Rez annonçait l’avènement des jeux indés et l’arrivée de la VR avec vingt ans d’avance. Sur le nouveau PlayStation VR2 de Sony, l’œuvre majeure de Tetsuya Mizuguchi se joue désormais avec les yeux. Essais et retour sur les obsessions synesthésiques d’un game designer culte qui transforme tous ses jeux vidéo en boîte à rythme.
Visualiser un son. Ecouter une couleur. En 1994, Tetsuya Mizuguchi vivait une épiphanie musicale dans les rues de Zurich. Au beau milieu des 30 000 ravers de la Street Parade suisse, le créateur qui venait alors de boucler le génial Sega Rally Championship chez Sega découvre le pouvoir synesthésique de la techno. La synchronisation de la foule à des vagues de basses, des boucles hypnotiques et des stroboscopes le clouent sur place. Le développeur originaire d’Hokkaido (l’île la plus au nord du Japon) décide, illico, d’intégrer cette expérience musicale et multisensorielle à son approche du jeu vidéo. Près de 30 ans plus tard, Child of Eden, Tetris Effect et Rez sont devenus des jeux culte. Si bien que ces deux derniers ressortent aujourd’hui en réalité virtuelle, sur le nouveau PlayStation VR2 de Sony.
"En 1994, j’ai découvert la techno, la trance et les rave, en Suisse et en Allemagne. Je me suis alors immédiatement souvenu de la synesthésie de Vassily Kandisky. Je l’avais étudiée à l’université, sans vraiment y prêter attention. Je voulais intégrer cette idée à quelque chose d’interactif. Rez était né " nous expliquait Tetsuya Mizuguchi, lors de la sortie de Child of Eden, en 2011. Ce phénomène neurologique associant spontanément un sens humain à un autre avait, entre autres, amené le célèbre peintre abstrait à voir des couleurs et des formes, en plein opéra de Wagner au théâtre de la cour de Moscou. Rez repose donc sur se postulat, tout en s’inspirant de la relation visuelle et sonore de clips comme Bizarre Love Triangle de New Order ou Sledgehammer de Peter Gabriel.
Depuis la sortie de Rez en 2001, Mizuguchi a fait de la synesthésie sa philosophie de vie. Une idée maîtresse domine donc sa ludographie : les actions du joueur déclenchent des notes ou des samples musicaux additionnels complétant harmonieusement la bande originale de ses jeux, en temps réel. Le créateur ne se limite toutefois pas aux jeux vidéo et a ainsi créé le Synesthesia Lab. Cette unité de R&D joue avec nos sens, à travers plusieurs projets tech tout droit sortis du Cobaye de Brett Leonard. On pense notamment à cette chaise longue pulsante ou encore à cette combinaison intégrale vibrante.
PSVR2 : des yeux à la place des mains
Aujourd’hui, la détection du regard du nouveau PlayStation VR2 de Sony donne à Mizuguchi une occasion en or de ressortir Rez Infinite, la version de Rez adaptée au premier PlayStation VR de Sony en 2016. Face à cette précédente réédition du rail shooter, la mise à jour visuelle en 4K et à 120 images par seconde du PSVR2 crépite. Le jeu de tir traverse des corridors peuplés de créatures abstraites aux animations géométriques folles qui n’ont pas vieilli malgré leurs 22 ans d’âge. Entre De Stijl, Tron et une rave, Rez Infinite se tapisse de samples supplémentaires déclenchés en temps réel par les tirs réussis du gamer. De quoi donner un sens nouveau à sa bande originale musique castant notamment Coldcut et Ken Ishii.
Casque sur la tête, l’impression de vivre la vision que Mizuguchi n’avait pas su réaliser avec son Rez de 2001 sur Dreamcast, domine. Ausculter les bribes de vie digitales de son cyberespace en tournant simplement la tête rend son exploration plus naturelle. Mieux, le système de détection du regard du PSVR2 permet de viser et de verrouiller les cibles en mouvement du jeu. Le réticule suit les mouvements oculaires du gamer avec une précision surnaturelle, même pour viser des petites parties d’un boss de fin de niveau, en pleine parade nuptiale. Déclencher le tir passe toutefois par un bouton des manettes Sense du PSVR2.
Développé pour le PSVR1, Area X revient enfin sur cette nouvelle version de Rez Infinite. Ce mode de jeu permet au gamer de se déplacer en toute liberté et se détache de la structure sur rails des niveaux classiques. Et l’eye tracking y fonctionne tout aussi bien pour renouveler brillamment la façon de jouer. Notamment lorsqu’on essaye de trouver le point faible d’un bipède géant, habillé d’un nuage de points.
Mizuguchi : indé et VR bien avant l’heure
"Au début du développement de REZ, il était tellement difficile de communiquer avec les gens sur ce projet que le département marketing de Sega a fini par me demander ce qu’était cette merde. Pour eux, le jeu devait être du divertissement. Pour moi, c’était de l’art." nous détaillait Tetsuya Mizuguchi, il y a plus de dix ans. " Personne n’y comprenait rien. Même mon équipe grimaçait lorsque je leur demandais certaines choses. Je les ai donc emmenés dans des clubs technos à Tokyo.".
