Un article (non encore revu par les pairs) publié par l’équipe allemande de Rolf Maschalek, professeur à l’Université Goethe de Francfort, apporte une nouvelle piste d’explication à la question mystère : pourquoi, rarement, des patients développent-ils des thromboses très spécifiques (thromboses veineuses cérébrales ou splanchniques, c’est-à-dire abdominales), associées le plus souvent à des chutes de niveaux de plaquettes sanguines, appelées thrombocytopénie, après un vaccin à adénovirus, de type AstraZeneca ou Johnson & Johnson (Janssen) ?
Jusqu’ici, les scientifiques ont apporté des explications sur le mécanisme impliqué, sans en trouver la cause. Ils ont comparé ce syndrome à ce qui se produisait rarement chez des patients à qui on administrait un anticoagulant, de l’héparine. Quelquefois, ces patients faisaient une réaction immunitaire induite par cette héparine, appelée "thrombocytopénie induite par l’héparine", en anglais HIT.
Les professeurs Michel Goldman (professeur émérite en immunologie à l’ULB) et Cédric Hermans (directeur du service d’hématologie aux Cliniques universitaires Saint-Luc) ont décrit ce syndrome comme une réaction auto-immune pour laquelle ils ont apporté une hypothèse explicative, dans une publication récente. Ils ont conclu qu’il était utile de préciser le rôle du vecteur (l'adénovirus) utilisé pour ces types de vaccins contre le Covid-19 et de mener des recherches supplémentaires pour identifier les facteurs de risque qui prédisposent certains individus à ces complications graves.
Mais malgré la compréhension de la réaction immunitaire comparable chez certains patients vaccinés par des vaccins à vecteur viral, la question demeure ouverte : qu’est-ce qui explique le déclenchement de ces effets secondaires ? Les auteurs de l’article qui vient d’être publié produisent des données qui pourraient, si elles se confirment, fournir un élément de réponse.
Pourquoi ces vaccins ? Une hypothèse
Les vaccins à ARN messager (comme ceux de Pfizer ou Moderna) sont composés de nanoparticules lipidiques contenant la molécule d’ARN adéquate, c’est-à-dire celle qui "code" directement pour la protéine spike du SARS-Cov-2. Le vaccin pénètre dans les cellules du muscle du bras. Voilà la cargaison d’ARn messager en route, pour être traduite par notre corps, véritable entreprise de "do-it-yourself", en protéine de pointe, la "spike" du coronavirus. Au bout des opérations, le système immunitaire est capable de reconnaître l’antigène du virus, le corps étranger, et de mettre en route sa machinerie de défense.
Mais que se passe-t-il avec un vaccin à adénovirus, comme ceux de Johnson & Johnson (Janssen) ou AstraZeneca ? La séquence de ce qui se passe dans les cellules est plus complexe avec plus d’étapes. Contrairement aux vaccins à ARN, les vaccins à adénovirus véhiculent une séquence génétique d’ADN de la protéine S ou de pointe du coronavirus dans le noyau des cellules ; il s’ensuit une série d’étapes pour convertir l’ADN en ARN.
Cet ARN va migrer dans la cellule en dehors du noyau pour y être traduit en protéine. C'est un peu, nous explique le professeur Cédric Hermans, chef de service d’hématologie aux Cliniques universitaires Saint-Luc, "comme si les vaccins à ARN envoyaient un plan de construction clair et net, avec un ordre d’opérations immuable en une étape, sans ambiguïté, et ceux à adénovirus, un classeur avec des feuilles qui seraient lues de façon séparée ou dispersées à assembler". L’ADN ainsi retranscrit peut être en quelque sorte lu de diverses façons et donner naissance à plusieurs protéines Spike, y compris des formes tronquées ou solubles.
Et c'est là que les caillots... ?
Cette protéine spike tronquée ou soluble, libérée dans la circulation sanguine, se fixerait à la surface des vaisseaux sanguins. Les anticorps produits contre cette protéine S viennent se fixer à la paroi de ces vaisseaux qui est agressée. Ces dommages des vaisseaux, l’intervention des plaquettes sanguines qui sont activées, contribuent à la formation de caillots.
D’après les auteurs de cette hypothèse, les vaccins à ARN n’entraîneraient pas ce phénomène. En effet, la protéine S pour laquelle ils codent est et reste attachée à la surface des cellules qui les produisent et n’est pas libérée dans le sang en grande quantité.
Ils apportent une recommandation aux fabricants de vaccins utilisant des vecteurs d’adénovirus, pour résoudre ce problème : modifier la séquence de la protéine de pointe pour éviter ces réactions, la production de formes solubles de la protéine S et augmenter la sécurité.
Grave mais rare
Rappelons tout de même que les effets secondaires dont on parle ici sont extrêmement rares : environ 150 cas sur 17 millions de doses d’AstraZeneca en Europe, et 6 cas sur 6,8 millions de doses de Johnson & Johnson aux Etats-Unis. En raison de l’âge moyen des personnes touchées par ces effets secondaires rares, la Belgique a décidé hier de limiter le vaccin de Janssen aux personnes de 41 ans et plus, tout comme l’était déjà celui d’AstraZeneca désormais nommé Vaxzevria.