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Troisième mandat de Xi Jinping : le "retour de l’homme fort à la tête de la Chine", selon Thierry Kellner

Thierry Kellner

© RTBF

Par Pascal Bustamante et Eric Destiné

Xi Jinping a obtenu un troisième mandat de président de la République populaire de Chine. Pascal Bustamante et Eric Destiné ont interviewé à ce sujet Thierry Kellner, maître de conférences à l’ULB et spécialiste de la Chine.

Le président Chinois Xi Jinping entame un troisième mandat. Cela a-t-il réellement un caractère historique ?

Cela a un caractère historique dans le sens où depuis Deng Xiaoping, donc depuis la fin des années 70 et le début des années 80, il avait été décidé au sein du parti communiste chinois de n’attribuer que deux mandats à un dirigeant pour éviter que ne se reproduise la situation que la Chine avait connue précédemment, c’est-à-dire un dirigeant qui restait à vie comme cela avait été le cas de Mao Tsé-toung. C’était une forme de garde-fou pour éviter le retour d’un homme fort, d’un dictateur en fait, à la tête de la Chine et pour favoriser aussi une rotation au sein des élites. Le fait que Xi Jinping brise cette règle des deux mandats, pour nous, c’est une forme de retour en arrière car on a ce retour de l’homme fort à la tête du Parti communiste et de la République populaire de Chine avec des incertitudes quant à la durée de ces mandats. Xi Jinping est maintenant en position de les prolonger autant qu’il le voudra vu le pouvoir qu’il a acquis au sein du système politique chinois.

Peut-on déjà imaginer comment va se dérouler ce troisième mandat ?

Ce que l’on peut déjà déduire des nominations qui ont été faites lors du 20e congrès du parti communiste, c’est que Xi Jinping s’est entouré de fidèles, de personnes qu’il a sélectionnées moins pour leurs compétences que pour leur loyauté. Cela signifie que l’on se dirige vers une personnalisation du pouvoir encore plus forte, de mainmise sur le pouvoir, de mise au rancart des anciennes élites ou des élites précédentes. On a vu l’élimination de factions qu’on peut qualifier de concurrentes, par exemple la faction de la Ligue de la jeunesse communiste (NDLR: les Tuanpai) qui a été écartée. Le plus grand symbole de cette mise à l’écart, a été le moment où l’ancien secrétaire général du Parti communiste, Hu Jintao, a été éconduit du Congrès. Les "deux sessions" en cours ne font que confirmer cette tendance-là.

Le régime est devenu beaucoup plus centralisé et autoritaire qu’il ne l’était avant l’arrivée de Xi Jinping. On a l’impression que c’est un pouvoir à la tête duquel un seul homme, Xi Jinping, décide au final. Cela accroît la probabilité d’erreurs de calcul ou de jugement.

Sur la scène internationale, quels sont les dossiers qui vont être influencés par ce troisième mandat ?

Sur la scène internationale, Xi Jinping est confronté à toute une série de difficultés. D’abord la situation économique de la Chine elle-même. On peut penser qu’il va y avoir une concentration des autorités chinoises sur le redressement économique de la Chine. Il y a aussi des dossiers internationaux très chauds comme la guerre en Ukraine. Dans ce contexte, la proximité qui existe entre la Chine et la Russie et parallèlement les mauvaises relations actuelles entre la Chine et les Etats-Unis sont inquiétantes. Il y a aussi la question relative à Taiwan où on a vu ces dernières années une tension croissante avec l’élection et puis la réélection de la présidente Tsai Ing-wen à Taiwan, une personnalité qui ne plaît pas du tout à Pékin. Il existe d’autres dossiers où de mauvaises surprises sont possibles. C’est le cas autour des revendications concurrentes en mer de Chine du Sud par exemple. La liste est longue.

