Elio Di Rupo du PS qui fait des jongles avec un maillot des Diables sur les épaules, Tom Van Grieken du Vlaams Belang qui danse, ou encore Raoul Hedebouw du PTB qui sert des frites à ses militants, … Tout ça, tu peux le voir sur TikTok ! Les hommes et femmes politiques débarquent petit à petit sur le réseau social. Simple nouvelle forme de communication politique ou les barrières entre élus et citoyens sont-elles vraiment en train de s’effriter grâce à ce nouveau terrain de jeu ?
Bon, on s’emballe pas, ce n’est pas non plus un débarquement massif des politiciens sur TikTok. D’après une enquête du journal L’Echo, moins de 7% des membres des différents gouvernements et Parlements ont un compte actif. "C’est plus difficile de faire un TikTok que d’écrire un tweet, constate l’expert en réseaux sociaux Mateusz Kukulka pour expliquer ce pourcentage assez faible. Ecrire un tweet par jour, c’est facile. Faire un TikTok tous les jours, c’est plus compliqué. Ça prend du temps, il faut faire le montage, on essaye de scénariser,…".
Nouvel espace public
Mais le fait que certains poids lourds de la politique aient compris l’intérêt de communiquer via la plateforme ne l’étonne pas : "La politique, c’est être là où sont les gens. Comme il est normal que les politiques soient sur les marchés pour rencontrer les gens, c’est normal qu’ils arrivent sur TikTok. En fait, cela fait partie de l’espace public. S’ils n’y vont pas, on dira qu’ils ne sont pas là où sont les gens. Et donc, ils viennent !".
Et s’il y en a un qui l’a rapidement compris, c’est l’ancien premier ministre Elio Di Rupo. Avec ses 140.000 abonnés, c’est le boss du game en Belgique (en tout cas du classement des politiques les plus suivis sur TikTok ). La toute première vidéo postée par le ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles date du mois de février 2020, à l’occasion du carnaval de Binche. "On nous a envoyé une vidéo du ministre-président qui dansait sur un air de Gilles, raconte Sylvain Jonkheere, jeune directeur de la communication d’Elio Di Rupo. On y a ajouté une musique qui était hyper populaire à l’époque sur TikTok. Cela faisait un moment qu’on analysait un peu les codes de l’application, donc on s’est dit que ça pouvait être intéressant de se lancer".
C’est le ministre de TikTok !
Si on analyse un peu le feed TikTok d’Elio Di Rupo, on peut voir deux types de contenus. Il y a quelques vidéos dans lesquelles il balance des messages politiques, mais la majorité des posts montrent l’ancien premier ministre dans ses différents déplacements, le tout avec un montage dynamique et une musique bien tendance (mention spéciale à sa ballade dans Namur à l’occasion des fêtes de Wallonie sur fond de "Bande organisée").
"Il a bien compris les codes de la plateforme, constate Mateusz Kukulka. Il prend TikTok pour ce que c’est : un endroit où les gens vont se détendre et rigoler, mais où on peut quand même faire des choses plus sérieuses. Aux Etats-Unis, on a vu que pendant la campagne de Donald Trump, beaucoup de jeunes se sont mobilisés sur TikTok. A la base, ils ne voyaient pas TikTok comme une plateforme mais en fait, c’était leur espace de discussion et c’est là qu’ils l’ont fait. On sent donc clairement le travail d’une équipe de communicants derrière Elio Di Rupo".
Et la stratégie semble payante ! En tout cas d’après Sylvain Jonkheere : "Quand Elio Di Rupo se ballade en rue, il se fait accoster en permanence par des jeunes qui lui disent tous : "C’est le ministre de TikTok !". C’est un truc de fou !". TikTok permet donc au ministre-président d’atteindre une cible qu’il ne touche pas forcément lorsqu’il est en direct au JT de 13h de la RTBF. De quoi engranger des voix de futurs votants pour les élections de 2024 ? Pas si simple, tempère Mateusz Kukulka qui ne sous-estime pas l’esprit critique des jeunes followers. "Si on regarde les ados de 16-17 ans qui voteront dans trois ans, il n’y en a pas beaucoup qui ne savent pas ce qu’est un placement de produit ou une publicité, explique-t-il. Il ne faut donc pas les prendre pour des imbéciles. Ce n’est pas parce qu’un jeune a vu Elio Di Rupo sur TikTok qu’il va forcément voter pour lui".
Répondre aux questions
Il n’empêche que la connexion entre le jeune et l’homme politique est établie. Beaucoup de followers n’hésitent d’ailleurs pas à interpeller directement leurs ministres via TikTok. "On reçoit pas mal d’interpellations, de questions, et on essaye d’y répondre, raconte Sylvain Jonkheere. C’est hyper important d’informer les jeunes sur ce qu’est le système politique belge, comment ça marche, un ministre ça fait quoi,…". Mais ça ne suffit pas : "Les contacts directs sont aussi importants".
