Transversales

Suède : l’exploitation minière de Kiruna menace aussi les rennes et le dernier peuple autochtone d'Europe

Par Nadine Wergifosse via

Au début de l’année 2023, le géant minier suédois LKAB annonçait avoir découvert le plus grand gisement de terres rares d’Europe à Kiruna, dans le nord de la Suède. Ce gisement doit être exploité dans les prochaines années. Aubaine ou malédiction ? La question divise et inquiète particulièrement les Samis, ce peuple autochtone du Grand Nord dont l’activité ancestrale, l’élevage de rennes, est directement menacée. Suivez ce reportage de Transversales, réalisé par Carlotta Morteo à Kiruna.

À l’heure de la transition énergétique, les terres rares sont devenues le nouvel Eldorado minier. Ces composants sont indispensables à la fabrication de batteries électriques ou encore d’éoliennes et téléphones portables. Depuis l’annonce de ce nouveau gisement, l’UE nourrit l’espoir de s’émanciper un peu de la Chine dont elle est totalement dépendante.

80% du minerai de fer du continent européen produit par LKAB

La mine est exploitée depuis la fin du 19e siècle par LKAB, entreprise publique, principal employeur de la ville de Kiruna, trésor de la Suède. La montagne est striée de déchets miniers, et chaque coin de rue a vue sur la mine qui fait plusieurs hectares.

"On nous surnomme souvent le géant minier en Suède. On produit 80% du minerai de fer du continent. À l’échelle mondiale, on est très petit puisque nous représentons 2% du marché" indique Anders Lindberg, porte-parole de LKAB qui poursuit : "Nous voulons changer la manière dont l’acier est produit. L’industrie minière est responsable de 7% des émissions de carbone dans le monde. A LKAB, nous sommes en train de digitaliser et d’électrifier nos mines. De plus, on va exploiter les sous-produits du fer".

Le traitement chimique pour extraire les terres rares est un processus difficile et coûteux mais ce nouveau gisement contient 3% de terres rares contre moins de 0,5 dans la mine actuelle. L’entreprise publique suédoise estime pouvoir répondre à terme à 30% des besoins en terres rares de l’Europe grâce à ce nouveau filon qui ne sera exploité que d’ici dix ou quinze ans.

Chaque jour, la mine extrait l’équivalent en fer de six tours Eiffel

À l’aide d’un marteau hydraulique qui abat les entrailles de la montagne à raison de quatre mètres chaque jour, il faudra neuf ans pour rejoindre le nouveau gisement. "Nous sommes en retard car c’est très difficile d’ouvrir de nouvelles mines en Europe. Il faut beaucoup de temps pour obtenir les permis et les autorisations" déplore Anders Lindberg qui plaide pour son entreprise dont l’exploitation minière se veut plus propre, sans silicose, ni éboulements : "La Chine exploite ces minerais à très bas coût sans se soucier des questions environnementales ou sociales. Alors que le vieux continent aura besoin de cinq fois plus de métaux rares d’ici 2030, que se passera-t-il si la Chine ferme son marché à l’Europe ?"

Opérations minières et dégagements de fumées fragilisent Kiruna, sa biodiversité et le peuple Sami.
Opérations minières et dégagements de fumées fragilisent Kiruna, sa biodiversité et le peuple Sami. © Getty Images

Le dernier passage de transhumance pour les rennes menacé par la mine

Dans la taïga enneigée, rien ne laisse deviner la richesse du sous-sol mis à part le bruit de la foreuse qui détonne dans la forêt d’épicéas. Des prélèvements des échantillons de roches sont en cours pour l’exploitation du gisement qui se situe sur le dernier passage de transhumance des rennes du peuple Sami. 

Karin Halford est membre de la communauté Sami de Gabna, le village autochtone le plus touché par le projet minier : "Les rennes suivent ce sentier depuis des milliers d’années. Il ne reste qu’un passage très étroit pour atteindre les pâturages d’hiver. À cause du tourisme, des chiens de traîneau, des skieurs, des motoneiges et maintenant de cette nouvelle mine, leur route va être coupée. Sur les 20.000 Samis qui vivent en Laponie suédoise, seuls 10% vivent du commerce de la viande de rennes. Mais c’est au cœur de l’identité des Samis, de leur fête et de leur lien à la nature. Présenter l’extraction de fer et de terres rares comme une solution de la transition énergétique européenne n’a rien de ‘vert’. La pollution générée et l’énergie nécessaire à l’extraction contribuent largement au dérèglement climatique".

Le parlement sami devra être consulté sur ce projet mais son avis ne sera pas contraignant vu la non-ratification des droits indigènes par la Suède. "On a été déplacé de nos terres de force. Notre culture, notre langue est menacée. C’est une violation des droits de l’homme. Nous sommes le dernier peuple autochtone d’Europe. Les actes racistes se multiplient, certains tirent sur les rennes, les blessent et les laissent mourir. Nos droits de pêche, de chasse sont un héritage ancestral. Les Suédois connaissent très peu notre histoire et la violation de nos droits".

Les Samis, un peuple autochtone chassés de ses terres ancestrales à Kiruna.
Les Samis, un peuple autochtone chassés de ses terres ancestrales à Kiruna. © Wolfgang Kaehler/LightRocket via Getty Images

Une colonisation verte ?

Le vieux Kiruna est devenu une ville fantôme qui menace de s’écrouler dans les failles et déformations de terrain causé par la mine en expansion. Tout est fermé et les 23.000 habitants déménagent pour aller dans une nouvelle ville en train de naître à 4 kilomètres de l’historique Kiruna. Un seul magasin de seconde main est encore ouvert, où l’on trouve des objets de l’artisanat Sami : "C’était un super quartier, mais demain, il y aura des crevasses et autres résidus. La mine donne du travail à beaucoup de monde. Une minorité vit de l’élevage des rennes. En réalité, on est tous en faveur de la mine, on ne reviendra pas en arrière" raconte le propriétaire du magasin.

Des salaires imbattables, le taux de chômage le plus faible de Suède, LKAB dont le nouveau gisement sera exploité jusqu’en 2060 au moins, offre une perspective aux habitants de Kiruna. "Je n’aime pas ce qu'il se passe mais on doit l’accepter. Si la mine n’était pas là, il n’y aurait que des touristes et le peuple Sami. Ils étaient là en premier mais c’est devenu très compliqué" raconte Anna-Bella Rundquist, sacristaine de l’église de Kiruna qui sera bientôt déplacée dans la nouvelle ville.

Les Samis intentent depuis longtemps des procès qui souvent sont réglés sous forme de compensation financière. Ils doivent trouver d’autres terres pour leur troupeau. Dans tout l’Arctique, au nom de la transition énergétique, les projets miniers et l’installation d’immenses parcs éoliens se multiplient. Le dernier peuple autochtone a surnommé ce développement industriel de "colonisation verte".

► Découvrez l’intégralité du reportage dans le podcast de Transversales ci-dessus.

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