Matin Première

Trafic de drogue au port d’Anvers : "Il y a beaucoup de corruption privée, mais elle ne serait pas endémique", explique François Farcy (police fédérale)

L'invité de Matin Première : François Farcy

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Par Kevin Dero, sur base d'une interview de Thomas Gadisseux via

Anvers est, on le sait, au centre d’un important trafic de drogues. La police a frappé de grands coups dans la fourmilière et les différentes mafias présentes dans le port se livrent à de violents règlements de comptes. Que se passe-t-il vraiment dans la métropole flamande ? Cette criminalité organisée s’étend-elle sur toute la Belgique ? Quels sont les moyens mis en œuvre par les autorités pour lutter contre cette économie illégale ? François Farcy, directeur judiciaire de la police fédérale de Liège, était l’invité de François Heureux et de Thomas Gadisseux ce matin sur l'antenne de la Première.

Mortels règlements de compte

Le port d’Anvers, avec 110 tonnes saisies en 2022, est au top (juste devant Rotterdam) du trafic de cocaïne. Véritable plaque tournante du crime organisé, 200 faits graves liés au marché de la drogue ont été recensés dans la ville scaldienne depuis cinq ans.

Récemment, la mort d’une fillette de 11 ans, due à une balle perdue pendant un règlement de compte, a ému l’opinion. Une conséquence malheureuse des règlements de compte, comme l’explique François Farcy : "Ça fait quelques mois que la violence, notamment à Anvers, s’est développée. Ce qui est toujours redouté dans ces règlements de compte où on tire sur des façades est la problématique de la balle perdue et malheureusement le drame est arrivé".

"Terrain de chasse" et corruption

Concrètement, comment se déroule ce trafic dans le port d’Anvers ? Quels en sont les acteurs ? Il s’agit sur ce territoire d’une situation complexe, pour le directeur judiciaire de la police fédérale liégeoise : "Anvers est un ‘hub’, une porte d’entrée principale du trafic de cocaïne en Europe. En criminologie, on appelle ça un ‘terrain de chasse’. On y retrouve des groupes criminels qui y sont implantés ".

Les groupes criminels et autres mafias opèrent depuis qu’on appelle un ‘sanctuaire ‘ (soit le lieu d’implantation d’organisations criminelles). Le "terrain de chasse" et le "sanctuaire" ne se situent pas forcément au même endroit. "Sur Anvers, on a essentiellement des intermédiaires. L’aspect logistique aussi (pour récupérer la cocaïne) " explique François Farcy. C’est donc là qu’intervient aussi de la corruption.

Une corruption, parfois forcée, qui touche des corporations comme celles les dockers, les agents des douanes ou de sécurité, les transporteurs… Des criminels peuvent donc payer cher (plus de 20.000 euros) un grutier pour qu’il déplace un conteneur à un endroit bien précis pour faciliter la prise de marchandise illégale. "Ce sont des intermédiaires – corrompus ou forcés — qu’on retrouve sur le port d’Anvers".

Cette corruption n’est pas forcément voulue, cela peut aussi être de l’intimidation (jets de grenade…). On fait peur aux agents publics. "A partir du moment où c’est une personne-clé dont l’organisation a besoin pour rentrer dans le port, on va mettre la pression dessus ".

Une corruption qui n’est, rassure François Farcy, pour le moment pas la norme cependant. Notamment dans le cas de divers métiers de la fonction publique pouvant être confrontés au crime organisé (avocats, policiers, magistrats, agents publics divers et variés…). "Il y a beaucoup de corruption privée (ex : le docker qui déplace sa grue). Mais pour le moment on n’a pas découvert de corruption endémique. On ne peut pas parler d’un système corrompu du terrain jusqu’à la tête. On a des cas de corruption isolée, mais comme dans tout panier il y a de temps en temps des pommes pourries".

