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Timisoara, capitale culturelle 2023 : une ville roumaine très européenne avec un bourgmestre allemand

© Timișoara 2023 European Capital of Culture.

Timisoara, grande ville cosmopolite de l’ouest de la Roumanie, est la capitale européenne de la culture en 2023Dominic Fritz, son maire âgé de 38 ans et citoyen allemand, est passé par Bruxelles pour présenter le programme de cette année culturelle. Un programme officiellement dévoilé ce lundi. Il comprend plusieurs artistes belges.

La ville a marqué l’histoire du 20ème siècle comme le berceau de la révolution roumaine de 1989 qui a mis fin au régime communiste de Nicolae Ceausecu. Cette cité du Banat a toujours été un lieu de rencontre des cultures. Souvent à l’avant-garde des progrès modernes, elle est située à égale distance de Budapest, Bucarest et Belgrade. Timisoara hérite d’une riche histoire de mélanges entre Roumains, Hongrois, Serbes, Allemands, Juifs et Roms.

La révolution le 25 décembre 1989 à Timisoara
La révolution le 25 décembre 1989 à Timisoara © Michel GANGNE / AFP

Autant de croisements qui expliquent que Dominic Fritz, natif d’un petit village de la Forêt Noire en Allemagne et sans racines en Roumanie, a décidé un jour de venir s’y installer et puis il y a deux ans d’y relever le défi d’en devenir le bourgmestre. Juste à temps pour que sa ville soit capitale culturelle de l’Europe, initialement prévue en 2021 et reportée à 2023 suite à la pandémie.

Programme

"Timisoara est une très belle, très européenne, avec de grands évènements comme l’exposition Brancusi, le plus important artiste plasticien roumain, qui a vécu à Paris, se félicite le bourgmestre. Il y a des concerts, des expositions d’art contemporain, un festival de théâtre, un festival de musique et un grand week-end d’ouverture le 17 février avec des artistes, des musiciens, des philosophes, des prix Nobel de toute l’Europe."

Constantin Brancusi au Centre Beaubourg

La Belgique n’est pas absente de ce programme, avec les chorégraphies de Melting Pot, la chorale molenbeekoise "Chanter pour vivre ensemble" ainsi que Transcultures et ses installations et performances multimédias.

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Parmi les autres moments forts de la programmation de Timisoara 2023, l’artiste ukrainienne Alyona Alyona, le violoniste hongrois de Serbie Felix Lajkó qui jouera avec le groupe polonais de turbo folk Vołosi. Mais aussi le suédois-britanique Jay Jay Johnson et une conférence du philosophe allemand Peter Sloterdijk.

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Un bourgmestre allemand pour une ville roumaine très européenne

L’itinéraire de Dominic Fritz se lit comme une déclaration d’amour à l’Europe. "Je n’ai personnellement pas de racines dans cette région. Je suis né et j’ai grandi en Allemagne, dans une famille très allemande", explique le maire de Timisoara. En effet, Dominic Fritz est natif de Lörrach, dans le sud-ouest de l’Allemagne, au sein d’une fratrie de 8 enfants, de parents et grands-parents allemands.

Diplômé du lycée jésuite Saint Blasien, à 19 ans, il prend une année sabbatique et se rend comme Volontaire européen jésuite en Roumanie avec Caritas en 2003. Pendant un an, il a travaillé dans un orphelinat, le Freidorfer Kinderhaus, et depuis son cœur bat pour la ville : "Je suis tombé amoureux avec la ville, son atmosphère très multiculturelle, avec le fait que la révolution de 1989 a commencé ici…".

Dominic Fritz
Dominic Fritz © Primaria Timisoara

Tout en continuant à revenir régulièrement à Timisoara, il a poursuivi ses études en Sciences politiques à Constance en Allemagne et à Paris en France ainsi qu’à York en Grande-Bretagne, avant de travailler pour l’administration allemande, la Société de coopération internationale (GIZ) et comme conseiller de l’ancien président fédéral et ancien directeur du FMI, Horst Köhler.

