Sourire aux lèvres, tournevis dans les mains, Touria el Asri nous emmène dans les entrailles du dépôt Jacques Brel. Elle est la première femme au service de réparation des métros de la STIB. Une rencontre remplie d’empowerment et de force avec celle que l’on surnomme "Tout ou rien".
Son histoire, c’est un récit de revanche sur la vie, un pied de nez positif aux stéréotypes et une invitation à dépasser les barrières. Tout commence dans les années 80. "J’avais 17 ans. Je me suis présentée aux portes ouvertes d’une école de mécanique pour apprendre ce métier. Le vieux prof qui n’avait jamais vu que des mecs m’a regardée et m’a dit ‘non ce n’est pas possible. Dans deux, trois ans, tu vas te marier avec ton cousin et tu vas avoir 8 enfants. Inscris-toi comme puéricultrice ou aide-soignante pour savoir comment les éduquer.’"
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Raciste et misogyne, le combo gagnant… Touria el Asri se lance dans une carrière d’infirmière. Elle travaille dans un service de maternité depuis plusieurs années, quand les coupures budgétaires du secteur hospitalier viennent tout bousculer. Elle perd son emploi. "Je ne pouvais pas rester sans rien faire, donc j’ai commencé à faire du bénévolat."
Les doigts de fée
En apportant son aide au Repair Café de sa commune, Berchem-Sainte-Agathe, elle fait la rencontre de Saallaheddine, un autre bénévole. Il lui dit : "Vous avez des doigts de fée, vous devez absolument aller au centre Horizon, un centre de formation en électromécanique qui aide les personnes à se réinsérer dans le monde du travail." Elle lui répond : "Ouais, c’est ça à 43 ans, recommencer à étudier…" Mais Saallaheddine insiste. "Il était bénévole là-bas aussi. C’est lui la première petite goutte dans cette histoire, parce que soir-là, j’en ai parlé à mon mari qui m’a encouragée et j’ai envoyé un mail pour m’inscrire."
25 ans après s’être vu refuser l’école de ses aspirations, elle démarre une nouvelle formation en électromécanique. "Je suis tombée sur une équipe merveilleuse. J’étais la seule femme, avec huit mecs. Il n’y avait aussi que des hommes parmi les professeurs, sauf Martine, la prof de math, une grande dame." A l’issue de la formation, elle fait une demande de stage à la STIB. "J’avais toujours voulu travailler à la STIB. J’étais émerveillée à 8, 9 ans quand on appuyait sur la bandelette verte pour rentrer dans le tram 103 qui passait Porte d’Anderlecht. Et dans le 47, la carte poinçonnée avec la date et l’heure. Je me demandais comment ça fonctionnait et je me disais : ‘un jour, j’apprendrai peut-être qui sait…’"
Elle écrit sa candidature un soir et le lendemain, la réponse tombe, la STIB l’attend. À 43 ans, elle commence un nouveau métier.
Faire sa place
"Je suis arrivée en stage en 2016 à Delta au service de maintenance. J’étais la toute première femme." Très vite, elle trouve sa place parmi les travailleurs. "Les garçons m’ont dit qu’ils avaient arraché toutes les photos des femmes nues", dit-elle en riant.
"Les gens qui passaient dans le dépôt étaient étonnés. Ils étaient curieux de voir la première femme de l’atelier." Rapidement, elle se fait repérer, et se fait engager après son stage au dépôt Jacques Brel. "Il n’y avait jamais eu de femmes non plus."
Personnalité lumineuse, l’électromécanicienne entretient depuis le début de très bons contacts avec ses collègues. En juillet, ça fera 4 ans que cette mère de 4 enfants répare les métros bruxellois. "Mes trois filles et mon fils sont très fiers de moi. Pendant la formation, on a dû s’organiser à la maison. C’était un temps plein et on n’avait pas droit aux congés scolaires. Mon mari m’a soutenue et aidée."
L’incroyable agente de maintenance pense d’ailleurs à sa collègue, Coralie, électricienne au service des bus à Haeren. "Elle a aussi un super parcours. Quand elle débarque, les chauffeurs lui demandent ‘C’est toi qui vas dépanner le bus ?’ Elle est géniale. Les entretiens, l’huile, les plaquettes de freins, elle, c’est pour un bus, moi, c’est pour une rame."
À propos de rame, chaque voiture complète pèse 33 tonnes. "Et il y en a 5, pas mal hein…", ajoute-t-elle en riant.
Pas toujours simple de gérer le boulot et la vie privée, mais Touria el Asri garde l’équilibre. "C’est très important de pouvoir jongler entre la casquette de maman, d’épouse, mais aussi de femme. Il faut garder du temps pour se faire plaisir à soi." Sans oublier son bénévolat au Repair Café, là où tout a commencé, et son implication dans un groupe de solidarité à Berchem qui vient en aide aux sans-papiers. Elle n’hésite pas à filer un coup de main en préparant à manger ou à apporter son expertise en électromécanique.
J’avais toujours voulu travailler à la STIB. J’étais émerveillée à 8, 9 ans [...] Je me demandais comment ça fonctionnait et je me disais : ‘un jour, j’apprendrai peut-être qui sait…'