Le temps a finalement donné raison à Mizugichi puisque Rez annonçait il y a 20 ans - bien avant l’heure donc - l’arrivée de l’ère indé et de la réalité virtuelle. Son influence sur la première vague d’indie games est marquante. Au-delà de la plastique de Darwinia et Fotonica, à la fin des années 2000, on retiendra ainsi Riff : Everyday Shooter qui empruntait également le chemin d’une œuvre sonore plus ou moins complète selon la précision de la gâchette du gamer. Plus récemment, parmi la pléthore d’indés qui s’en réclame, on notera enfin Thumper (lui aussi réédité sur PSVR2) du bassiste de Lightning Bolt.
Depuis Rez, l’œuvre de Mizuguchi a en fait marqué la planète gaming en la confrontant à une série de productions hybrides mêlant gameplay, séquenceur musical et boîte à rythme. Tetris Effect Connected, la dernière d’entre elle ajoute ainsi des notes, samples et autres vocaux à chaque mouvement de bloc. Entre free jazz, morceaux tribaux et electro, le jeu profitait de l’immersion du PSVR1 en 2016 et aujourd’hui de son successeur. Régulièrement convié à des événements tech et musicaux (ici aux côtés de Jeff Mills), Mizuguchi explore d’ailleurs méticuleusement les évolutions tech du gaming pour doper ses obsessions rythmiques, hallucinogènes et immersives.
En 2005 - avant le premier iPhone -, ce dernier utilisait ainsi l’écran tactile de la Nintendo DS pour bouger des blocs dont les déplacements altéraient la B.O. de Meteos. Un an plus tôt, Lumines ralentissait ou accélérait, de son côté, le tempo de ses morceaux selon le nombre de cubes dont on s’était débarrassé à l’écran. Ce puzzle-game empruntait en outre la structure et le défilement temporel de la grille d’un step-séquenceur musical comme RollingTones. Si bien qu’il a fini par intégrer cette fonction, permettant au gamer de créer de la musique sur sa version Supernova.
Plus récemment en 2011, Mizuguchi récompensait les tireurs les plus précis de Child of Eden en les gratifiant de pistes supplémentaires sur ses morceaux électro. Se pratiquant en bougeant les bras face à la caméra du Kinect de Microsoft, ce dernier se rapprochait un peu plus encore de la synesthésie chérie (qu’il détaille ici) de son créateur. Tirer sans discontinuer sur un ver volant y activait par exemple les vocaux ou la rythmique de sa bande originale techno et J-Pop. Une danse de salon s’installait et l’esprit des free parties transparaissait, en mixant avec les bras, par tir interposé. De quoi revivre la synesthésie d’une Street Parade suisse, depuis son fauteuil, en attendant Humanity, son imminent puzzle game à la Lemmings attendu pour le mois de mai prochain.
PlayStation VR2, faut-il craquer son slip ou pas ?
En dix ans d’existence et de promesses, la réalité virtuelle est loin d’être devenue mainstream. Sony ne ménage pas moins ses efforts sur ce terrain puisqu’il vient de sortir son PlayStation VR2. Face à son prédécesseur, ce dernier allège son poids et ne demande plus d’installer une PlayStation Camera détectant les mouvements du gamer. Ce net progrès en termes de convivialité se complète en outre d’un unique cordon de branchement remplaçant la précédente guirlande de câbles du premier PSVR. Cerise sur le pixel, une paire d’écouteurs intra auriculaires - précédemment absents - se clipse sur l’arceau du visiocasque (lorsqu’on ne les utilise pas). Si on regrette l’absence de potentiomètre, leur présence facilite de facto l’immersion.
Permettant de voir son environnement via un flux vidéo (sans devoir enlever le casque donc), l’arrivée d’un bouton "pass through" améliore également l’ergonomie générale de l’accessoire. Ce gimmick déjà présent sur le Meta Quest 2, se double d’une visière intérieure détectant vraiment efficacement le regard du joueur. Au-delà de séquences de tirs sur Rez : Infinite (voir notre article ci-dessus), ce tour de passe-passe dope aussi temporairement la résolution des zones de l’image de certains jeu (comme Gran Turismo 7) où se posent les yeux du gamer. Le reste de la scène - que l’on ne regarde pas - tombe en basse définition.
Elles aussi inspirées du Meta Quest 2, le duo de manettes Sense livrées avec le PSVR2 détectent les mouvement des bras et des mains du joueur. Leur point fort crépite surtout avec le retour de force adaptatif hérité de l’excellente Dual Sense de la PlayStation 5. De quoi ressentir les différents niveaux de tension d’un arc à flèche sur Horizon Call of the Mountain ou la résistance de la gâchette d’un blaster sur Star Wars Tales from the Galaxy’s Edge. Au-delà de ses prestations graphiques haussant le ton en 4k et en HDR, le récent PlayStation VR2 aligne donc une foule de nouveautés ergonomiques sensées amadouer les sceptiques de la réalité virtuelle. Suffisant pour justifier ses 600 € qui dépassent de 50 € le prix d’une PlayStation 5 (avec lecteur optique) ?
M.-H.T.