Cette envie d’infos de la part des followers, Margaux De Ré l’a bien intégrée. Cette députée bruxelloise Ecolo de 29 ans est une mordue de réseaux sociaux. C’est donc d’abord "par curiosité" qu’elle s’est inscrite sur TikTok. "Dès qu’un truc sors, je jette un œil", raconte la députée qui a commencé par poster des vidéos perso (son tout premier post est une vidéo de son chat). Mais pour elle aussi, TikTok permet de casser la barrière entre les parlementaires et les jeunes. " Ils me contactent beaucoup pour me poser des questions sur mon métier : le fait d’être députée, ils ne savent pas toujours exactement ce que ça veut dire, raconte Margaux De Ré. Tandis que sur Instagram, ce sont plutôt des questions sur mon opinion par rapport à des sujets de société. Sur Twitter, ce sera plutôt des questions de politique pure".
Contrairement à Elio Di Rupo, Margaux De Ré gère elle-même son compte TikTok. C’est donc à elle de trouver les bonnes idées qui feront en sorte que le follower ne zappe sa vidéo. "Ça demande de s’auto-challenger. Sur TikTok, tu ne peux pas poster l’interview que tu as faite en radio le matin, par exemple. Ça ne donne pas grand-chose. Et donc ça m’oblige à réfléchir un peu au contenu que je publie et aux idées que j’ai envie de transmettre d’une autre manière ", explique Margaux De Ré qui poste ses vidéos quand son emploi du temps lui permet. " D’ailleurs, le rush de la rentrée au parlement m’empêche de trouver le temps de faire des vidéos TikTok", ajoute-t-elle.
Si tu mets les bons hashtags par rapport aux tendances liées à l’actualités, tu es mis en avant
Par contre, s’il y en a qui est plutôt au taquet au niveau de ses posts TikTok, c’est le président du Vlaams Belang Tom Van Grieken. Le mois dernier, il a choqué en invitant ses 36.000 followers à dénoncer "les professeurs gauchistes qui essayent d’incorporer leurs absurdités multiculturelles dans leurs cours en permanence". Là, on n'est plus sur des vidéos légères qui suivent les tendances, mais bien sur un discours politique pur et dur, avec l’agressivité en plus. "Finalement, c’est sa communication habituelle, analyse Mateusz Kukulka. Il s’adapte moins à la plateforme, mais ça marche quand même parce qu’il est très dans l’actualité. Si tu mets les bons hashtags par rapport aux tendances liées à l’actualités, tu es mis en avant. Donc il utilise ça plutôt bien".
Les chiffres confirment cette impression : Tom Van Grieken est classé 3ème au classement des politiciens les plus suivis sur TikTok. Il faut dire que le Vlaams Belang a une longueur d’avance sur les autres partis au niveau des réseaux sociaux. Lors de la campagne pour les élections législatives de 2019, le parti a dépensé 400.000 euros pour des publications sponsorisées sur Facebook. Pas étonnant donc de retrouver son président sur le podium des politiciens Tiktokeurs trois ans plus tard.
Cet attrait du Vlaams Belang pour les réseaux sociaux s’explique par leur accès très limité aux médias traditionnels. "Depuis les années 90, le Belang a compris qu’il y avait sur internet un espace sans contrôle journalistique, se souvient Mateusz Kukulka. Quand certains s’étonnent de voir qu’ils ont investi énormément d’argent dans leur campagne réseaux sociaux lors des dernières élections, moi je me demande ce que font les autres partis. Depuis quelques années, ils essayent de rattraper leur retard, après avoir réalisé que la présence sur les médias traditionnels n’était plus suffisante".
Respecter les codes
Mais comment les utilisateurs historiques de TikTok voient-ils cette arrivée des politiques sur leur terrain de jeu ? "Il y a une certaine reconnaissance de la part des utilisateurs de TikTok, observe notre expert. Ils se disent : "Je suis sur une plateforme souvent décriée, et une personnalité de premier plan est là, et en plus de manière respectueuse". La plupart des politiques utilisent les codes de TikTok, ils n’y font pas des conférences de presse classiques,… Et donc il y a des gens qui trouvent ça cool. D’autres trouvent que les politiques n’ont rien à faire sur TikTok".
De quoi pousser d’autres hommes et femmes politiques à sauter le pas et créer leur compte TikTok ? Pour Mateusz Kukulka, c’est quasiment un passage obligé aujourd’hui. "Je trouve ça démocratique et important que les politiques aillent vers les jeunes, estime-t-il. Les prochaines élections sont en 2024. Je suis persuadé qu’ils seront de plus en plus à arriver sur TikTok d’ici là. Pareil pour la plateforme Twitch". Reste à voir si cette stratégie sera payante et se traduira dans les urnes. Réponse dans trois ans.