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Sur son premier album solo, Sylvie Kreusch se livre à cœur ouvert

© Ferry van der Nat

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Par Diane Theunissen

En quelques notes seulement, certains artistes parviennent à vous convaincre de leur faire confiance et d'un seul coup, vous ramènent à l’essentiel. Sylvie Kreusch en fait partie. Dotée d’un univers singulier et d’une voix digne de celle de Lana Del Rey, la chanteuse anversoise ne jure que par l'authenticité. Après un début de carrière au sein de Soldier’s Heart et quelques collaborations avec Warhaus, elle revient sur le devant de la scène avec son premier album solo, l’énigmatique, honnête et organique Montbray. Rencontre. 

Salut Sylvie ! Comment te sens-tu par rapport à la sortie de ton album ?

Ces derniers jours, j'ai eu l'impression que c'était une sorte d'anti-climax parce que j'ai passé tellement de temps sur cet album, ça fait presque un an que je l'ai terminé. Mais là je commence à être très excitée !

 

Peux-tu nous donner un aperçu de ce que représente ce projet ?

Beaucoup de gens diraient que c'est un album de rupture, mais pour moi, c'est plutôt un processus de guérison. Il couvre toutes les phases d’une rupture, et toutes les émotions qui y sont liées. Les chansons passent de la colère et de la tristesse à la vengeance et à l’espoir, c'est comme une période très maniaque, avec toutes ces différentes étapes. C'est pourquoi l'album se déroule par vagues, chaque chanson ayant une humeur différente. Je pense que j'avais besoin de le faire pour moi, comme un moyen d'embrasser mon processus de guérison et de me retrouver.

 

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Est-ce que tu considères ça comme une sorte de thérapie ?

Oui, c’est tout à fait ça. Une fois que l'album était terminé, je me suis dit "Tout va bien, je suis guérie, je sais tout sur les ruptures amoureuses maintenant" et puis évidemment, j’ai continué à faire les mêmes erreurs. Mais avec ce projet, je me suis rendu compte qu’on pouvait apprendre de son propre travail : maintenant, je suis à un stade où j'écoute ces chansons et je me dis "peut-être que je devrais écouter cette fille" (rires).

 

Dans quelles conditions as-tu écrit, composé et enregistré cet album ?

Au début du processus, j’avais déjà pas mal de matériel que j’avais écrit dans ma chambre, en Belgique. Mais c'était surtout des idées de mélodies, de refrains et autres. Normalement, j'ai tendance à écrire toute la chanson en une fois, mais cette fois-ci, c'était vraiment difficile. J’avais des bribes de morceaux et des idées dans tous les sens, et je sentais que j'avais besoin d'aller ailleurs pour me remettre les idées en place. La pandémie est arrivée et tout a été annulé. J'ai alors eu l'occasion de partir en Normandie, au milieu de nulle part. J'y suis restée un mois, avec Jasper Segers, mon guitariste. Je travaille avec lui depuis des années, on se connait très bien. On a repensé le projet à deux en Normandie, et toute la pré-production s'est déroulée là-bas. Ensuite, on est revenu à Gand, et on a tout enregistré au studio.

 

© Ferry van der Nat

Le nom de ton premier album est également celui de ce fameux village en Normandie. Que représente cet endroit pour toi ?

Pour être honnête, j’avais beaucoup de mal à trouver un nom pour ce projet. Et puis j’ai eu un déclic, je me suis dit qu’il pourrait s’appeler Montbray. Tout d'abord parce que j'ai écrit l'album là-bas, mais aussi parce que c'était mon shangri-la, l'endroit où j'avais besoin d'être à ce moment précis de ma vie. Montbray signifie aussi "montagne humide". Il y a quelque chose de sexuel qui émane de cela, mais il y a aussi quelque chose de triste, et je me suis dit que ça correspondait bien à l'album. C'était juste un moment très important pour moi. J'étais là avec tous mes amis, et j'ai pu créer mon propre safe space.

 

Les titres de l'album diffèrent fortement en termes de style et de musicalité : des chansons comme "Walk Walk", "Let It All Burn" et "All Of Me" suivent une approche plutôt pop et upbeat, tandis que "Ending Up Alone" et "Haunting Melody" sont beaucoup plus atmosphériques. Pourquoi avoir opté pour un tel éclectisme ? 

De nos jours, certains artistes ne pensent qu'aux streams et à Spotify. Je pense que si j'avais écrit un album avec seulement des chansons uptempo comme "Walk Walk" – des singles, donc – je n'aurais pas été capable de créer ce que je voulais. Pour moi, il était vraiment important de raconter une histoire : tu peux écouter l'album du début à la fin, et passer par toutes ces étapes pour découvrir le. Ce genre de choses est tout simplement impossible à mettre en place s’il n’y a que des tubes radio sur l’album.

