Michael Frayn pousse la pêche miraculeuse — ou la perversion — encore plus loin, au point qu’on ne sait plus très bien s’il faut admirer un chef-d’œuvre de la peinture flamande ou chef-d’œuvre de mystification. Et de la part de qui ? D’un faussaire, d’un acquéreur ou d’un propriétaire ?
Vous allez voir que la réalité rejoint souvent la fiction, puisque s’il ne s’agit pas ici d’un Van Dyck mais d’un Brueghel, nous restons en terre flamande.
Et heureux hasard pour cette chronique, Van Dyck a travaillé avec le plus jeune fils de Brueghel l’Ancien qui recopiait les œuvres de son père en imitant sa signature. Cela valait déjà nettement plus sur le marché de l’art. Et après tout, il peignait de vrais faux Breughel en somme. Et c’est un peu de cela dont il est question dans ce roman Tête baissée.
Nous ne sommes pas dans une grange américaine pleine de fientes de pigeons mais dans la cuisine graisseuse d’un vieux manoir décrépit, dans la campagne anglaise, verdoyante et pluvieuse. Un jeune universitaire, venu avec son épouse se mettre au vert pour écrire un livre aussi prétentieux que poussif et inutile, est consulté par ses voisins pour venir expertiser leurs tableaux. Il n’est pas historien de l’art mais se vante d’en connaître un rayon. Et là, médusé, il reconnaît sous la couche de poussière, un Brueghel, et pas n’importe lequel. Le panneau manquant de la série des Saisons. Il frémit, il jubile, il n’y tient plus et surtout il ne dit rien aux propriétaires. Cette acquisition pourrait non seulement le rendre riche mais surtout célèbre dans le monde universitaire. Mais comment faire pour acheter ce tableau à vil prix, en le faisant passer pour l’œuvrette d’un anonyme ?
Michael Frayn est un auteur aussi érudit que drôle, de romans et de pièces de théâtre, il nous ménage donc une satire caustique du snobisme de l’élite intellectuelle, mais aussi des gentlemen farmers, de l’ennui et de l’ignorance de la bourgeoisie, en passant par l’aveuglement obstiné des experts dès lors qu’ils décident de faire entrer toute vérité dans la leur.
C’est éminent savoureux et au passage on apprend beaucoup de choses sur la peinture flamande. Et au moins autant, sur ce qu’un homme est prêt à foutre en l’air par vanité, carriérisme, aveuglement, cupidité, et sur les ressorts comiques de l’accumulation des quiproquos et pataquès. Et ce chef d’œuvre-là d’humour anglais, ne vous coûtera lui que 12, 20 euros. Et il est authentique.