Engagé depuis plusieurs années des divers projets sociaux à Timisoara, il envisage de faire campagne pour un futur candidat maire jusqu’à ce que "beaucoup de gens tentent de me convaincre que j’étais peut-être le meilleur candidat. Donc j’ai décidé de me présenter", explique-t-il avec un sourire modeste, passant de l’anglais au français, deux langues qu’il maîtrise au côté de l’allemand et du roumain.

Des études chez les jésuites, un ancien patron CDU, mais aussi un engagement politique chez les Verts en Allemagne, avant finalement de bénéficier d’un soutien des libéraux comme Guy Verhofstadt et l’ancien Premier ministre roumain et commissaire européen Dacian Ciolos. En Roumanie, sa formation politique s’appelle USR PLUS, Uniunea Salvați România, et porte les idéaux de réforme des manifestations pro démocratiques de 2017.

L’an suivant, en 2020, il est élu avec une belle majorité contre le maire sortant Nicolae Robu. "C’est l’Europe vivante. Les citoyens de Timisoara veulent ainsi exprimer leur identité, explique Dominic Fritz. Me voilà le premier maire non-Roumain de Roumanie, mais pas le premier Allemand comme maire car au cours des siècles de son histoire, la ville a eu plusieurs maires avec des noms allemands…" Une première tout à fait en ligne avec l’identité multiculturelle de la ville donc.

La Roumanie toujours aux portes de Schengen

Le maire de Timisoara souhaite d’ailleurs que la Roumanie rentre enfin dans l’espace de libre circulation Schengen, ce que les 27 n’ont pu convenir jeudi dernier. "Je pense qu’il n’existe qu’une seule Europe et la Roumanie en fait partie à part entière. Je suis maire de cette ville en Europe et j’ai aussi ma famille en Allemagne où j’ai grandi et quand je voyage par route de la ville où je suis bourgmestre à celle où ma famille habite, je dois attendre à la frontière pendant des heures. Ce n’est pas correct."

"Il est temps que les Roumains, Bulgares et Croates qui sont toujours exclus de Schengen ne soient plus traités comme des Européens de seconde zone", demande Dominic Fritz. "Et après la barrière que les habitants de Timisoara ont abattue en élisant un non-Roumain comme maire, j’espère que les Européens abattront une autre barrière et admettront enfin ces trois pays comme membres de Schengen".

Vaincre les résistances au changement

"Ce n’est pas où on est né qui compte, mais où on veut vivre sa vie et changer la société", poursuit Dominic Fritz. En deux ans, les changements ne sont pas encore profonds car il faut combattre la corruption et le népotisme, reconnaît le maire qui avance toutefois des réformes comme la numérisation de l’administration, la transparence, la réorganisation, l’ouverture à la jeunesse, à la participation…

Son administration investit beaucoup dans les transports publics, les hôpitaux, les espaces publics, l’enseignement et la culture : "Timisoara a heureusement un potentiel de croissance, économique, sans chômage, avec beaucoup d’investissements européens".

Dominic Fritz
Dominic Fritz © Primaria Timisoara

"La résistance de ceux qui ont profité de l’ancien système est très forte et tout changement important provoque une résistance. J’essaye de beaucoup expliquer pourquoi je veux changer. Souvent la résistance vient d’un petit groupe. Mais la majorité des gens me soutiennent. Mais ce n’est pas facile. En même temps Timisoara a toujours été une ville ouverte à l’innovation", estime Dominic Fritz. Timisoara a par exemple eu le privilège d’avoir le premier tram hippomobile de Roumanie et la deuxième au monde à bénéficier d’un éclairage public à l’électricité après New York.

Le jeune maire reste prudent et évite de se montrer "trop allemand" face aux Roumains. Il estime qu’il a été très bien accueilli, avec le préjugé favorable aux Allemands et notamment le souci du respect des règles. Lorsqu’on lui demande ce qui l’agace en Roumanie, il répond : "Le manque de ponctualité". Et d’ajouter : "Ce qui m’énerve le plus, c’est que c’est contagieux."

Sur la question des orphelinats, qu’il connaît bien, Dominic Fritz rapporte une nette amélioration depuis les années 1990, même si certains en Roumanie pensent toujours que "l’enfant est mieux éduqué quand il est détaché de sa famille pour être élevé par l’Etat, et ils ont tort", dit-il.

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