 

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Les instruments que tu as choisis pour tes compositions reflètent pour la plupart une ambiance solaire, presque tropicale. Quelle est la raison de ce choix ?

Les instruments à cordes sont très chargés en émotions, j'essaie de les utiliser autant que possible. J'aime aussi les percussions, j'ai toujours un percussionniste sur scène, ça rend les choses plus organiques, plus solaires. Pour être honnête, je suis souvent à la recherche de sons chauds ; on les retrouve beaucoup dans les percussions mais aussi dans les cuivres, comme le saxophone. J'adore ça !

Comme tu le disais tout à l’heure, l’énergie varie tout au long de l'album. Quel est le fil conducteur entre tous ces morceaux ? Comment définirais-tu ta signature sonore ?

Je pense que c'est la façon dont j'utilise mes chœurs. Tu entendras toujours ce genre de son, dans chaque chanson que j'enregistre, qu'il s'agisse d'une ballade ou d'un morceau uptempo. Il y a toujours ma voix principale, et puis ces chœurs enfantins en arrière-plan. J'adore ça, ça ajoute quelque chose de très naïf et de ludique au projet. C'est probablement ma signature sonore, tout comme la batterie et les percussions : je n'utiliserai jamais de rythmes électroniques. Il faut que les chansons soient dansantes, mais je mets aussi un point d'honneur à pouvoir utiliser de vraies batteries et percussions. Le mot d'ordre est "organique" ! 

© Ferry van der Nat

Les thèmes que tu explores sont assez personnels, principalement axés sur l'amour-propre et le bonheur. Est-ce que c’est parti d’une volonté, ou ça t’est venu naturellement ?

C'est venu très naturellement. Je ne suis pas le genre de personne qui peut commencer avec une page blanche et se dire "je vais faire tel ou tel album". Je suis juste le courant. Tout dépend des humeurs, et de ce qui se passe dans ma vie. Ce n'est qu'à la fin que j'ai compris ce que j'étais en train de faire, et que je me suis dit "OK, on dirait que j'ai quelque chose à travailler". 

La musique serait-elle un second canal d’expression pour toi ?

Oui, sans aucun doute. Dans la vie réelle, j'évite toujours les conflits, alors que dans ma musique, je suis très honnête, très bruyante, très émotive aussi. J'ai besoin de ça. C'est la même chose que sur scène : dans la vie réelle je suis plutôt silencieuse et timide, j'aime être invisible, alors que quand je monte sur scène, je suis plutôt excentrique.

 

L’image et l’esthétique semblent faire partie des éléments clés de ton projet. Encore une fois, est-ce un moyen supplémentaire de t’exprimer ?

Tout à fait. Quand on bosse sur les clips ou les photos, j’ai l’occasion de jouer, un peu comme une actrice. C’est aussi une autre façon de s’exprimer, mine de rien. Et puis, t’as beau créer une chanson extraordinaire, si ton clip est mauvais, ça ruine le projet. Il faut que tout soit au même niveau. J'ai toujours été inspirée par les films : quand j'écris des chansons, j'ai déjà l'idée du clip. Je n'arrête jamais de noter mes idées ! C'est assez cool de faire toutes ces choses différentes. Parfois, je fais des moodboards, ça ajoute quelque chose d'autre à ma routine. Pour “Walk Walk” par exemple, j'ai eu l'idée des paroles alors que je promenais mon chien. On était dans cette magnifique région en Normandie, et j'ai tout de suite voulu tourner le clip là-bas, avec beaucoup de chiens. C'est comme ça qu'il a vu le jour.

 

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As-tu été inspirée par un ou une artiste en particulier pour la composition de cet album ?

Pour être honnête, pendant tout le processus de création de l'album, je n'ai presque pas écouté de musique (rires). Cela dit, il y a bien une artiste à laquelle je pense, c'est Jessica Pratt. Sa voix est magnifique. On peut probablement entendre son influence sur mes morceaux. 

Y a-t-il d'autres artistes qui t'inspirent ? 

