Sylvia Botella : Le Beurs fête ses cinquante ans. Vous sentez-vous dépositaire d’une histoire ?
Tom Bonte : J’ai toujours eu conscience que le Beurs avait une longue histoire, faite de succès et d’échecs. Ce qui, paradoxalement, nous laisse une très grande liberté, celle d’essayer. " Essayer " est inscrit dans l’ADN de notre maison.
" Essayer ", c’est prendre des risques. " Ne pas en prendre ", c’est occuper une position médiane, ce qui n’est pas très intéressant. À mon sens, mieux vaut être dans l’échec ou le succès. Le Beurs a toujours eu cette position-là. Ma première programmation s’intitulait I feel good, c’était déjà un clin d’œil (sourire).
Il est très difficile d’expliquer ce que je fais du legs. J’aime travailler avec de jeunes artistes, sur des formes très multidisciplinaires. Nous programmons du théâtre, de la danse, des arts visuels, de la vidéo, du cinéma, des installations, etc. Nous transgressons les frontières artistiques, en créant notamment du débat sur l’urbanité, l’écologie ou la mobilité. L’art est notre fil rouge mais il n’est en aucun cas une limite.
En quoi le Beurs, incarnait-il ce que vous cherchiez en tant que directeur général et programmateur artistique ?
Le Vooruit où j’ai travaillé et le Beurs se ressemblent beaucoup. Même si le Beurs est plus petit, on peut y fabriquer de l’hétérogénéité en soulevant des interrogatives sociétales, comme le pratique le Vooruit qui est très connecté à la ville de Gand.
Lorsque j’ai pris la direction du Beurs, c’était une sorte de tour d’ivoire. Ceci n’est pas une critique adressée à la direction précédente, cela n’aurait aucun intérêt. C’est seulement un constat.
Le chemin a été long. Mais, aujourd’hui, nous sommes de plus en plus en lien avec la ville. Le Vooruit est toujours un exemple mais il a d’autres problématiques. La ville de Bruxelles est très différente de la ville de Gand. Il n’y a pas de comparaison possible.
Lorsque vous avez pris la direction du Beurs, vouliez-vous déjà développer une relation à la ville ?
Je savais qu’il était possible de le faire. Lorsque je travaillais au Vooruit, j’habitais à Bruxelles, je n’avais donc pas de lien véritable avec la ville de Gand. Rétrospectivement, la programmation que j’y ai faite était seulement " artistique ". Je ne veux pas reproduire le même schéma au Beurs. Je ne veux plus faire seulement une programmation artistique, qui est peut-être intéressante en tant que telle mais qui est sans prise réelle avec la ville.
J’ai aussi travaillé au deSingel qui est une grande " île " déconnectée de la ville d’Anvers. À mon sens, les opportunités existent mais elles ne sont pas suffisamment exploitées. Ma remarque est très subjective et à sa décharge, contrairement au Beurs et au Vooruit qui sont au cœur de la ville, le deSingel est à la périphérie d’Anvers.
Qu’avez-vous découvert au Beurs qui a modifié votre travail de programmation ?
Auparavant, l’Art était ma priorité. Aujourd’hui, même si je suis entouré de programmateurs qui ont cette priorité, ce n’est plus la mienne. Je suis directeur artistique mais je me considère plus comme directeur général. Le directeur général s’efforce de trouver davantage de liens avec la ville, alors que pour le directeur artistique, c’est l’art qui est au centre de son action. Cela pourrait être problématique mais ça ne l’est pas pour moi.
Comment le directeur général influence-t-il le directeur artistique concrètement ?
Je vais vous répondre en vous donnant un exemple. Aujourd’hui, le contexte politique flamand a changé. Il y a trois ans, nous avons choisi de faire une programmation " ouverte " à tous, aux néerlandophones, flamands, francophones, arabophones, etc., autrement dit à la diversité bruxelloise dans son entièreté avec, peut-être in fine, une langue commune : l’anglais. Nous avons choisi de développer un projet artistique susceptible de communiquer avec tous, tant dans ses formes que ses disciplines. Nous avons décidé de ne pas faire du " Théâtre flamand " parce que c’est trop limitatif et contraire au rôle que nous souhaitons jouer. Je ne veux pas que le public qui lit le programme dise : " Ce n’est pas pour moi ! ". Certaines compagnies flamandes ne m’aiment pas pour cette raison.
La décision que nous avons prise peut être problématique dans la mesure où nous ne parlons plus seulement de " qualité artistique "… Mais, à ce jour, je n’ai ressenti aucune hostilité à notre égard. Le gouvernement nous soutient. Et bon nombre de compagnies flamandes ne travaillent pas uniquement sur la langue. Mais c’est vrai, nous devons davantage expliquer notre positionnement.
Je suis très sensible aux projets qui tissent des liens entre les différentes populations qui font de la ville de Bruxelles ce qu’elle est, aujourd’hui, et qu’on attire peu ou pas encore.
Le KVS a beaucoup œuvré dans ce sens, il a bâti de nombreux projets multiculturels mais je ne suis pas convaincu que ça ait changé radicalement la composition du public.
Dans certaines soirées au Beurs, on parle plus anglais que français ou néerlandais.
Oui. Pour moi, c’est le fruit de la réflexion que nous menons sur la ville. Nous devenons, au fil du temps, de plus en plus bruxellois (rires).