Twitter décidera.
L'Europe fixe ses règles
Des marques qui vont donc limiter cette logique de Twitter qu’Elon Musk entend encourager, des utilisateurs qui pourraient lui tourner le dos. Mais il y a aussi les balises posées par les autorités. Le réseau social américain Twitter "devra s’adapter totalement aux règles européennes" quelles que soient les orientations du nouvel actionnaire en matière de liberté d’expression, estime le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton qui s’est empressé d’aller l’expliquer en personne au printemps dernier à Elon Musk.
Le Digital Services Act européen s’applique aussi à Twitter à partir de janvier 2023. Elon Musk a répondu qu’il respecterait ce cadre réglementaire européen. Ce qui n’a pas empêché le commissaire européen d’envoyer un petit rappel ce vendredi matin… sur Twitter.