Déclic

Totémisation : un tabou intouchable du scoutisme en Belgique ?

L'invitée actu: Céline Gautier

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Par La Première via

Derrière les valeurs et les lois scoutes qui régissent le vivre ensemble au sein des camps de mouvements de jeunesse se cache parfois une réalité plus sombre. Le trimestriel Médor, qui a enquêté sur les violences dans le scoutisme pour son numéro de l’été 2023, a récolté plus d’une centaine de témoignages sur les dérives constatées dans certains groupes des Scouts, des Guides ou du Patro, notamment lors de la totémisation. Céline Gautier, journaliste coautrice du sujet avec Olivier Bailly et Louis Van Ginneken, a commenté les résultats de son enquête dans Déclic.

La culture de la domination, de la violence et de l’humiliation règne encore dans le scoutisme. Dans le viseur, les totémisations. Ces rites de passage au cours desquels les nouveaux venus, âgés en général de 12 ou 13 ans, reçoivent un totem, nom d’un animal censé correspondre à leur profil, est parfois appréhendé comme un baptême estudiantin. Épreuves physiques éprouvantes, brimades et autres violences psychologiques sont-elles encore tolérables en 2023 ?

Une omerta autour des totémisations ?

École, stages,… Les comportements humiliants sont dénoncés dans bien d’autres milieux. Mais l’omerta autour de ces pratiques n’a pas encore été brisée sur la totémisation, comme sur les baptêmes estudiantins. Le poids de la tradition est généralement brandi par les défenseurs de cette cause. Ce que confirme Céline Gautier : "On sent bien qu’on touche un peu à un tabou". Elle pointe deux raisons qui expliquent ce silence déconcertant :

  • Le culte du secret autour de la totémisation, bien ancré dans la tradition. "On ne raconte pas aux plus jeunes ou aux non-totémisés les épreuves qu’on a subies et la façon dont cela s’est passé. Forcément si cela s’est mal passé, on est mal pris pour aller en parler à ses parents qui ne sont peut-être pas totémisés".
  • La sacralisation du scoutisme en Belgique. Extrêmement répandu (180.000 scouts et guides affiliés) et populaire comme nulle part ailleurs, le scoutisme en Belgique est aussi renforcé par les nombreuses bonnes expériences vécues par la majorité de ses membres. Un témoignage qui ne va pas dans ce sens est donc plus difficile à exprimer. "C’est le psychopédagogue Bruno Humbeeck qui le dit : il y a des enfants qui arrivent à dénoncer des violences qu’ils subissent à l’école mais qui n’arrivent pas à dire à leurs parents 'Chez les scouts, je suis aussi victime de violence' parce qu’ils ont l’impression de décevoir toutes les attentes".

Les différentes fédérations interrogées par Médor sont bien conscientes du problème et sensibilisent leurs membres à la bienveillance dans ces rites de passage depuis au moins… les années 50. Des initiatives sont donc prises, mais sans enrayer totalement cette dynamique négative pour le bon développement des enfants et adolescents.

Image d’illustration.
Image d’illustration. © OLIVIER LABAN-MATTEI / AFP

Comment résoudre un problème vieux depuis l’essor du scoutisme en Belgique ?

Alors pourquoi cette épine reste-t-elle plantée dans le pied des fédérations ?

Pour Céline Gautier, il y a un manque de moyens : "Tout le mouvement scout repose sur le bénévolat, tant pour les animateurs/chefs que les cadres fédéraux et régionaux, donc des adultes qui encadrent les formations". Mais le manque de volonté se fait aussi ressentir estime la journaliste, "notamment dans le fait de donner la possibilité aux victimes ou aux témoins de faire remonter des faits comme des numéros verts". Une solution que les fédérations scoutes sont justement occupées à apporter en faisant plus de publicité autour de ces lignes d’écoute pour intervenir dès que des violences se posent.

Un appel à témoignages a été réalisé par le magazine Médor. Parmi les 129 témoignages récoltés, des victimes d’une quarantaine d’années "qui disent qu’elles ont encore une boule au ventre" en repensant aux actes qui ont été commis sur leur personne en période de totémisation. Plus étonnant, d'anciens chefs se sont repentis de certaines violences physiques ou psychologiques qu’ils ont fait subir à leurs animés. "Parfois les termes sont encore très forts : 'Je suis malade de ce que j’ai pu faire subir en toute innocence'. Ce qui montre bien qu’il y a un effet groupe qui doit être questionné parce que ce ne sont pas de mauvaises personnes".

Épreuves physiques trop dures, voire humiliantes, inspirées des pratiques étudiantes, comme des pompages et des gueules en terre, marches excessives avec des poids sur le dos, insultes, engueulades, sobriquets dégradants ont été rapportés dans les différents témoignages. "En appuyant là où ça fait mal, c’est cela qui est aussi terrible : des insultes homophobes, sexistes, grossophobes", pointe encore la journaliste, comme l’exemple d’une fille en surpoids qui doit imiter une baleine.

► Vous avez aussi subi des formes de violence lors de votre totémisation ? L’enquête participative est toujours accessible sur le site de Médor.

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