Il y a certaines artistes qui m'ont fortement inspirée, mais seulement par quelques aspects de leur travail. Grace Jones, Nina Simone, Blondie, ou encore Kate Bush pour en citer quelques unes. Je suis aussi très inspirée par les artistes françaises des années 1960 et 1970 comme Françoise Hardy. J'ai grandi avec ce genre de musique, mon père avait une énorme collection de disques français. Je l'ai beaucoup écoutée lors de ma rupture (rires). Donc je pense qu'il y a beaucoup d'elle dans ma musique. Tous ces instruments à cordes et ces percussions, j'adore ça. Il y a cette chanson qui s'appelle "Message Personnel", elle a une vibe complètement démesurée que j'admire énormément, sans compter les choeurs à la fin... Fantastique. 

© Ferry van der Nat

Tu as fait partie du groupe Soldier's Heart pendant plusieurs années. Comment cette expérience a-t-elle influencé ta carrière solo ?

Ça m’a sans doute influencé au niveau de l'éthique de travail. Étant donné que la musique qu’on faisait était très différente de celle que je fais maintenant, je pense que ça m'a encouragé à lancer mon propre truc. La musique qu’on sortait était très hype et électronique, et quand j'ai eu 25 ans, je me suis rendu compte que je n’étais pas à ma place. C’était pas mon truc. Du coup, je n'ai pas vraiment l'impression d'avoir été inspirée par tout le processus de Soldier's Heart. Cela dit, c’était très intéressant de commencer ma carrière au sein d’un groupe, et d'apprendre à connaître les différents aspects de l'industrie. Si j'avais dû le faire seule, je me serais faite avoir tellement de fois… Il y a tellement de choses que je ne connaissais pas. Si tu commences au sein d'un groupe, t’es entouré, et t’apprends plus facilement de tes erreurs. Je pense que c'était une façon très douce d'entrer dans le business de la musique, et ça m’a permis de peaufiner mon identité sonore. Il y a quelques années encore, j'étais l'une des seules chanteuses en Belgique, c'était très différent. Parce que je suis une femme, je pensais que j'étais incapable d'écrire mes propres chansons. J'avais trop peur de le faire toute seule, parce c'est un secteur qui est vachement dominé par les hommes. Ce n'est que lorsque j'ai eu 25 ans que j'ai eu le courage de le faire toute seule. Dans ce sens, c'était aussi très valorisant.

Est-ce que tu te sens plus forte, maintenant que tu bosses en solo ?

Oui, je pense. Selon moi, la seule façon de se développer en tant qu'artiste c’est de faire le plus possible par soi-même. J'ai été très surprise lorsque j'ai finalement eu le courage de commencer à apprendre par moi-même à utiliser les logiciels, par exemple. Au final, c’était assez facile. Aujourd’hui encore, je travaille avec beaucoup d'hommes, mais ils me prennent plus au sérieux. 

Le féminisme est un sujet que tu abordes au sein de l'album, notamment dans le titre "Girls". Peux-tu nous en dire un peu plus ?

C'est drôle parce que j'ai écrit cette chanson il y a très longtemps, il y a environ quatre ans. Je n’avais pas vraiment l’intention d’écrire une chanson féministe, c'est venu plutôt naturellement. À un moment, j’ai voulu changer les paroles, mais l’une de mes amies m'a convaincue de tout garder. Pour moi, "Girls" représente tout un processus : c'est une ode au bonheur et à l'amour-propre, c'est quelque chose d’assez global.

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Quel est le message que tu souhaites transmettre avec cet album ? Que veux-tu faire passer à ton audience ?

C'est drôle parce que lorsque j'ai écrit l'album, je n'ai jamais vraiment pensé au public. Et maintenant, l'album sort enfin et je dois me rappeler que le public est là (rires) ! Quand j'écris de la musique, je le fais surtout pour moi. En ce moment, je fais face à un nouveau chagrin d'amour et j'ai l'impression qu'à travers cet album, je m'envoie un message à moi-même. Cela dit, je suis certaine que les autres personnes qui ont traversé une peine de cœur vont ressentir la même chose. Maintenant que j'y pense, j'aimerais leur dire que c'est normal d'être honnête quant à ses émotions. Si quelqu'un te blesse, il n’y a pas de honte à le crier du haut de tes poumons. Tu n’as pas besoin de te retenir, ni d'être trop dur avec toi-même.

Pour finir, quel est ton morceau préféré sur l'album ?

C'est difficile à dire ! Je n’ai pas spécialement de morceau préféré, mais je suis très fière de “Walk Walk”. C'est une chanson tellement positive, et je sais combien il est difficile de faire une bonne chanson positive. C’est beaucoup plus facile de faire une chanson triste, sombre et émotionnelle. Si tu parviens à écrire un morceau positif qui sonne correctement – et qui n'est pas trop mièvre –, c’est un bel exploit (rires). 

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