Anvers est un ‘hub’, une porte d’entrée principale du trafic de cocaïne en Europe

Notons qu’Anvers n’est pas la seule plaque tournante en Europe – Rotterdam est aussi dans l’œil du cyclone, tout comme Le Havre, Barcelone ou encore des ports du sud de l’Italie, sans compter les aéroports (Bierset, par exemple).

Commanditaires

Des groupes criminels sont aussi actifs dans la zone portuaire. Les "extracteurs", qui viennent récupérer la marchandise. Il y a aussi des organisations criminelles, des "narcomafias" qui se sont spécialisées dans le trafic de cocaïne. S'y trouvent des "barons de la drogue, un mix du milieu criminel de Rotterdam et d’Anvers. On y retrouve des Marocains, des Surinamiens, des Belges…" De nombreuses nationalités.

Certains sont présents à Anvers, mais les commanditaires peuvent bien être implantés ailleurs. Comme le souligne François Farcy : "si vous avez un clan de la mafia calabraise, la 'Ndrangheta, qui commandite une cargaison de cocaïne – par exemple d’une ou deux tonnes —, ils ont des intermédiaires, ils ont des associations avec d’autres groupes criminels mais eux sont dans leur fief en Calabre d’où ils commanditent le trafic".

Reportage du JT du 11 janvier :

Polycriminalité

Des " sanctuaires " qui peuvent bien se trouver ailleurs sur notre territoire. Ce qu’a révélé la vaste opération policière qui a suivi le décryptage de Sky ECC, un réseau de communication crypté qu’utilisaient les criminels du milieu. Cette opération a mené à toutes une série d’enquêtes et de perquisitions dans tout le royaume et même à l’étranger. Et pas forcément uniquement dans le trafic de drogue.

Ce que confirme François Farcy : "Si le trafic de drogue est souvent l’activité principale de beaucoup de groupes criminels, parce que cela rapporte énormément, ce n’est pas leur seule activité. Les clans criminels albanais ont ainsi souvent une double activité dans le trafic de cocaïne et dans les plantations de cannabis. Vous avez aussi des groupes actifs dans la traite des êtres humains. C’est polycriminel".

Et le "coup de pied dans la fourmilière "engendré par la police débouche sur des violences au sein même des mafias (certains acteurs parlent, les autres se vengent) ou entre les bandes criminelles (pour le contrôle de territoires ou de trafics délaissés, par exemple).

De nouveaux réseaux

Ce fameux démantèlement du réseau Sky ECC commence actuellement à déboucher sur les premières condamnations. Plus de 500 dossiers ont été pour le moment initiés au départ de cette vaste enquête. Arrivera-t-on à un suivi judiciaire adéquat ? François Farcy l’espère : "On y travaille. Il y avait des dossiers existants, enrichis par les données de Sky ECC. Il y avait aussi des dossiers initiés au départ des données Sky ECC. On ne sait pas tout faire. On doit faire choix de priorité. Le gouvernement nous a donné certains moyens mais il est clair qu’ils sont insuffisants. Mais on fait avec les moyens qu’on a, on avance ".

Ce que redoute le policier, c’est ce qu’il nomme "l’après Sky ECC". Les criminels, certes ébranlés, ne sont pas restés les bras ballants et ont cherché de nouveaux moyens de communication. Infiltrer ces nouveaux réseaux est donc primordial. Des demandes en termes d’enquêteurs spécialisés rencontrées partiellement, selon François Farcy.

On avance

Pour lutter contre ces réseaux criminels liés à la drogue, une politique préventive est aussi préconisée : "Les consommateurs ne sont pas forcément la bonne cible, mais on doit s'en occuper aussi. Au niveau de l’accompagnement et de la prévention surtout", souligne le directeur judiciaire de la police fédérale de Liège.

Recevez chaque vendredi l'essentiel de Matin Première

recevez chaque semaine une sélection des actualités de la semaine de Matin Première. Interviews, chroniques, reportages, récits pour savoir ce qui se passe en Belgique, près de chez vous et dans le monde.

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous