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Sur le "Chemin Acide" de ÂA

Le chanteur ÂA sort son premier album "Chemin Acide"

© Jordan Esser

Par Laurenne Makubikua via

À l’occasion de la sortie de son premier album "Chemin Acide", nous avons eu l’opportunité d’échanger avec ÂA. Dans la continuité de son EP "ÂAnimé", le chanteur belgo-congolais propose de la chanson française teintée de multiples sonorités hybrides dans ce nouvel opus.

ÂA, c’est pour Âtlaï Abdallah. Si "Abdallah" fait référence au deuxième nom de son beau-père, "Âtlaï" porte une signification qui fait fortement sens à l’actualité du chanteur liégeois et kinois. "Âtlaï" veut dire "mon moment" en hébreux. Et avec "Chemin Acide", son premier album (dont la sortie a dû être retardée de deux ans pour cause de covid), actuellement, l’artiste vit clairement SON moment. Après des débuts dans des univers soul, funk, hip-hop, et une écriture principalement en anglais, ÂA décide de se raconter à travers la chanson française tout en gardant les influences dans lesquelles il a baigné et évolué. Le temps d’un entretien, il nous invite à découvrir son univers et à emprunter son chemin acide.

Qu’est-ce que ça signifie "Chemin acide" ? Pourquoi ce nom d’album ?

Chemin acide, c’est pour tout ce que je raconte dans la chanson "Acide". Au début, je voulais appeler l’album "No Us". Puis, je me suis rendu compte qu’en fait l’album parle de plusieurs choses qui sont inspirées soit par mon parcours, soit par le parcours des autres, de la vision que les autres ont de l’amour, de la vie, des relations humaines. C’était une façon pour moi d’expliquer. Ce n’était pas forcément quelque chose qui était dans le positif ou dans le négatif. C’est un chemin que l’on doit tous parcourir. Parfois, le trip est hyper cool. On voit des choses hyper intéressantes, hyper stimulantes. Et parfois, on peut être dans des bad trips.

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Dis-nous-en plus sur l’histoire de la naissance de " Chemin acide ". Quel était l’effet recherché en façonnant cet album ? Qu’avais-tu en tête et à cœur en le créant ?

Je voulais vraiment faire un témoignage de ma génération et de ce que moi je voyais. J’ai toujours voulu défendre une vision afro européenne. Et cette vision-là, que ce soit dans les sonorités, dans l’écriture et dans les thèmes abordés, je voulais vraiment que ça soit quelque chose de représentatif de cela, mais tout en gardant quand même une dimension hyper universelle. Par exemple, prenons un morceau comme "Tous les matins". C’est un morceau qui parle de foi et de la manière dont on peut parfois se retrouver dans une forme de syndrome de Stockholm dans la religion. Quand on est dans une culture ainsi qu’un espace européen et que l’on a une culture africaine, on peut parfois avoir de grosses dissonances qui nous empêchent d’évoluer personnellement.

Je voulais juste expliquer tout cela sans forcément donner de réponse. La réponse, c’est juste : tu fais ce que tu peux avec ce qu’on t’a donné et tu essaies de trouver ta voie avec tout ça. À travers chaque chanson, j’ai essayé de voler un peu tout ce que je ressentais chez mes amis, chez ma famille. Et j’ai évidemment essayé de l’exprimer à ma façon, en y mettant ma touche. On va dire que c’est du 50-50.

Cette vision afro européenne, elle est aussi visible notamment grâce à l’apparition du lingala sur certaines chansons ("Solitude" et "Tous les matins"). Peux-tu nous expliquer en quoi c’est important pour toi de t’exprimer dans cette langue ?

C’est important, mais c’est aussi quelque chose que je ne dirige pas. Il y a des choses qui doivent sortir en lingala et je dois les dire comme ça. Il y a d’ailleurs d’autres morceaux où il y avait beaucoup plus de lingala dans les refrains. Mais là sur l’album, il n’y a que deux morceaux et ce sont les ponts à chaque fois qui sont en lingala. J’ai grandi au Congo et parfois il m’arrive de réfléchir en lingala sur certains sujets. C’est une langue importante dans ma vie. C’est la langue avec laquelle je parle avec plusieurs de mes cousins. Encore une fois, dans cette identité afro européenne c’est important, à mon échelle en tout cas, de défendre ça. Surtout quand on vit en Belgique.

Lorsque les artistes africains font de l’art, on s’attend à ce qu’ils fassent de l’art engagé tout le temps et à ce qu’ils parlent de certains sujets. On ne nous attend pas parfois dans des sujets qui touchent à la nature humaine, qui touchent à des trucs un peu plus métaphysiques. Dans ce que j’ai envie de défendre – dans cette identité que l’on ne connaît pas encore bien aujourd’hui et qui n’arrive pas à se faire une place dans la société européenne – il y a cette idée que les Afro-Européens ne sont pas juste des Africains qui vivent en Europe. Nous sommes des Européens qui avons une culture. Et s’il n’y a pas des artistes qui mettent cette culture en avant et qui la revendiquent, on ne pourra pas se trouver une place. Mais je ne me dis pas que c’est une mission que j’ai. En tout cas, plus jeune, j’aurais aimé avoir des modèles artistiques qui parlent aussi de ces dimensions de notre identité.

J’aime qu’il y ait plusieurs niveaux de lectures dans ce que j’écris et que les gens puissent s’approprier les chansons. J’aime pouvoir parler de quelque chose de vraiment spécifique et que tout le monde puisse quand même s’identifier à cela.

Dans certains morceaux ("Barbelés", "L’ignorance et la peur", "Boom bang bang"), on retrouve des messages engagés et politiques, mais toujours amenés de manière poétique et enjouée. À tel point qu’on pourrait oublier que tu parles de sujets sérieux. Quelle est ta recette pour parvenir à rendre joyeux des sujets si lourds comme la migration, le racisme ou autres ?

Franchement, si je le savais moi-même… Il n’y a pas de formule en fait. Tu ressens quelque chose, tu as envie de l’exprimer, tu te lances et c’est parti. Ça sort comme ça sort. Là, ce sont les morceaux que l’on a sélectionnés. Il y a beaucoup d’essais qui n’ont pas été fructueux et qui n’étaient pas convaincants.

J’aime qu’il y ait plusieurs niveaux de lectures dans ce que j’écris et que les gens puissent s’approprier les chansons. J’aime pouvoir parler de quelque chose de vraiment spécifique et que tout le monde puisse quand même s’identifier à cela. J’aime quand un artiste écrit une chanson qui parle par exemple de la cause des Noirs, de l’immigration et que plein de personnes qui n’ont pas vécu ces expériences-là se sentent quand même concernées.

J’essaie de voir les points communs que l’on a avec toutes ces histoires que je raconte. Par exemple pour "Barbelés", quand on l’écoute, on a l’impression que ça parle directement de la crise des migrants. Et évidemment que ça parle de ça, mais ça ne parle pas que de ça. Ça parle aussi d’une histoire d’amour, de comment on fait pour arriver à accepter l’autre ou encore comment arriver à accepter tout simplement ce que l’on ressent, par rapport à qui on est et où on est.

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Tu as créé la pochette de l’album, le moodboard de "Barbelés". Tu es à la réalisation du clip "Le fou du village". Tu as aussi animé, dessiné et réalisé "Solitude"… Pourquoi c’est important pour toi de gérer aussi cet aspect visuel ? Pourquoi avais-tu à cœur de les créer/réaliser ?

Dans mon processus de création, les images sont aussi super importantes. J’ai commencé à m’exprimer artistiquement en dessinant. Et ça a toujours eu une place importante dans ma vie. Parfois, c’est vraiment par envie parfois c’est juste le moyen le plus évident. C’est au feeling. Parfois, il n’y a pas d’autres moyens d’illustrer certaines choses. Par exemple, pour "Le fou du village", j’avais beaucoup d’idées qui pouvaient être vraiment cool à mettre sur pied avec des réalisateurs. Mais la situation liée au covid a fait que le meilleur moyen pour exprimer ces choses-là a été d’utiliser ce que j’avais pour illustrer tout ça. Pour le clip, c’était beaucoup plus facile que je le fasse tout seul.

J’avais déjà fait en plus les visuels pour d’autres morceaux comme "Solitude" ou "C’est pour quand" où c’était de l’animation en dessin, mais en vecteur. Pendant le covid, j’ai traversé une période où j’étais un peu dans un gros flou et je n’avais plus spécialement envie de dessiner. Un truc qui me faisait du bien, c’était de faire des collages. Je faisais plein de collages. Et c’est comme ça que j’ai fait le clip du fou du village.

Ces derniers temps, j’ai utilisé un peu de 3d dans tout ce que je fais. J’en faisais déjà avant et ça faisait deux ans que je n’en avais pas fait. J’ai voulu revenir là-dedans pour reprendre quelque chose qui m’avait fait du bien à une époque.

Beaucoup me disent que ça doit faire une charge de travail de dingue de gérer aussi tout ça. Justement, moi, je ne ressens pas les choses comme ça. Je ne me sens pas épuisé après avoir créé. C’est du fun et c’est comme ça que les choses doivent se faire. Pour moi, ce n’est presque pas du travail. Parfois, j’ai même honte de ça, parce que c’est en mode : je kiffe faire ça.

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Et parce que les images sont importantes dans son processus créatif, la dimension scénique sera tout aussi primordiale pour apprécier dans son intégralité l’étendue du Chemin Acide. Pour l’instant, une date est sûre et est déjà à noter. ÂA présentera son album sur scène ce 10 mai 2022 dans le cadre du festival les Nuits Botanique. Pour le reste, il faudra encore attendre. Mais cette attente annonce déjà de belles et grandes choses scéniquement parlant nous confie-t-il : "Je suis en train de remettre en place mon set. Avec la période du covid, j’ai eu envie de proposer autre chose. De vraiment me recentrer sur ce que j’avais envie de raconter dans cet album. De créer quelque chose qui partira un peu sur une sorte de performance artistique et qui mélange une dimension de conteur. Il y aura aussi des visuels sur scène. Pour l’instant, je développe ça et c’est quelque chose qui prend un peu de temps à être mis en place."

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