Avec Xi Jinping à la tête du pouvoir, si on s’appuie sur l’expérience de ces deux mandats précédents, on peut présager d’une Chine qui va poursuivre sa politique étrangère assertive en s’affirmant encore plus au niveau international et en faisant valoir ce qu’elle considère comme étant ses intérêts. Tant pis si cela déplaît à l’hégémon du système, c’est-à-dire les Etats-Unis. Je pense que ce ton-là, on peut s’attendre à le voir perdurer. Comme on l’a vu lors de l’incident récent du ballon chinois qui a traversé le territoire américain où, là aussi, on a vu rapidement reparaître un ton assez agressif de la part de Pékin en réaction au fait que les Etats-Unis étaient intervenus pour abattre ce ballon au-dessus de son territoire.

Cela va-t-il influencer l’équilibre mondial des grandes puissances ?

C’est l’objectif affiché par Xi Jinping depuis qu’il est arrivé au pouvoir. Quand il évoque le "rêve chinois", on peut l’interpréter comme le fait que la Chine veut retrouver la position internationale qu’elle considère être la sienne, c’est-à-dire le centre du système. Ce qui déplaît fortement à la Chine, c’est que le système soit dirigé par les Etats-Unis et par les Occidentaux en général. L’idée c’est de déplacer l’influence de ces derniers au profit de Pékin. Et Xi Jinping y travaille depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 2013 en s’appuyant sur la montée en puissance économique de la Chine et tous les instruments qui vont avec, y compris l’instrument militaire car on a une modernisation militaire très forte qui s’est exprimée ces dernières années. On voit que c’est un pays qui a des grandes ambitions pour amener le système à s’adapter à ses intérêts et le transformer dans ce sens.

Du point de vue chinois, Xi Jinping est peut-être quelqu’un qui est perçu comme un dirigeant qui veut replacer la Chine au centre et cela répond probablement à des aspirations nationalistes d’une partie de la population.

Si on doit dresser des éléments du bilan de Xi Jinping jusqu’à présent, quels sont-ils ?

En matière de droit de l’Homme le bilan est vraiment très négatif. Il suffit de rappeler ce qui s’est passé à Hong Kong ou la situation dans le Xinjiang. Au niveau de la société civile, avec la mise en place d’une "société de surveillance" en Chine, on a vraiment un système qui s’est durci contre toute forme de dissidence. Et un ton international qui est devenu plus agressif avec une diplomatie qu’on a appelé la "diplomatie du loup combattant" qui a quelque part porté atteinte à l’image de la Chine alors que pourtant il y avait eu des résultats positifs pendant la période de Hu Jintao. Ils ont été remis en question.

La cerise sur le gâteau des éléments négatifs, c’est aussi la gestion de la crise du Covid. Pas seulement pour la Chine. On a pu constater les résultats très négatifs de la politique de "zéro covid" pour l’économie chinoise et la vie des citoyens de ce pays, mais aussi pour le reste du monde. Au début de la crise Covid en Chine, un certain nombre d’erreurs ont ainsi été commises et cette crise, qui était locale, s’est transformée en une crise internationale.

Au-delà, du point de vue chinois, Xi Jinping est quelqu’un qui a essayé de redonner plus de cohérence à une politique étrangère de la Chine qui semblait parfois erratique sous son prédécesseur. C’est quelqu’un qui a beaucoup joué la carte nationaliste et il a travaillé sur la fierté nationale. Il y a pas mal de gens en Chine qui suivent ce mouvement et ce nationalisme. On peut aussi évoquer sa campagne anti-corruption qui a eu le soutien de la population car elle s’attaquait, en tout cas en apparence, à un vrai problème qui gangrène le parti et lui donnait une image très négative. Mais on voit bien que cette campagne anti-corruption avait d’autres objectifs. Par exemple l’élimination de toute concurrence à la faction de Xi Jinping au sein du parti lui-même. Cela visait aussi à renforcer son pouvoir personnel. On notera qu’elle se poursuit aujourd’hui, une décennie après son lancement.

Séquence du JT du 10/03/2023

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