Bruxelles

"Tout démolir et reconstruire du neuf aurait été plus simple" : après l’extérieur, l’intérieur du Palais de Justice de Bruxelles va être rénové

Par Eric Boever avec Sarah Heynderickx

"On voit le bout du tunnel." On ne sait plus si on doit encore y croire, mais les autorités fédérales annoncent le retrait des échafaudages devant les façades du Palais de Justice de Bruxelles pour 2024Après plus de 40 ans, les préparatifs devraient débuter cet été. Mais ce n’est pas la fin des travaux : après l’extérieur, on s’apprête à rénover l’intérieur du prestigieux bâtiment.

Une vaste étude va être lancée pour identifier les restaurations nécessaires. Le budget de la rénovation est estimé entre 100 et 300 millions d’euros, selon l’ampleur des travaux. Fin du chantier prévue en 2040. Mais on peut se demander si ces rénovations successives ne ressemblent pas à un puits sans fonds…

"Tout démolir et reconstruire un bâtiment moderne serait plus simple"

"Tout démolir et reconstruire du neuf aurait été plus simple." La formule est de Mathieu Michel, le secrétaire d’Etat chargé de la Régie des Bâtiments, mais il se reprend aussitôt : "le Palais de Justice est un des symboles de notre histoire commune et de la démocratie belge, ça se respecte à la fois à l’extérieur en retirant bientôt les échafaudages, mais aussi à l’intérieur en permettant à ce bâtiment de poursuivre son rôle de lieu de justice qui est fondamental."

Avec 160.000 mètres carrés de bureaux, de couloirs et de salles d’audience, sans oublier l’immense salle des pas perdus, le Palais de Justice de Bruxelles est aussi le plus grand palais de justice du monde, raison de plus pour venir à son chevet, estime le secrétaire d’Etat : "Nous devons être fiers de ce monument de notre patrimoine et mettre les moyens pour qu’il traverse le temps. Aujourd’hui, ce bâtiment est un symbole d’échec parce qu’évidemment, 40 ans d’échafaudage, ce n’est pas acceptable. Mais je souhaite le transformer en symbole de succès et de réussite."

Une étude nourrie par deux études préliminaires, le chantier n’est pas près de débuter

Concrètement, les plombiers, plâtriers et autres ouvriers du bâtiment ne sont pas encore sur le point d’intervenir, on va d’abord passer par une phase d’étude de faisabilité. Elle a été confiée par la Régie des Bâtiments à un bureau qui commencera sa mission le 5 juin. Après une analyse de l’état actuel du bâtiment, des propositions seront élaborées au sujet de la manière d’aborder les futurs travaux.

Ce qu’on lance aujourd’hui, c’est une radiographie du palais

"Ce ne sont pas nécessairement de gros travaux", explique Mathieu Michel. "C’est par exemple une gouttière qui n’a jamais été réparée, ou un flux d’évacuation des eaux qui n’est pas adapté et qui cause des dommages tout à fait évitables. Ce qu’on lance aujourd’hui, c’est une radiographie du palais pour voir quels sont les éléments sur lesquels on doit intervenir pour réparer une bonne fois pour toutes l’ensemble de ces causes qui sont des plaies pour les personnes qui occupent ce palais."

Cette étude de faisabilité sera achevée au plus tard à l’automne 2024. Elle pourra compter sur deux autres études financées par des asbl, la "Fondation Poelaert" et le "Quartier des Arts" et réalisées par des professionnels : étude architecturale et historique du bâtiment, scannage des plans et inventaire du fonds des archives, étude et propositions d’aménagement de la place Poelaert et des rampes… Bref une mine de renseignements souvent inédits et originaux qui ont été présentés et remis aux autorités ce mardi afin de fournir des constats innovants et des pistes de réflexion utiles pour l’avenir.

Deux asbl au secours des pouvoirs publics

Jean-Pierre Buyle est avocat et ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles. Il est un des fondateurs de la Fondation Poelaert, issue du barreau de Bruxelles : "Ce week-end, il y a encore un morceau de plafond du côté de la Cour de cassation qui s’est écroulé. Depuis une douzaine d’années, nous nous battons auprès de chaque ministre concerné pour le réveiller et faire avancer les choses. Nous estimons que c’est le bon moment : les travaux d’enlèvement des échafaudages vont enfin commencer cet été et il est temps de passer à la rénovation de l’intérieur afin d’adapter le bâtiment à une justice moderne dans un État de droit. Quelle sera la justice de demain ? Quelle sera la place des juges robots, de l’intelligence artificielle, des modes alternatifs de règlement des conflits ? C’est tout cela auquel on doit se préparer avec des propositions concrètes. C’est l’objet de l’étude de 700 pages que nous venons de remettre au secrétaire d’Etat."

Il est temps de passer à la rénovation de l’intérieur afin d’adapter le bâtiment à une justice moderne dans un État de droit.

Françoise Tulkens a été magistrate, vice-présidente de la Cour européenne des Droits de l’Homme et professeur à l’UCLouvain, elle est membre du "Quartier des arts" qui a financé l’étude préliminaire : "Pour moi, c’est tellement important de poursuivre la rénovation jusqu’au bout parce que c’est le lieu où on rend la justice au nom du peuple belge. C’est symbolique et très concret à la fois. La justice doit se montrer. Ce n’est pas un pouvoir secret. L’autorité judiciaire est importante car son rôle est quand même de tâcher de contribuer à la paix sociale. Et cela mérite une architecture à la hauteur."

Un budget encore flou, entre 100 et 300 millions d’euros. Un puits sans fonds ?

Après les sommes considérables déjà dépensées pour la rénovation extérieure, la restauration de l’intérieur pourrait coûter entre 100 et 300 millions d’euros selon l’ampleur des travaux identifiés par l’étude de faisabilité. Tout cela est-il bien nécessaire ? Pour Jean-Pierre Buyle, la réponse est claire : "Dans un État de droit, le Palais de Justice est un élément extrêmement important, autant que la Cour suprême, la Cour de cassation, qui fondent notre État de droit. Et donc il est extrêmement important que le Palais de Justice de Bruxelles reprenne un peu de lustre. C’est le seul palais de justice de Belgique qui n’a pas encore fait l’objet d’aménagements et de rénovations. Il est grand temps. Ce n’est pas une bonne image qu’on donne d’un État de droit et de la justice aujourd’hui."

 

Françoise Tulkens abonde dans son sens : "Je suis comme tout le monde, sensible aux finances publiques. Mais si on attend, ce sera encore pire dans cinq ans, dans dix ans. On a tellement vu des lieux comme celui-ci qu’on laisse tout simplement filer. Ils se dégradent et une fois qu’ils sont dégradés, les rénover coûte effectivement encore plus cher. Oui, c’est coûteux, mais c’est maintenant qu’il faut s’y mettre. Je trouve qu’utiliser de l’argent public pour la justice, c’est un bon investissement."

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