L’Organisation Mondiale de la Santé est accusée de vouloir imposer des restrictions telles que des confinements, l’instauration de "pass sanitaires" ou des fermetures de frontières à ses États membres en cas de nouvelle pandémie. Dans plusieurs publications en ligne et sur Twitter, des internautes accusent l’OMS de ne pas respecter la souveraineté des États en leur imposant ces mesures. Pourtant, si des discussions sont en cours sous l’égide de l’OMS pour définir le cadre d’un traité international qui vise à mieux prévenir et combattre les prochaines pandémies, la question de la liberté de chaque État de prendre ses propres décisions est réaffirmée dans les textes préliminaires. Au final, ce sont les États membres de l’OMS, eux-mêmes, qui détermineront les termes précis du texte qui devrait être voté en 2024.
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Faky, la rubrique de fact-checking de la RTBFDes tweets et des publications en ligne (1, 2) ciblant l’OMS sont apparus sur Internet ces derniers jours. Sur Twitter, des utilisateurs comme Silvano Trotta, identifié dans une enquête du journal Le Monde comme étant un "théoricien du complot", ont publié des Tweets en reprenant un visuel d’une publication dénonçant l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) avec le commentaire : "Il faut absolument quitter cette organisation mafieuse".
Le visuel partagé indique, lui : "La critique grandit ! L’OMS provoque des réactions négatives sur un amendement controversé visant à forcer les nations à se confiner !". Ce seul Tweet a été "vu" plus de 31.000 fois et a été retweeté près de 1000 fois à l’heure d’écrire cet article.
Ce visuel, mentionne une source : "uncut-news.ch". En visitant ce site suisse en langue allemande de "nouvelles et informations indépendantes", nous pouvons retrouver la publication. Un outil comme le plug-in Google Translate permet d’en faire une traduction automatique en français puis d’en faire une capture d’écran.
Cet outil permet également de se faire une idée du contenu de la publication même sans maîtriser l’allemand. On peut y lire, notamment :
- "Les Parties reconnaissent l’OMS comme autorité directrice et coordinatrice de la réponse internationale aux urgences sanitaires de portée internationale et s’engagent à suivre les recommandations de l’OMS dans leur réponse internationale de santé publique. Cela pourrait inclure l’application de mesures telles que les passeports de vaccination et la fermeture des frontières, et permettre à l’OMS de dicter les politiques de santé aux pays membres. Les critiques ont qualifié cette proposition d'"accaparement de terres sans précédent" par l’OMS, soulevant des inquiétudes quant à l’érosion de la souveraineté nationale et à la possibilité d’un examen indu des politiques et des budgets. Les modifications proposées exigent également que les États membres allouent 5% de leur budget de santé à la préparation à la pandémie s’ils sont approuvés."
D’autres publications (1, 2) sur la même thématique ont été mises en ligne avec comme titre : "DANGER ! L’OMS EXIGE DES PASSEPORTS VACCINAUX ET DES FERMETURES DE FRONTIÈRES : LES PAYS MEMBRES CONTRAINTS DE SUIVRE SES ORDRES".
Comme dans la publication d’uncut news, il est fait référence à des députés britanniques et au Royaume-Uni mais cette fois les publications indiquent The Telegraph comme source.
Un article du Telegraph à l’origine
En effet, en suivant le lien précisé en bas de page, celui-ci redirige vers un article du quotidien britannique Telegraph du 25 mai 2023.
Le titre : "L’OMS pourrait obtenir le pouvoir d’imposer un lockdown (ndlr : confinement) au Royaume-Uni", avec en accroche : "Les députés craignent qu’un nouveau traité visant à accroître les pouvoirs de l’organisation ne lui permette d’appliquer les fermetures de frontières et les passeports pour les vaccins".
Le titre est ici plus nuancé avec l’utilisation du conditionnel. Et la suite est beaucoup moins affirmative avec l’utilisation du verbe "craindre". L’article relate que des députés conservateurs britanniques ont écrit aux ministres compétents au Royaume-Uni pour avertir d’une "ambition évidente… de l’OMS de passer d’une organisation consultative à une autorité internationale de contrôle".
Mais ce que n’indiquent pas les autres publications qui pointent la volonté supposée de l’OMS de prendre plus de pouvoir, c’est la réponse du ministre adjoint aux Affaires étrangères, Andrew Mitchell, qui a déclaré au Telegraph "qu’il bloquerait toute loi empêchant le Royaume-Uni d’établir sa propre politique de santé".
Il y détaille également sa position : "Le Royaume-Uni soutient le traité sur la pandémie actuellement négocié par les gouvernements nationaux, qui pourrait accélérer le partage de données sur les nouvelles menaces pandémiques afin que nous soyons en mesure de réagir rapidement en cas de futures pandémies". Il ajoute ensuite : "Nous sommes clairs sur le fait que nous n’accepterions jamais quoi que ce soit qui dépasse nos principes de souveraineté ou empêche le Royaume-Uni de prendre des mesures décisives contre de futures pandémies."
Un traité sur les pandémies en cours de rédaction
Ce "traité sur les pandémies" est un texte initié en décembre 2021 par plusieurs pays suite à la crise engendrée par le Covid-19. Ce projet, proposé en 2020 par le président du Conseil européen Charles Michel, vise à mieux coordonner une future réponse internationale à une future pandémie.
Il a été notamment soutenu par le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus et des responsables politiques de l’époque comme le président français Emmanuel Macron, la chancelière allemande Angela Merkel ou le Premier ministre britannique Boris Johnson.
Cet accord "représente un engagement commun à renforcer la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies, en tenant compte des leçons que nous avons apprises", déclarait alors l’ambassadrice australienne auprès de l’Onu, Sally Mansfield en présentant le texte fondateur.
Processus long et complexe en cours
Contactée par la rédaction de Faky, un porte-parole de l’Organisation Mondiale de la Santé, M. Jasarevic a détaillé le travail en cours dans le cadre du "traité contre les pandémies". Ce processus complexe est mené par un "corps de négociations intergouvernementales", dont l’acronyme en anglais est INB.
"L’OMS fait office de secrétariat pour l’INB, qui est un processus établi par les 194 États membres de l’OMS, qui ont organisé et dirigé le processus de négociation. Le Bureau de l’INB est composé de six membres, sélectionnés par les États membres de l’OMS et provenant de ces derniers", explique-t-il.
Le "zero draft" ou "brouillon zéro" de ce texte appelé à ce stade WHO CA + a été publié le 1er février 2023 par l’OMS. Depuis, un nouveau rapport a été publié par l’OMS sur l’évolution des négociations faisant suite à de nouvelles réunions en avril.
M. Jasarevic indique que le projet actuel de l’INB inclut des options lorsqu’elles sont envisageables et différentes recommandations reçues afin de faciliter le travail du groupe de rédaction. Il précise cependant que "rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu". Ce texte a déjà été fourni aux États membres dans une version anticipée et non éditée le 22 mai et la version finale éditée de "brouillon" sera publiée sur le site web de l’OMS dans les langues officielles dès qu’elle sera disponible.
Il ajoute que : "Quel que soit l’accord conclu par les États membres dans le cadre de l’INB, il sera soumis à l’Assemblée mondiale de la santé – la réunion annuelle des ministres de la santé des 194 États membres de l’OMS – en mai 2024 pour adoption."
Y a-t-il une volonté de l’OMS de prendre plus de pouvoir ?
Mais qu’en est-il d’une éventuelle perte de souveraineté des États membres de l’OMS ?
Dans le "zero draft", le premier point avant même la partie "introduction" indique : "Réaffirmant le principe de la souveraineté des États membres en matière de santé publique, notamment en ce qui concerne la prévention, la préparation et la réponse en cas de pandémie, ainsi que le redressement des systèmes de santé […]".
Par ailleurs, le point 3 des "principes de guidance" de ce texte mentionne lui aussi clairement la souveraineté des États en ces termes : "Souveraineté – Les États ont, conformément à la Charte des Nations unies et aux principes du droit international, le droit souverain de déterminer et de gérer leur approche de la santé publique, notamment la prévention des pandémies, la préparation, la réaction et le redressement des systèmes de santé, conformément à leurs propres politiques et législations, à condition que les activités relevant de leur juridiction ou de leur contrôle ne causent pas de dommages à leurs peuples et à d’autres pays. La souveraineté couvre également les droits des États sur leurs ressources biologiques."
Tarik Jasarevic a, par ailleurs estimé concernant la publication du Telegraph que "l’article original contient de nombreuses inexactitudes et l’OMS a demandé des corrections".
Il insiste enfin : "L’affirmation selon laquelle l’accord cédera du pouvoir à l’OMS est tout simplement fausse. C’est une fausse information. Ce sont les pays qui décideront du contenu de l’accord sur la pandémie, et eux seuls. Et les pays mettront en œuvre l’accord conformément à leurs propres lois nationales. Aucun pays ne cédera de souveraineté à l’OMS."
Des déclarations sur la même ligne que celles faites en 2023 par le responsable de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus qui indiquait déjà en mars dernier : "l’affirmation selon laquelle l’accord cédera le pouvoir à l’OMS est tout simplement fausse. Ce sont de fausses informations". Il ajoutait que ce sont les pays eux-mêmes qui décideront du libellé et de la portée de tout accord mondial sur la manière de lutter contre la prochaine pandémie, "et les pays seuls". "Aucun pays ne cédera sa souveraineté à l’OMS", a souligné le Directeur général.
Critiques de l’OMS par les souverainistes
Ces récentes publications visant l’Organisation Mondiale de la Santé s’inscrivent dans un contexte plus large de méfiance contre l’organisation, notamment suite à la pandémie de Covid-19.
Des articles ont par exemple mis en évidence plusieurs cas de publication et de commentaires en ligne affirmant à tort que l’administration Biden aux États-Unis négociait un accord pour permettre à l’OMS de "contrôler" les mesures d’urgence en cas de nouvelle pandémie.
Par ailleurs, le souverainisme, défini dans le Figaro par le politologue Thomas Guénolé comme "une doctrine politique prônant l’indépendance d’une nation, son autonomie, ou un surcroît d’autonomie, vis-à-vis d’un échelon de pouvoir qui la surplombe" connaît un certain succès, notamment en France.
Avec la conjonction de ces deux facteurs, les réseaux sociaux servent parfois de caisse de résonance aux craintes de certains citoyens de voir leurs pays perdre de l’autonomie face à des institutions supranationales. Il est cependant clair à ce stade que ce ne sera pas le cas, dans le contexte de ce futur traité sur les pandémies.